
Métaphysique du vampire : crocs dehors, sourire dedans
Ouvrage sur l’un de nos monstres de papier favoris, voilà une nouvelle version à la française avec un vampire aux ordres du Vatican !
L’histoire : Navarre, aussi connu sous le nom de Raphaël, est un vampire à la solde du Vatican. Un assassin. Oui, mais bizarrement, son mode de vie est assez éloigné de la doctrine papale. Sauf que voilà : il est envoyé un jour au Brésil. Sa mission ? Récupéré un ancien nazi. Jusqu’à ce qu’il tombe sur des divinités du coin et une jeune vampire assez têtue.
Mon avis : Jeanne-A Debats nous propose sa relecture du mythe vampirique, jouisseur et casse-cou, un forban, un pirate des temps modernes, avec sa propre façon de voir la vie, de gérer les morts, et les paires de fesses qui lui passent devant. S’il est agréable d’accompagner Navarre, et de découvrir petit à petit les différentes règles qui jalonnent son univers, il est parfois difficile de ne pas tiquer devant un antisémitisme expliqué par l’époque de sa transformation en créature de la nuit et qu’il essaye tant bien que mal de réprouver. Et lié à une critique de l’église, qui ne porte pas souvent le Peuple élu dans son cœur. (On le remerciera d’ailleurs d’avoir fait se taire Lancelot à ce sujet.) Et d’introduire le personnage du juif errant comme compagnon de quête. Mais il n’empêche, parfois, on se demande franchement ce que cela vient faire là, surtout que cette méfiance se retrouve dans deux récits. Ni bon, ni mauvais, appréciant son état dans toutes ses contradictions, Navarre est le genre de vampire qui laisse un peu perplexe mais qu’on ne peut s’empêcher de suivre avec un certain plaisir.
Dans cet ouvrage, plusieurs récits sont présentés. Un long, qui donne son nom au recueil, et trois nouvelles. Et c’est notamment la dernière, La Fontaine au serpent, qui retient l’intérêt. Car il est beaucoup trop rare de voir des vampires aller dans l’espace. Alors que la Terre est fichue, deux camps s’affrontent : l’une pour les nettoyages génétiques postnatals et le clonage, l’autre pour les substituts utérins. Et quand la femme à la tête de ce deuxième camp se retrouve victime d’un assassinat lors d’une tentative de conciliation en orbite, c’est à Navarre de faire la part des choses. Une nouvelle passionnante, féministe en diable, avec un personnage hermaphrodite très intéressant et fourmillant de détails qui font regretter de ne point en profiter plus longtemps.
Autour du livre : le cycle de Navarre continue, avec L’Héritière, paru aux éditions ActuSF en 2014. Jeanne-A Debats tient aussi un blog où elle écrit régulièrement.
Si vous aimez : l’urban fantasy.
Extrait : « Il ne m’aime pas celui-là, hein ? Comme souvent, car je suis peu aimable. Mais dans son cas, ce n’est pas pour les raisons habituelles. Mon côté ado provocateur, mon amour pour les alcools forts, les substances récréatives et mon manque de préjugé dans le choix – renouvelé quotidiennement ou presque – de mes partenaires sexuels de tous genres, orientations, bords et même espèces le laisse complètement froid ; car c’est un vieux curé de campagne et il en a vu d’autres dans son ancienne paroisse, un repaire de consanguins perdu dans les montagnes. »
Sortie : août 2015, éditions Helios, 365 pages, 9 euros
Tout d’abord, merci pour cette chronique.
Je me permets d’intervenir au sujet de l’antisémitisme afin de répondre à la question « qu’est-ce que ça vient faire là ? » 🙂
Eh bien parce que c’est logique, on est en 1936, la shoa n’a pas eu lieu, mais les deux héros de lance (Lance et Navarre) sont les produits de leurs siècles, ils viennent sauver des juifs, ET ils sont antisémites comme beaucoup de gens dans ces périodes-là. La question de leur réaction, de leur évolution (ou pas) par rapport à cette thématique se pose forcément à mon sens. En 1969 (métaphysique du vampire) Navarre a grandi de ce côté-là, mais la shoa et son parcours personnel sont venus lui remettre totalement les idées en place. Je n’envisage pas un personnage dans l’histoire (surtout une aussi longue histoire) sans un parcours idéologico politico personnel. Je sais que ce n’est pas l’usage habituellement dans les romans de ce type, mais je suis comme Navarre^^, les usages je les respecte quand ils m’ont fait la preuve de leur validité.
Bonne continuation
jeanne
Merci beaucoup pour votre réponse, et explication. *note la petite phrase sur les usages*. Je vous avoue que c’est peut être plus la juxtaposition des deux histoires qui m’a fait tiquer…
Après, l’explication est donnée, et c’est toujours plaisant de voire l’église se faire taper dessus, tout en gardant une nuance. Et j’espère bien continuer ses aventures, si c’est prévu, car j’ai vraiment apprécié le dernier texte de ce recueil.
A une prochaine lecture !