
#Critique Merfer : le monde vu du train
China Miéville, le pape de la weird fiction, offre aux éditions Fleuve Noir un roman young adult qui ravira grands et petits.
L’histoire : La Merfer. C’est un drôle de monde où l’on se déplace en train, jouant sur le nombre de voies de chemin de fer qui quadrillent la Terre. Un monde où le sol est peuplé de créatures monstrueuses, où les capitaines de train poursuivent leur « philosophie », un animal plus gros, plus retors que les autres, où les pirates existent et où de drôles de vestiges jonchent le sol. Sham est un apprenti médecin à bord d’un train taupier. Et un jour, alors qu’il fouille un vieux train abandonné, il ne se doute pas que sa vie va être profondément modifiée.
Mon avis : China Miéville, on l’aime bien au Daily Mars, où nous avions déjà chroniqué son roman Kraken. Cette fois-ci, il s’adresse à un public légèrement plus jeune, pour un ouvrage tout aussi passionnant. Nous sommes à la fois dans une course au trésor à la Stevenson, une chasse à la « baleine » version Melville, le tout dans une ambiance steampunk. En effet, il s’agit aussi bien pour Sham de trouver sa place dans le monde que de comprendre comment marche cet univers.
Créatures fantastiques mais ô combien humaine, des monstres qui sont en fait une version déformée et géante de nos petites créatures de terre, un langage qui ressemble au nôtre mais un peu différent… China Miéville nous emmène dans un univers décalé, plus calme et moins sombre que ses romans pour adultes, mais toujours aussi riche et cruel. Les héros sont des enfants, mais il ne s’agit pas non plus de leur épargner des aventures, des trahisons, ni des coups de cœur comme de lâcheté.
Point éminemment positif, les personnages sont aussi bien masculins que féminins. La capitaine veille sur un équipage mixte, une relation frère-sœur illumine le récit, et s’il y a un peu de romance, ce n’est certes pas le cœur du sujet. Femmes et hommes, il faut s’en sortir ensemble sur la Merfer. Et certains dessins sont intégrés dans le récit, pour mieux comprendre les atroces bestioles qui vivent sur ce territoire hostile.
Alors, certes, on a un peu l’impression de n’avoir eu le droit qu’à un coup d’œil sur un univers bien plus vaste qu’il reste à explorer. Certes, parfois le récit se traîne un peu en longueur, et la présence d’un narrateur omniscient qui apparaît comme un conteur, sans que ne soit expliquée sa place est quelque peu décontenançant. Mais il en reste un récit très agréable à lire, même si plus mineur dans l’œuvre de Miéville.
Si vous aimez : Les romans de pirates à la mode steampunk. Un peu comme Les Arcanes du midi minuit, mais sans les créatures presque humaines mais pas trop.
Autour du livre : Merfer a reçu le prix Locus du meilleur roman pour jeunes adultes en 2013.
Extrait : « De l’exhume, l’équipage d’un taupier n’était pas outillé pour s’en dépêtrer. Mais un véhicule échoué… Pour un potentiel sauvetage, tout traineux digne de ce nom laissera tomber ce qu’il fait. C’est le code d’honneur des gens de Merfer. & le soupir que poussa la capitaine, qu’elle n’avait pas pris la peine de masquer en se détournant du micro, laissait entendre qu’elle se soumettait sans enthousiasme à cette obligation morale.
– Parés à la manœuvre & à l’abordage.
Elle ne devait pas apprécier cet écart à ses projets : traquer, trouver & triompher de sa philosophie était sa priorité.
Les aiguilleurs firent basculer le train sur d’autres voies pour se rapprocher. Elle était minuscule cette épave. Une motrice. Elle gisait là comme une vache renversée.
Les véhicules de toutes les nations desservies par Merfer faisaient la navette dans les baies du Vrac du Çalayghou & du pays d’origine de Sham, Haldepic. Des trains, il en avait vu de toute sorte dans son enfance, sur les quais, & de nombreux autres encore sous forme illustrée au cours de sa formation. Or, si abîmé que fût celui-là, il ne lui rappelait strictement aucun modèle. »
Merfer
Écrit par China Miéville
Édité par Fleuve éditions, collection Outrefleuve