
Metallica : compte à rebours jusqu’à l’autodestruction (J – 16)
48 heures après que les « Four Horsemen » nous ont gratifiés, pour Halloween, d’un Rise, Atlas! absolument effrayant… de médiocrité, nous poursuivons, en prose et contre tout, notre parcours résolument désordonné de la discographie du plus grand groupe de hard rock du monde. Cette semaine, place à deux albums qui se taillent la part du lion dans la désormais longue liste des albums les plus décriés de leurs auteurs : le duo infernal Load et ReLoad.
DEUXIÈME PARTIE : APRÈS L’ALBUM NOIR, L’ANGOISSE DE LA PAGE BLANCHE
Avec le « Black Album », Metallica semblait avoir trouvé la formule alchimique pour transformer les métaux lourds (comme le thrash metal) en disques d’or. Après cinq ans passés à paître et se repaître du succès de ce disque, le quatuor californien tente donc de reproduire les conditions de cette expérience pour aboutir au même résultat. C’est pourquoi, malgré des relations houleuses avec leur producteur, Bob Rock, lors de l’enregistrement de l’album noir, le groupe décide quand même de travailler à nouveau avec lui. Il en résultera deux albums, Load et ReLoad, publiés respectivement en juin 1996 et novembre 1997.
Bien qu’ils soient parus à plus d’un an d’intervalle, ces deux disques sont les fruits du même arbre. James Hetfield (le chanteur-guitariste du groupe) et Lars Ulrich (le batteur) ont écrit la trentaine de chansons qui composent ces deux albums à la même époque, au début de l’année 1995. Une grande partie de titres figurant sur ReLoad ont été mis en boîte pendant les sessions d’enregistrement de Load (de fin 95 à mi-96) aux Plant Studios en Californie. Tout cela fait qu’il est impossible de ne pas les considérer comme faisant partie d’un seul et même (double) album.
Avec maintenant deux décennies de recul, en connaissant la suite de l’histoire du groupe, Load et ReLoad s’inscrivent sur une trajectoire tout à fait cohérente. Ces deux disques semblent témoigner d’un étrange désir de respectabilité. Au travers des deux heures et demie que dure le diptyque, Hetfield & co. y apparaissent un peu comme ces caricatures de mafieux trop bien habillés dans les films de gangsters. Le « problème » ici n’est pas tant que le groupe s’essaie à un autre style. L’histoire de la musique est pleine d’exemples de reconversions réussies. Le problème, c’est qu’ils essaient d’être un autre groupe.
Pendant leurs dix premières années de carrière, Metallica, c’était un groupe « Port-Salut ». C’était marqué dessus : ils jouaient du métal. Dans n’importe quel conditionnement : en format individuel dans des petits clubs ou en pot familial dans des stades. Leur apport à cette décennie était essentiellement musical, pas esthétique. À l’inverse d’Iron Maiden et ses monstres en mousse ou de Judas Priest et ses panoplies tout en cuir et en clous, par exemple. Après avoir – coup de génie ! – complètement oblitéré cette composante visuelle avec le black album et sa couverture presque complètement noire, les voilà maintenant qui se veulent prescripteurs de tendance…

© 1996, Anton Corbijn
Avec leurs pochettes en forme d’œuvres d’art contemporain1, des photos et un clip d’Anton Corbijn2, ils essaient d’être U2 et, fatalement, ils échouent. Ils finissent surtout par devenir un groupe « ordinaire » (et surtout semblable à tous les autres groupes de l’époque). À force d’inonder les radios avec des singles, les télés avec des clips… et les rayonnages des disquaires avec un nombre invraisemblable de déclinaisons des mêmes EP. Pour ceux qui, jusqu’à la sortie de …And Justice for All, avaient été pour le moins parcimonieux côté promo, le choc est rude et ressemble furieusement à un racket organisé de leurs aficionados.
Avec le « Black Album », Metallica avait fendu l’armure. Ici, ils tombent les derniers oripeaux de leur passé de métalleux pour rentrer dans le rang. En empruntant pêle-mêle au blues, à la country, au rock des années 70 et au grunge, le groupe livre une œuvre hyper formaliste. Ils mettent toute leur énergie, leur expérience et leur force de frappe au service de simples albums de rock. Le résultat est racé, puissant… et trop bien exécuté pour pouvoir être reproduit de manière convaincante sur scène3. Sans compter que l’enchaînement des nouveaux et des anciens titres sur cette tournée en particulier s’avérera pour le moins problématique.
Malgré tout, ça reste quand même deux disques estimables, à défaut d’être vraiment aimables. En partie parce que derrière leurs abords de « grosses machines », ce sont sans doute ceux sur lesquels on trouve les textes les plus personnels et les mieux écrits de James Hetfield. Il y traite de ses addictions diverses (à l’alcool sur The House Jack Built, à la drogue sur Low Man’s Lyric) ou de sa relation – qu’on qualifiera pudiquement de « délicate » – avec sa mère (Until It Sleeps, Mama Said, Fixxxer). En partie aussi parce qu’ils contiennent leur lot de riffs et de titres accrocheurs (Ain’t My Bitch ou Fuel pour n’en citer que deux)…
Au final, la balance penche davantage du côté de Load – ReLoad ressemblant vraiment à une compilation de faces B et de chutes de studio – et l’ensemble présente les défauts classiques de tous les doubles albums de la création. Les deux disques sont trop longs. Ils contiennent trop de titres redondants. Aboutissement d’un projet artistique (presque complètement raté) et musical (pas tout à fait réussi), ces deux albums méritent quand même d’être considérés avec une certaine mansuétude… surtout au regard de ce qui se profile dans une quinzaine de jours.
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1 Elles sont signées du photographe américain Andres Serrano. ↑
2 Surtout connu, jusqu’au milieu des années 90, pour son travail avec les Anglais de Depeche Mode. ↑
3 Aussi impressionnant soit-il, avec son look de superproduction catastrophe, le double DVD live Cunning Stunts est là pour le prouver. ↑
j’ai jamais apprécié le groupe, même au premier article je me suis forcé à tout écouter, mais définitivement ça fait partie des références qui sont clairement clivantes.