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Metallica : compte à rebours jusqu’à l’autodestruction (J – 23)

Metallica : compte à rebours jusqu’à l’autodestruction (J – 23)

Au cœur de l’été, le groupe Metallica a annoncé, sur son site Internet, la sortie d’un nouvel album, Hardwired… to Self-Destruct, le 18 novembre prochain. Cette dépêche s’accompagnait de la publication d’un premier extrait : le (presque) morceau-titre Hardwired. Chanson efficace, mais… terriblement quelconque et plutôt ennuyeuse, en somme. Et ce n’est pas le second clip, Moth into Flames, qui risquait de nous faire changer d’avis. Et pourtant, cette annonce a réussi à réveiller la curiosité d’un certain rédacteur au Daily Mars.

Pourquoi ? Pourquoi se soucier aujourd’hui d’un groupe comme Metallica ? Un groupe qui ne présente plus grand intérêt depuis une bonne dizaine d’années (pour les fans les plus indulgents)… voire un bon quart de siècle (pour les autres). Pourquoi ? Alors qu’il serait tellement plus facile de faire l’impasse (et au diable les clics, les stats et les pages vues !).

 

PREMIÈRE PARTIE : PROUST, CLAUDEL ET L’ŒUVRE AU NOIR

Par pure nostalgie ? Pour le simple plaisir de ressortir du placard un vieux t-shirt élimé ou une veste en jean sans manches, bardée d’écussons aux couleurs de feu nos groupes favoris ? Simple effet « madeleine de Proust » ? Non. Précisément parce que, comme pour l’auteur d’À la recherche du temps perdu, « la vertu du breuvage semble diminuer [à chaque gorgée]1 »… et après l’EP Beyond Magnetic, paru en 2011 – et sans même évoquer Lulu (2010), leur collaboration avec Lou Reed – avec Metallica, on pensait vraiment avoir bu le calice jusqu’à la lie.

Captures d'écran du film « Some Kind of Monster » de Joe Berlinger et Bruce Sinofsky (2004)Non, c’est forcément autre chose… Quelque chose de plus fort. Quelque chose de plus profond. Sinon, comment expliquer certaines réactions de fans – d’aucunes allant jusqu’à l’absurde – qui ont jalonné l’histoire de ce quarteron de métalleux californiens ? Rappelez-vous (ou ne vous le rappelez pas d’ailleurs ; on s’en charge pour vous) cette scène ahurissante, filmée à l’été 2000, où un admirateur repenti se livrait à un piétinage en règle (et au sens propre !) de sa collection de disques de Metallica. Ce, après que le groupe s’est lancé dans un procès contre Napster, Inc. Cette société avait en effet permis le téléchargement gratuit de la discographie du groupe via leur logiciel Napster. Qu’est-ce qui peut pousser ce type a priori normal – tout amateur de hard rock qu’il fût – à se comporter comme la caricature d’un amant éconduit dans une mauvaise telenovela ? Un artiste ou un groupe ordinaire, aussi talentueux ou couronné de succès soit-il, ne provoque pas ce genre de réactions… Les Beatles, les Stones, Michael Jackson, et quelques exceptions : oui.

Pour filer et affiner la métaphore littéraire, plutôt que d’aller voir du côté de chez Swann, il serait peut-être plus juste d’en appeler à Paul Claudel. Diplomate, écrivain et académicien français (en plus d’être le frère de la peintre et sculptrice Camille Claudel), ce dernier a, à plusieurs reprises au cours de sa vie, raconté comment Dieu lui avait donné la foi, le soir de Noël 1886 « près du second pilier à l’entrée du chœur, à droite du côté de la sacristie2 » de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Aux oreilles de notre jeune fan fou de colère, les titres de Metallica devaient être la pierre dans laquelle était taillé son « pilier de Claudel » – plutôt que sa madeleine de Proust – à lui. Un élément structurant, solidement ancré dans sa mémoire et autour duquel sa « musicophilie » s’est construite en tout ou partie. Ébranler cette colonne, c’est prendre le risque de voir s’écrouler tout l’édifice qu’elle supporte, de mettre à bas toute une chapelle musicale. Sans que cela prenne forcément de telles proportions, il en va de même pour nombre d’entre nous. Moins décisives (quoique…) mais aussi assurément moins dangereuses qu’une subite crise de foi, des épiphanies de toutes sortes sont souvent causées par des chocs esthétiques, plus ou moins violents. Mettez-vous en situation.

Metallica, photographié par Ross Halfin en 1991

© 1991, Ross Halfin

 

“New blood joins this earth…”

Ça se passe vers le milieu des années 90, dans un pavillon de banlieue tout ce qu’il y a de plus normal. L’Internet « grand public » n’a pas encore été inventé. La télévision hertzienne ne propose alors que cinq chaînes gratuites. Un peu plus pour les plus chanceux qui ont le câble ou le satellite. Pour ceux-là, deux chaînes musicales, dont une Américaine (MTV), à laquelle vous ne comprenez pas grand-chose si vous n’êtes pas un tantinet anglophone (et si vous n’avez pas les yeux bien accrochés… parce que, même dans le contexte, c’était vraiment vilain). À l’époque, pour une jeune personne qui commence à développer une certaine inclination pour la musique, il y a : les potes (mais il faut en avoir… qui ont un minimum de goût), la presse musicale (quand vous avez quat’ sous à mettre dedans) et, surtout, la radio. Gratuite et déversant vingt-quatre heures sur vingt-quatre un enchaînement de titres pour le moins hétéroclites. Les derniers avatars de ce que furent – dix ans auparavant – les « radios libres » sont un moyen pas pire qu’un autre de se forger, à peu de frais, une culture musicale certes superficielle mais relativement étendue. C’est par là que le ver est entré dans le fruit. Un soir, entre deux anecdotes sans réel intérêt et un peu de réclame, au milieu d’une plage de « libre antenne » (rappelez-vous : pas de Periscope en ce temps-là !). Tout à coup, un étrange son de cuivres s’élève de la petite enceinte du transistor, suivi de quelques arpèges de guitare sèche, des roulements de tambour, puis une suite de puissants accords électriques… et le mal était fait.

 

Vingt-cinq ans plus tard, le pouvoir évocateur de cette chanson est encore absolument intact. Rien qu’avec cette introduction de quelques secondes, vous voilà plongé dans une ambiance de western3 crépusculaire/post-apocalyptique (à mi-chemin entre Sergio Leone et Mad Max). Sous des allures proprettes de petite ballade bien peignée, The Unforgiven révèle une construction finalement pas si classique que ça, tout en decrescendo avec son alternance contre-intuitive entre des couplets « en force » et d’un refrain plus aérien. Comme cela a déjà été évoqué ici, le « Black Album » (difficile de l’évoquer sans penser à cette séquence du film This Is Spinal Tap de Rob Reiner) est définitivement l’alpha et l’oméga du hard rock grand public. Il a propulsé brièvement le genre au firmament avant de l’envoyer six pieds sous terre. Aujourd’hui, tout le monde connaît Nothing Else Matters. Avec Still Loving You de Scorpions et Don’t Cry des Guns N’ Roses, ce titre forme la sainte trinité des power ballads.

Pochette de l'album « Metallica » (« Black Album »)L’album noir, c’est un avion de chasse, dessiné par le chanteur-guitariste James Hetfield et le batteur Lars Ulrich, puis patiemment fabriqué, assemblé et lustré par leur producteur Bob Rock, entre l’automne 1990 et l’été 1991. La structure des morceaux, leur enchaînement… Tout concourt à faire de cet album le chef-d’œuvre du groupe (au sens du compagnonnage). Tout y est bien proportionné, harmonieux et surtout exécuté de manière à masquer la quantité de travail nécessaire à sa réalisation, à faire croire que le tout vient sans effort. Sur ce disque, le groupe s’essaie à l’art de la chanson, là où, sur ses quatre albums précédents, il s’appliquait davantage à faire de la musique (nuance assez subtile, qui sera explicitée ultérieurement). Conçu pour obtenir un succès planétaire, ce disque va atteindre et même très largement dépasser son objectif. À ce jour, il s’est écoulé entre 20 et 30 millions d’exemplaires du Black Album4. Avec le succès, l’intendance a suivi, et le marchandisage avec, entraînant le groupe dans une tournée mondiale sans fin ou presque. Quatre tournées de promotion de l’album vont s’enchaîner pendant près de trois ans et compteront plus de trois-cent-cinquante dates…

Piochant autant dans la mythologie cinématographique (le western) que dans l’œuvre de Leonard Bernstein5, cet album peut être vu comme le premier volet d’une « trilogie américaine », avec les deux albums suivants : Load et ReLoad, dont il sera question dans le prochain article de cette série.

Pendant tout le mois à venir, jusqu’à la sortie de Hardwired… to Self-Destruct, le Daily Mars vous proposera une rétrospective aléatoire, totalement partiale et subjective de la discographie de Metallica.

 


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1 Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Gallimard, 1946 (1913), p. 62
2 Paul Claudel, Ma conversion, Gallimard, 1913
3 Pas celui de Clint Eastwood, qui ne sortira qu’un an après le Black Album, mais celui de John Huston, Le Vent de la plaine. La chanson de Metallica emprunte justement le son de clairon qu’on entend au début du morceau à la bande originale de ce film.
4 Selon les sources.
5 Dont la mélodie du morceau America, tiré de la comédie musicale West Side Story, est reprise dans l’introduction de la chanson Don’t Tread on Me.

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