MGS V The Phantom Pain: No Place to Hide (Partie 1)

MGS V The Phantom Pain: No Place to Hide (Partie 1)

Note de l'auteur

Après un mois spécial Metal Gear Solid, il aurait été dommage de ne pas revenir sur le dernier épisode de la saga, et surtout le dernier d’Hideo Kojima. Mais au lieu de faire une bête critique descriptive des défauts et qualités du titre, voyons plutôt une approche analytique sans pour autant omettre les qualités évidentes du jeu en termes de gameplay. Alors comme vous vous en doutez, l’article sera riche en SPOILERS mais je préciserai les paragraphes les plus « brûlants », notamment concernant le twist final du jeu.

Sans titre-1Les premières heures de jeu sur Phantom Pain sont déconcertantes, surtout pour les fans de la première heure. Le jeu reprend neuf ans après les événements de Ground Zeroes. Big Boss est transporté d’urgence à l’hôpital après le crash de son hélicoptère et la destruction de sa base par les troupes de Skull Face (le bad guy de l’histoire). Il se réveille après un long coma, en apprenant au passage qu’il lui reste un morceau de métal planté dans la tête et qu’il a perdu son bras gauche. Comme un lundi, en somme. Après une introduction plutôt longue où Big Boss s’échappe de l’hôpital en flammes, le jeu vous largue dans la première map de l’épisode, en plein désert afghan, avec pour seul équipement un cheval et un flingue non létal. Votre but est d’aller récupérer Kazuhira Miller, votre ancien bras droit (pas littéralement), capturé par les Soviétiques. C’est ici la première entourloupe de Kojima, celle qu’on connaissait tous de toute façon. Après avoir fait progresser le joueur sur des rails pendant plus d’une heure sans jamais lui lâcher la bride (le tout dans un – quasi – plan séquence), on est livrés à nous-mêmes, complètement vulnérables. On découvre les mécaniques sur le tas, avec simplement Ocelot nous rappelant à l’ordre par radio pour nous indiquer les énormes possibilités du jeu. Et c’est petit à petit qu’on découvre combien le jeu est brillant dans son gameplay, parvenant à pousser l’infiltration à son paroxysme afin de proposer au joueur une liberté d’action faramineuse.

metal-gear-solid-5-the-phantom-pain-3C’est bien simple : alors que je pensais la licence perdue à jamais dans les méandres du fan service (voir MGS4), je parviens sans mal à retrouver les sensations de jeu que j’éprouvais sur les trois premiers épisodes. Pour faire un simple parallèle : vous vous souvenez du niveau de l’héliport dans le premier MGS ? Celui de la démo, où le jeu vous demande de vous infiltrer dans la base en choisissant votre chemin avec la découverte des possibilités du jeu, la réaction excellente des gardes, et j’en passe ? Phantom Pain, c’est cela, tout le temps. A chaque arrivée d’une base, d’un campement, je me surprends à repérer un point surélevé pour analyser la situation, trouver les gardes et prévoir ceux que l’on va extraire pour sa Mother Base, repérer les éléments potentiellement destructibles comme les radars afin de faire atterrir son hélico juste à côté, tenter de trouver mon objectif…

metal-gear-solid-v-the-phantom-pain-critique-contenu07Puis, je me rapproche petit à petit. J’attends la nuit, afin de passer plus facilement. Manque de bol, les gardes savent que j’opère souvent dans l’obscurité à cause des missions précédentes et se dotent de lunettes à vision nocturne. Pas grave, je tente une approche discrète en rampant, tout en évitant soigneusement les miradors. Je tombe sur le tunnel d’évacuation des eaux usées, l’un des points faibles de la base, histoire d’arriver directement au cœur de l’endroit. J’endors deux trois gardes que j’extrais avec mon ballon Fulton, je pose du C4 sur l’installation anti-aérienne, je cherche mon objectif, sans le trouver. Pas de soucis, je chope le premier soldat un peu trop curieux que j’aurais attiré avec du bruit : le bougre parle un dialecte que Big Boss ne connaît pas, il me manque un interprète dans mon armée. Tant pis, on envoie D-Dog qui trouve le prisonnier à exfiltrer. Je le porte sur mon dos, mais un des gardes repère du mouvement et s’approche avec sa lampe torche. Je l’endors d’un tir dans la tête. Manque de bol, son collègue que je n’avais pas remarqué préalablement voit toute la scène et alerte la base. Je pose mon colis dans un coin, fais péter mes explosifs et appelle directement l’hélico qui se posera au centre de la base. Je repousse vaillamment mes assaillants derrière mon abri de fortune en évitant leurs grenades. Certains ont des boucliers qui me compliquent la tâche. Soudain, j’entends au loin une mélodie délectable : Gloria, de Laurie Branigan. Pequod, mon pilote, arrive à point nommé et balance quelques tirs bien placés pour nettoyer la zone et rester en vol stationnaire. Je fais grimper mon prisonnier et moi-même dans l’engin et je file sous les yeux médusés des survivants qui n’ont pas compris ce qu’il s’était passé.

en_postimageCe genre de scène est classique dans Phantom Pain. Beaucoup de joueurs se sont plaints d’un jeu répétitif avec souvent les mêmes objectifs. Je ne contredis pas le dernier point, mais la répétitivité des missions viendra surtout de votre façon de jouer : si vous attaquez une base toujours de la même façon, en utilisant toujours les mêmes armes et tactiques, il y a des chances que le jeu soit vite lourd et indigeste. Mais si vous profitez des multiples possibilités du jeu et des différentes techniques, aidé par votre section R&D qui développe toujours plus d’équipement, le plaisir de jeu sera au rendez-vous. Cet exemple de mission est un parmi tant d’autres. J’aurais pu rester sur une route et la bloquer pour arrêter un camion de livraison et me placer à l’arrière sous un carton pour entrer dans la base très facilement. J’aurais pu voler un véhicule, placer du C4 dessus et foncer dans la base en sautant au dernier moment et faire tout péter lorsqu’il y avait assez de gardes autour. J’aurais pu utiliser un leurre (une sorte de Big Boss gonflable) pour faire diversion, ou même utiliser Quiet, mon collègue sniper, pour les occuper pendant que j’exfiltrais tranquillement ma cible. Je ne parle même pas de l’utilisation des cartons, poussée à son maximum. J’oublie de parler des réactions des soldats, juste formidables, qui ne sont pas plus intelligents que dans d’autres jeux du genre, mais possèdent une incroyable palette de réactions face à tous type de situations. Ils pourront aller voir seul ou à deux quelque chose de louche, suivant leur grade ou leur état d’alerte. Ils pourront appeler du renfort, vous déloger à coups de grenades ou de mortier, faire appel à un hélico de combat si les choses vont vraiment mal ou balancer une fusée éclairante de nuit pour vous repérer. C’est formidable de jouer avec des PNJs qui réagissent de façon aussi cohérente par rapport à une situation donnée. C’était déjà le cas sur les autres MGS, mais les équipes du jeu ont encore monté le niveau.

Metal-Gear-Solid-V-The-Phantom-Pain_E3-2014_01Le gros atout du titre, c’est aussi cet aspect « open world ». Je suis obligé de mettre des guillemets tant le terme open world est partiellement vrai ici, si on considère que la définition de ce genre est en référence aux titres passés. On pense aux GTA, à Witcher 3 plus récemment. Et si on doit le comparer, on se rend compte qu’il y a peu de similarités : pas de PNJs neutres (en dehors des animaux) qui vous donnent des missions ou non, pas d’événements aléatoires en dehors de ceux que vous créez, un level design exclusivement réservé à vos missions. Les deux cartes du jeu (l’Afghanistan et l’Afrique) sont deux simples maps constituées de plusieurs points représentant des postes de contrôles ennemis et des bases, avec des accès et des routes pour les relier sans forcément avoir la possibilité de grimper partout (c’est surtout vrai pour l’Afghanistan). Ce sont surtout des objectifs, des mini niveaux dans un monde gigantesque, mais participant pleinement au level design particulier du titre, celui de pouvoir prendre du recul sur sa tactique et ses possibilités. Kojima ne vous balance pas aux portes de la base, il vous laisse le soin de choisir comment y arriver. C’est renforcé par tous les éléments de cet open world. Les conditions climatiques ne sont pas là que pour l’esthétisme : les tempêtes de sable permettent au joueur de se cacher facilement et la pluie couvre le bruit de vos pas. Tout est dans l’optique de servir le joueur, et rien n’est programmé par hasard. Encore une fois, c’est la grosse différence avec les jeux occidentaux et japonais, la différence entre Metal Gear Solid V et Assassin’s Creed par exemple : privilégier le fond à la forme, privilégier le gameplay à l’esthétique. Alors que la plupart des jeux AAA guident le joueur au maximum (même dans un Witcher 3), Phantom Pain fait le pari de tout simplement faire confiance au joueur. On te largue dans une mission, tu as ton objectif, et tu choisis ton équipement, ton coéquipier et ton point de chute, à toi de tracer ta route et de devenir un héros.

1410082957382335527Cet aspect primordial du gameplay est encore plus étonnant chez Kojima qui a toujours eu tendance à prendre la main du joueur pour lui expliquer le scénario. Ici, beaucoup se sont plaints aussi de l’absence de narration, notamment avec le début du jeu qui ne développe pas l’histoire de vengeance entre Big Boss et Cipher (le plot principal du titre). Mais l’histoire est pourtant très touffue, puisqu’elle est racontée principalement par le joueur. Pour la première fois, Kojima laisse le joueur raconter sa propre expérience. Il y a tellement de possibilités dans le jeu que chaque mission et chaque déroulement sont uniques et construisent le personnage de Big Boss par les actions qu’il fait. Big Boss construit sa légende sur le terrain, et raconte son histoire pendant les missions. Il est entièrement entre les mains du joueur et cela fait que chaque histoire sera différente pour le joueur. Lorsque les joueurs discutent des choses qui les ont marqués dans Phantom Pain, ce qui revient souvent c’est la façon d’avoir approché une base de telle ou telle façon. Kojima a enfin compris que l’histoire ne se racontait pas uniquement par les cinématiques mais aussi par les actions du joueur. Un aspect pas si anodin que ça.

the_phantom_pain_hold_em_up-600x338Plus que tout autre saga vidéoludique, Kojima prouve encore une fois que Metal Gear Solid est définitivement une saga d’auteur. Tout en sachant que cet ultime épisode est censé « boucler la boucle », le bonhomme ne choisit pas la facilité et décevra tous les joueurs qui s’attendaient à voir la jeunesse des héros des futurs épisodes, les deux frères Snakes (Liquid et Solid) en tête de liste. Ils seront forcément déçus, puisque Kojima préfère livrer tout d’abord sa vision du jeu d’infiltration moderne, mais aussi de continuer à faire vivre sa mythologie, sa chronologie, un simple épisode de plus qui approfondit les personnages, fait écho aux autres épisodes mais toujours pour y répondre de manière étonnante. Kojima ne propose pas ici son jeu d’infiltration ultime, mais bien une évolution logique de son modèle sans que ce soit pour autant une finalité. On sent toute l’évolution du bonhomme au travers de tous les épisodes, et de sa vision passionnante du jeu vidéo. D’abord, un jeu d’infiltration au sens strict du terme (les anciens Metal Gear sur MSX), puis l’évolution mythologique et l’utilisation de la 3D (Metal Gear Solid), une répétition de son schéma pour mieux le détruire tout en le faisant évoluer techniquement (Metal Gear Solid 2), un changement d’environnement et une ouverture du level design (Metal Gear Solid 3), une tentative d’évolution en effaçant le concept de « se cacher » (Metal Gear Solid 4), un premier brouillon de sa nouvelle vision (Peace Walker), et enfin de l’infiltration ouverte et s’adaptant au terrain (Metal Gear Solid 5). Chaque jeu propose son style, sa vision. On peut voir Phantom Pain comme un aboutissement de ses expérimentations, mais clairement pas son objectif final. Peut-être n’en a-t-il pas, mais Phantom Pain arrive à transcender toutes ses anciennes idées pour en créer de nouvelles et surprendre le joueur.

the-phantom-pain-1Rien que le concept de la Mother Base est une idée incroyablement bien pensée. Alors que la plupart des joueurs sont restés dubitatifs sur l’intérêt des fameux ballons Fulton, il s’avère que l’utilisation de ceux-ci est excellente et permet de ne jamais perdre de vue l’expansion de l’armée de Big Boss. Que ce soit les tanks, les mortiers, les chèvres ou les containers de matériaux, tout est récupérable. Le jeu est suffisamment bien fichu pour placer vos recrues là où il faut en vous laissant quand même la main, et l’extraction peut même s’utiliser pour remplir des missions et gagner sur tous les tableaux (c’est bien plus simple d’extraire un tank que de le détruire). Au fur et à mesure du jeu, on se surprend même à analyser ses ennemis afin de ne récupérer que les meilleurs éléments et laisser les autres morts ou sur le tapis. On sait que Kojima a un discours particulièrement virulent sur la guerre. Phantom Pain se pose comme un pamphlet antimilitariste assez mesquin et vicieux : on privilégie le meilleur pour son armée, tandis que les recrues croisées sur la base agissent comme des pantins malléables, qui voient Big Boss comme un dieu vivant. Le pire, c’est qu’il parvient à ne jamais vulgariser la guerre ou jouer le rôle de moralisateur : il sait pertinemment que Metal Gear est un jeu, mais que ça ne l’empêche pas de faire réfléchir les joueurs. Autant on peut toujours penser avec les derniers événements liés à Konami que Kojima possède un ego surdimensionné (son nom apparaît très souvent dans le jeu), autant Phantom Pain est ironiquement le jeu où il s’efface le plus pour pouvoir laisser penser le joueur. Malgré ce qu’en pensent les joueurs, Phantom Pain a beaucoup de choses à raconter. Mais contrairement à Metal Gear Solid 4 qui enchaînaient les révélations d’outre-tombe pour faire plaisir à sa fan base et répondre à toutes les questions, ici Kojima n’ira jamais dans ce sens et préférera approfondir les personnages présents tout en les incorporant dans la mythologie, en livrant sa vision ultime des thèmes qui lui sont chers.

C’est tout pour cette première partie, rendez-vous demain pour la suite, consacrée à l’analyse du jeu et de ses thématiques.

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