Molly Southbourne : longue vie à la nouvelle chair !

Molly Southbourne : longue vie à la nouvelle chair !

Note de l'auteur

Après Les Meurtres de Molly Southbourne, Le Bélial’ en publie la suite directe, La Survie de Molly Southbourne, toujours dans sa collection “Une heure-lumière”. Sang qui multiplie la vie, l’existence comme un virus… Ce conte de fée noir donne envie d’en savoir plus.

L’histoire : Qui est Molly ? Une jeune femme frappée de la pire des malédictions, morte dans l’incendie de son domicile… Et pourtant là. Semblable mais différente. Qui est cette Molly ? Certains veulent la voir disparaître. D’autres brûlent de la capturer, de percer à jour les secrets de sa nature étrange. L’objet d’enjeux qui la dépassent, voilà ce qu’est Molly. Condamnée à fuir, à tenter de survivre. Avant de peut-être, enfin, apprendre à vivre.

Mon avis : Dans Les Meurtres de Molly Southbourne, Tade Thompson perdait volontairement son lecteur d’emblée de jeu, pour le rattraper in extremis et l’emmener, main dans la main, dans un univers hors du temps. Soulignons au passage la qualité de la traduction de Jean-Daniel Brèque, qui a dû jouer avec précision avec le français, les pronoms, les attributs, pour laisser planer le doute dans les premières pages.

À cinq ans, dans la ferme qui porte son nom, Molly Southbourne nomme à son tour les animaux, telle une Ève des temps modernes – on apprendra plus tard, par quelques détails à peine, qu’on se situe dans les années 1980, mais toute l’atmosphère du diptyque de Molly dessine un monde résolument hors du temps.

Molly ne vit qu’avec ses parents et ne peut sortir de la propriété. Elle se sent souvent seule « comme s’il n’y avait personne d’autre au monde ». Comme une Ève sans Adam, dont les parents seraient à la fois les gardiens, les instructeurs, les matons. Des parents eux-mêmes mystérieux (« Sa mère sait plein de choses sur le feu »), dont elle ne remet pas en question l’enseignement plutôt extrême. Sa mère, surtout, lui apprend à se battre, ou plutôt à survivre.

Les règles sont aussi claires qu’étranges :

Si tu vois une fille qui te ressemble, cours et bas-toi.
Ne saigne pas.
Si tu saignes, une compresse, le feu, du détergent.
Si tu trouves un trou, va chercher tes parents. »

Véritable conte de fée noir, Les Meurtres/La Survie déploie son arrière-plan de frères Grimm pour soutenir un récit cru et violent. Le sang est bien sûr associé aux menstruations (« les larmes d’un ventre déçu »), comme dans La Compagnie des Loups et Le Petit Chaperon rouge. À la fois, donc, possibilité de procréer et impossibilité de le faire dès à présent. Le sang qui s’écoule de Molly engendre d’autres mollys – je n’en dirai pas plus pour ne rien divulgâcher.

On retrouve néanmoins, notamment dans les explications scientifiques du 2e tome, le même genre de préoccupation qui est au centre de Rosewater, un roman de Tade Thompson (publié en France dans la collection Nouveaux Millénaires de J’ai Lu). En l’occurrence, le motif d’une race extraterrestre qui envahit les humains au niveau cellulaire, ainsi que le souligne l’auteur lui-même dans l’interview publié à la fin des Meurtres :

Si Rosewater a pour sujet ce que j’appelle une douce apocalypse cellulaire, Les Meurtres de Molly Southbourne s’attache à ce que nous nous faisons pour survivre. »

Tout tourne autour de ce que Tade Thompson appelle les « occurrences d’horreur corporelle de bas niveau » :

Quand il est question du corps, la violence est quotidienne. Je ne pense pas à l’horreur corporelle comme un sous-genre lorsque j’en écris. À mon sens, néanmoins, le corps est la source d’une grande angoisse pour chacun d’entre nous. On se rase (les jambes, les aisselles, les joues) en appliquant une lame sur notre peau ; vous faites peut-être du sport, ce qui vous cause de la douleur ; peut-être faites-vous un jeûne ou un régime, et vous vous privez ; peut-être votre travail implique-t-il pour vous de rester réveillé. Si on y pense ainsi, la vie elle-même peut se résumer en occurrences d’horreur corporelle de bas niveau – tout le temps. Pour écrire de la fiction, il suffit d’exagérer ce qu’il se passe naturellement. »

Le terme « règles » adopte en français, dans ce cadre, une polysémie assez intéressante. Menstrues, donc, mais aussi règles atypiques à suivre pour survivre, ainsi que règles à transgresser pour assurer cette même survie : « Laisse aux sportifs le soin de se soucier des règles », lui conseille sa mère. On pense ici au Bushido et à la façon dont il faut le suivre ou le dépasser pour en respecter l’esprit, tel qu’exploité par Alejandro Jodorowsky et Juan Giménez dans leur séminale Caste des Méta-Barons. Une saga fantastique où, au passage, on observe une insémination magique par une goutte de sang.

Lorsque Molly poursuit ses études à l’université, les mollys la suivent et gagnent en ruse, en sophistication. Le temps, donc, est un facteur déterminant. À partir d’un motif simple et usé jusqu’à la corde (menstruations/menaces), Tade Thompson développe tout un système narratif solide, vaste et profond. « Pourquoi ai-je survécu ? », s’interroge Molly. « Ce cycle ne fera que se répéter. » Le terme « cycle » résonne forcément, ici, de façon particulière…

Le lien avec le Frankenstein de Mary Shelley est tout aussi évident. Créer du vivant à partir du vivant, pour avoir ensuite quelle relation avec sa créature ? Une relation de conflit, de massacre, ou une attitude d’amour et d’acceptation ? Voilà l’horizon qui s’ouvre dans le 2e tome, La Survie de Molly Southbourne. Car malgré sa propre mort, Molly survit. Toujours survit.

Et l’on pense aussi à David Cronenberg pour ces excroissances du corps, ces Créatures enfantées dans des ventres non maternels. Ces pensées faites chair, ces infections qui grandissent et qui, comme dans The Brood, incarnent une colère, une histoire de la violence, un parasitage de l’intérieur. Les passages retranscrits des vidéos du Pr Down ne sont pas sans rappeler Jeff Goldblum dans The Fly.

Avec Tade Thompson, la tapisserie tient aussi par ses menus détails. Et parfois par ses anomalies, insérées discrètement, peut-être pour décontenancer inconsciemment le lecteur inattentif. Comme des miettes de pain éparpillées sur le chemin de la forêt où le père veut abandonner ses enfants. Par exemple, cette internée dotée d’une pomme d’Adam. Ou cette nouvelle lune supposée éclairer un ciel nocturne.

Le diable est dans le détail. Et dans ce diptyque (on attend la suite !) aux atmosphères de giallo britannique, le diable est partout.

Les Meurtres de Molly Southbourne/La Survie de Molly Southbourne
Écrits par
Tade Thompson
Traduits par Jean-Daniel Brèque
Édités par Le Bélial’

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