
MIDSOMMAR : Mind Fucking
Sous le soleil éclatant de la campagne suédoise, un couple au bord de la rupture assiste aux cérémonies d’un autre âge d’une secte de babas illuminés. Après Hérédité, le nouveau chef-d’œuvre vénéneux d’Ari Aster.
Ari Aster veut te mettre le cerveau à l’envers.
Et te griller les neurones.
Avec un film d’horreur.
En pleine lumière, sous le soleil d’été de la Suède.
Simplement avec puissance tellurique de sa mise en scène qui évoque parfois la maîtrise d’un Kubrick.
Et une série de plans et de visions encore jamais vue sur un écran : une route filmée à l’envers, une porte qui ouvre sur un autre espace, le décor qui se met à vaciller, la bouffe qui prend vie et le spectateur qui commence à se recroqueviller dans son fauteuil, submergé par un sentiment d’inquiétante étrangeté qui ne va plus le lâcher lors d’une heure d’un trip hallucinogène, cauchemardesque et vénéneux.
Mais reprenons depuis le début.
On a découvert Ari Aster, 33 ans, l’année dernière avec un chef-d’œuvre authentiquement terrifiant, Hérédité, plongée dans les ténèbres d’une famille pour le moins dysfonctionnelle. Un des meilleurs films 2018, ambitieux, perturbant, définitif, qui explose le cahier de charges des habituels tâcherons de l’horreur, et la révélation d’un talent inouï, avec un Ari Aster aussitôt sacré comme le boss de l’horreur viscéral. Avec son nouveau film, commande d’une société suédoise, Aster semble prendre le contrepied de son film précédent, une œuvre solaire, en pleine campagne alors qu’Hérédité s’apparentait à un huis-clos claustro dans l’obscurité. Mais Midsommar et Hérédité sont les deux faces de la même pièce, des films jumeaux, du cinéma-trauma, des odyssées intérieures, descriptions de structures vacillantes (familles ou couple), de personnages dérangés, ravagés par le deuil. Dans la maison-piège de Toni Colette ou l’immensité de la nature nordique, Aster t’attend de pied ferme avec ses idées tordues et sa caméra-guillotine.
Pour te mettre le cerveau à l’envers.
Et te griller les neurones.
D’après Ari Aster, Midsommar est un « break up movie », l’histoire d’un échec amoureux, d’une rupture, entre Dani une étudiante traumatisée par un triple deuil et son boyfriend un peu veule, Christian, qui attend le meilleur moment pour la larguer. Au pays du réalisateur de Scènes de la vie conjugale, ça ne manque pas de sel… Car nos deux « tourtereaux » s’envolent avec d’autres étudiants en anthropologie pour passer une partie de l’été en Suède, au milieu d’une communauté rurale, afin d’assister à une cérémonie champêtre qui se déroule tous les… 90 ans. Et si on commence avec de gentils hippies habillés en blanc, avec fleurs dans les cheveux, qui dansent dans les champs en faisant la farandole, la communauté de babas pas cools va bien sûr se révéler beaucoup moins peace and love que prévu, avec une prédilection pour des rituels d’un autre âge…
Alors que depuis des années le genre est pollué par des séries Z type Annabelle, Conjuring et autres bêtises made in Jason Blum, Midsommar brise tous les codes. Le film dure 2h 20, ce qui est un format plutôt inhabituel pour un film d’horreur, refuse les jump scares et autres facilités habituelles, et se révèle résolument ambitieux comme le Suspiria version 2018 de Luca Guadagino, avec en bonus les ombres noires d’Ingmar Bergman et de Stanley Kubrick qui irradient la pellicule. Et tandis que les membres de la secte révèlent peu à peu leurs vrais visages, Ari Aster sort le grand jeu. Avec pour armes son génie de la mise en scène, ses mouvements de caméra ultra-précis, son sens de la symétrie, son travail sur la photo avec son chef op fétiche Pawel Pogorzelski qui évoque le mirifique Narcisse Noir ou la musique de The Haxan Cloak (Triple 9, Hacker) Ari Aster joue la carte du trip hypnotique. Et tandis que l’horreur se déchaîne, que le chaos devient l’ordre du monde, Aster dérègle nos sens, comme Kubrick avec The Shining, son récit labyrinthique se métamorphosant en un voyage au cœur d’une psychéblessée. La mise en scène agit comme une drogue, comme un poison qui remonte lentement le long de tes veines, contamine ton cœur, qui te plonge dans un vertige convulsif. À plusieurs reprises, Midsommar s’apparente à une expérience hallucinatoire et plusieurs fois, je me suis demandé si je voyais réellement ce qui se passait sur l’écran ou si, comme certains personnages, je n’étais pas moi aussi victime d’hallucinations. Une expérience que l’on vit rarement au cinéma.
Midsommar est d’ores et déjà un des très grands films de 2019 et la confirmation du talent étincelant d’Ari Aster.
Skol !
Midsommar
Réalisé par Ari Aster
Avec Florence Pugh et Jack Reynor
En salles le 31 juillet 2019
Midsommar est bien raté. Parce qu’il n’est qu’un slasher déguisé, qui suit trop scrupuleusement les codes et figures imposées du genre, le film assassine ses ambitions formalistes en les ramenant systématiquement sur des chemins narratifs balisés qui finissent par dissiper complétement les sentiments de désorientation et d’inquiétude existentielle qu’il avait pourtant su brillamment instiller dans la première heure et quelques du métrage. Un spectateur un minimum au fait du genre sera capable de retrouver ses repères trop facilement et démonter en temps réel les mécanismes de cette machinerie qui finit de dérailler totalement dans un finale grand guignolesque, bien moins facilement pardonnable ici que dans n’importe quel Conjuring-like, tant il amoindrit ce qui fait la grande force de l’œuvre.
Soit ce sens de l’indicible qui maintient personnages et spectateurs dans l’état cotonneux et malaisant d’observateurs, les amenant à douter de leurs propres perspectives. Doutes qui parviennent à survivre à l’évidence d’une puissante autant qu’irréelle scène de mise à mort rituelle sous l’écrasant ciel bleu suédois comme aux disparitions étranges qui s’enchaînent. Mais qui, malheureusement, s’effondrent sous le poids de passages obligés qui identifient trop clairement l’objet d’étude soumis, que ce soit cette communauté proto et post-hippie à la fois pour les anthropologues du film, ou le film lui-même pour les spectateurs.
Qui, en effet, n’a pas retrouvé ses sens ni compris ce qui allait arriver à Mark quand il décide de suivre cette charmante créature à part ? Ou quand Josh se glisse subrepticement là où il ne devrait pas au milieu de la nuit ? Qui avait besoin de voir l’aigle de sang pour comprendre ce qui est arrivé à Simon ? Et comment expliquer la soudaine et incompréhensible désagrégation de Dani d’une scène à l’autre, si ce n’est pour justifier le climax horrifique du film ?
C’est d’autant plus frustrant qu’Aster réussit beaucoup de choses par ailleurs. A commencer justement par la caractérisation de tous ses personnages, et de sa protagoniste en particulier, détruite et perdue, mais les yeux grands ouverts et jamais dupe que par nécessité, contrairement à ses camarades. Le choix de tous les présenter par le menu dans une introduction de vingt minutes, à la manière d’un drame psychologique réaliste, est risqué mais payant, permettant de souligner les accents surréalistes qui vont éventrer le film par la suite et l’irriguer d’un sous-texte foisonnant.
Les effets spéciaux minimalistes réussissent aussi à être marquants. Ils sont ce qu’ils devraient toujours rester, des outils subordonnés à la mise en scène et non une fin en soi. La chaise fleurie et les couronnes de fleurs mouvantes sont tout bonnement dingues et participent entièrement du trip hallucinatoire à l’œuvre dans Midsommar et qui était sans doute le geste à l’origine du projet.
Mais là où Aster fait fort, c’est sur le rythme qu’il imprime à son film. Les scènes prennent le temps, posent leur atmosphère et leurs dialogues avec une langueur qui interdit toute montée en tension, typique du slasher, mais trouvent d’autres moyens plus subtils d’infuser une intranquillité qui confine à la peur la plus primale affleurant sous le vernis parfait de la civilisation. Cette mise en scène égale et économe reflète très précisément la manière faussement innocente qu’ont les membres de la secte de présenter leurs traditions les plus simples comme les plus barbares. Forme et fond se rejoignent pour créer le même malaise. Et c’est pour cela que les éléments affiliés à l’horreur sont déplacés: bien qu’il soit l’intention première, le déchaînement de gore et de terreur n’est pas le modus operandi du film, et finit même par travailler contre.
Aster aurait mieux fait de garder ses distances avec l’horreur. Car si l’on doit prendre Midsommar comme un film d’horreur pur, ce que le réalisateur attend de ses spectateurs, alors le film est raté, tant sa volonté de tordre le genre entre en conflit avec ses intentions narratives et esthétiques. Raté, mais loin d’être inintéressant.
HS avec un film qui n’a à voir avec Midsommar que par sa date sortie, mais j’y ai pensé en écrivant: Promare.
Film d’animation japonais, voilà une œuvre qui joue avec son genre et le pousse dans ses retranchements, jusqu’à le transcender. Hiroyuki Imaishi, le réalisateur, qui a passé sa carrière à faire reculer les limites du nekketsu, suit avec ce film sa logique jusqu’à son stade terminal, dans un délire d’abstraction incandescent.
Là où Midsommar est incapable de faire fonctionner ses éléments diégétiques en harmonie, le moindre des choix qui constitue Promare – la surenchère hystérique du scénario qui fait exploser les enjeux toutes les quinze minutes, l’utilisation d’une technique d’animation limité qui, loin de être un pis-aller, est une recherche sans repos de l’efficience ultime du montage, le nombre d’idées de mise en scène à la minute, souvent plusieurs dans un même plan – pointe vers le même absolu de dynamisme hyperkinétique, le tout étant d’une maîtrise qui en fait une œuvre entière et cohérente.
Le film est bien hermétique, et son intérêt doit probablement échapper à 97.8% du public fréquentant les salles de ciné, qui le trouverait bien abrutissant, mais il réussit la où Midsommar, à mon sens, échoue.