
#Metallica – Compte à rebours jusqu’à l’autodestruction (temps écoulé)
Après avoir (plutôt) étrillé leur dernier album, Hardwired… to Self-Destruct (ici) — et parce qu’il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte — il est temps de clore ici notre rétrospective de la discographie de Metallica. Au programme de ce dernier épisode : les années 2000. Parce que, si toutes les bonnes choses ont une fin, les mauvaises ont quant à elles généralement un début. Mais, comme chantait le poète, « ne partons pas fâchés, ça n’en vaut pas la peine ».
Quatrième (et dernière) partie : “Paint a vulgar picture 1”
Avant d’en dire trop de mal, rappelons-nous tout de même que — même si c’était il y a quelques années déjà — Metallica nous a quand même offert vingt minutes de musique « live » parmi les plus puissantes qu’il ait jamais été donné d’entendre à tous les amateurs du groupe et du genre.
Calé bien au chaud entre une version orchestrale de The Ecstasy of Gold 2 et une interprétation dopée aux stéroïdes de Master of Puppets, ce Call of Ktulu ouvre le dernier album du groupe qui soit vraiment ambitieux sur le plan musical : S & M. Enregistré au printemps 1999 avec l’Orchestre symphonique de San Francisco et le compositeur-arrangeur Michael Kamen, ce double album live va ressusciter pour un temps la mode du (hard) rock orchestral, sous-genre laissé un peu à l’abandon depuis les années 70 (après avoir été pratiqué par des groupes aussi prestigieux que Deep Purple ou Yes en leur temps).
Après être sorti du XXe siècle par la grande porte et en grande pompe — avec cet album un brin pompier — Metallica éprouve le plus grand mal à se plonger dans le grand bain du nouveau millénaire. Ils ont puisé dans toutes leurs ressources depuis la sortie du « Black Album » dix ans plus tôt et ils apparaissent maintenant comme de plus en plus à court d’inspiration. Et ce n’est pas I Disappear, titre flasque composé pour la bande originale du catastrophique Mission : Impossible II en mai 2000 qui va rassurer le corps médical. C’est aussi à cette époque que Lars Ulrich (le batteur du groupe) entame sa croisade contre les flibustiers du Web, ces malotrus qui leur volent leur musique. Certains fans se prennent la tête dans les mains. D’autres foulent au pied (au sens propre !) leur collection de CDs. Rarement on aura vu un groupe — qui plus est un groupe dans son bon droit — gérer aussi mal sa communication dans une situation pareille.
Et, comme si ça ne suffisait pas, au tout début de l’année 2001, Jason Newsted, leur bassiste, claque la porte. Ce départ va définitivement faire sauter la goupille de la grenade qu’est devenue Metallica. Ce qui reste du groupe finit d’imploser et frôle la désintégration complète. S’en suivra un chemin de croix, long de plus deux ans, à l’issue duquel les Californiens accoucheront finalement d’un album : St. Anger.
Dans cette sorte d’œuvre d’art contemporain, la démarche et les conditions d’enregistrement de l’album comptent davantage que le résultat, tout compte fait. Au point que, l’année suivant la sortie de l’album, en 2004, sort un documentaire remarquable, Some Kind of Monster qui raconte la genèse de cet album (et fait pratiquement office de « mode d’emploi »). Il en résulte un album de « stoner » (un rock lourd, dépouillé et répétitif). Comme souvent, pour un groupe qui essaie de se réinventer sur le tard, l’idée de départ est intéressante, le résultat est surtout long et ennuyeux. De cette approche résolument rythmique — l’album étant totalement exempt du moindre solo de guitare — quelques titres se dégagent, comme Some Kind of Monster et son riff pachydermique ou The Unnamed Feeling, ballade épurée et (enfin) dépouillée de ses atours pâteux et patauds.
À toute chose malheur est bon, puisque la sortie de cet album, qui recevra un accueil pour le moins mitigé, aura comme conséquence de remettre en selle les « Four Horsemen » et de les renvoyer sur la route. Avec un nouveau quatrième homme à la quatre cordes : Robert Trujillo (ex-Suicidal Tendencies, Ozzy Osbourne…). Le public y voit un groupe en forme, soudé, qui exhume sur scène une grande partie de leur répertoire, y compris des titres qu’ils n’ont pas joués depuis longtemps. L’histoire aurait pu (aurait dû ?) s’arrêter là… mais, en 2008 sort Death Magnetic, espèce de « fanfiction » discographique, dans laquelle James Hetfield (chanteur-guitariste) et ses petits copains livrent une imitation plutôt convaincante de leur incarnation passée.
Bien que dispensable, l’album contient tout de même quelques fulgurances, comme cette petite « symphonie de poche » qu’est All Nightmare Long.
Metallica ne sera jamais un groupe « bien comme il faut ». Ils auront beau essayer de toutes leurs forces. Même bien habillés, dans de beaux costumes. Même en jouant les artistes. Ils ne seront jamais perçus, au mieux, que comme une bande de gros bourrins et, dans la plupart des cas, comme un quarteron de drogués alcooliques adorateurs de Satan. Qu’ils s’essaient à l’exploration d’autres territoires musicaux, et ils s’arrêtent au milieu du guet, en sabordant leur travail par une production calamiteuse, comme c’était le cas sur St. Anger. Sinon, c’est leur auditoire qui les lâche en cours de route, comme lorsqu’ils accompagnent Lou Reed dans sa dernière aventure discographique, Lulu, un album concept inspiré par les œuvres du dramaturge allemand Frank Wedekind. Un disque assurément raté — pour ne pas dire inécoutable — mais terriblement sympathique tant sa volonté de ne pas être aimable était assumée.
Mais, dans le même temps, c’est un nom un peu « trop connu » pour être tout à fait infréquentable. À l’heure où Internet a revivifié un certain snobisme musical, où il faut toujours aller chercher quelque chose de plus pointu, de plus rapide, de plus violent, qui va s’enorgueillir d’être fan de Metallica ? Maintenant qu’ils ont goûté au fruit défendu de la célébrité, ça les condamne de facto à n’être qu’un truc de blanc-becs ou de vieux schnocks. « Hetfield & co » ne sont pas aussi increvables (ni sulfureux) que Slayer, leurs camarades de jeux du début des années 80, qui continuent de tourner (de moins en moins rond, certes) avec 50 % de leurs membres d’origine. Ils ne sont pas non plus aussi revanchards que Megadeth. Bien que Dave Mustaine (leader de Megadeth et ancien guitariste-soliste de ‘Tallica) prétende qu’il a finalement la rancune à la rivière, le doute subsiste encore, tant chacun des albums de son combo — jusqu’au très réussi Dystopia, sorti en février dernier — semble crier « vengeance ! »

© Anton Corbijn, 2008
Depuis plus de trente ans maintenant, Metallica aura passé le plus clair de son temps à courir après tout un tas de lièvres, les uns après les autres. À la recherche d’un quatrième homme après le décès de leur premier bassiste, Cliff Burton, en 1986. En quête d’une seconde reconnaissance — publique et critique — à la mesure de celle obtenue après le succès du « Black Album » (sorti en 1991). Et, depuis, on les a vus, tour à tour se vouloir en « trendsetters », en groupe garage, en chefs d’orchestre, en vieux stoners… oubliant que, dans l’art comme dans la vie, souvent, la constance a tendance à payer, sur le long terme.
Force est de constater qu’exception faite de quelques rares groupes comme Led Zeppelin, Deep Purple ou AC/DC, peu de groupes auront atteint ce degré de célébrité. Souhaitons-leur simplement qu’ils sachent quitter la scène dans des conditions moins tragiques que le groupe de Jimmy Page et Robert Plant… et moins embarrassantes que celui des frères Young.
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1 Titre des Smiths dénonçant, entre autres, l’avidité et le mercantilisme de maisons de disques se battant à grands coups de ressorties, de rééditions et de versions remastérisées d’albums d’artistes morts ou vivants (“re-issue, re-package, […] double-pack…”). Un travers dans lequel Metallica est tombé cette année, en initiant la réédition de sa discographie sur son propre label, Blackened Recordings. ↑
2 Morceau d’Ennio Morricone, extrait de la bande originale du film Le Bon, la brute et le truand qui leur sert de musique d’entrée en scène depuis un quart de siècle maintenant. ↑