
Mon père, ce héros (critique de Hugo Cabret, de Martin Scorsese)
Parfois crispant, souvent émouvant, ce faux « conte de Noel » attend sa seconde moitié pour vraiment nous emporter grâce à la magie du personnage de Méliès et le vibrant hommage sous-jacent de Scorsese à son propre papa.
Ca commençait bien mal entre Hugo Cabret, ses bandes annonce et moi. Après la régression spielbergienne déguisée en (authentique) révolution technologique sur Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne, voir Scorsese virer papy gâteau dans un « conte de Noël » à Oscars entre Oliver Twist, Sous les toits de Paris et une pincée d’Harry Potter me laissait fort marri. De la bonne grosse meringue en relief avec CGI compris, servie avec sa B.O fourrée aux chœurs soprano pour napper le tout du merveilleux sirupeux de rigueur. Bon, fausse alerte, ou presque. Comme souvent et heureusement, l’aguiche et l’affiche furent trompeuses, cette fois dans le bon sens : Hugo (titre en V.O) est une bonne surprise même si, contrairement aux panégyriques caviardés de superlatifs criés par certains (les mêmes qui encensèrent sans condition Tintin…), on va éviter de sortir abusivement le tampon « chef-d’œuvre ». Magnifique dans sa forme, souvent poignant dans le fond, Hugo Cabret pêche cependant par une écriture un peu trop confite dans sa béatitude devant le sempiternel Paris muséifié par nos amis américains.
Le plus crispant dans l’affaire : les effluves sonores flonflonnisantes et accordéonisées d’Howard Shore, coulées dans le moule rassurant d’un Paris de l’entre-deux-guerres idéalisé, « Améliepoulien », visuellement somptueux mais aussi réaliste qu’une maquette de boule à neige. On suppose que la gare du film est celle de Montparnasse (où Méliès a fini comme vendeur de jouets avant d’être tiré de l’oubli par le journaliste Léon Druhot), mais son nom n’est jamais cité, Scorsese préfère en faire une gare fictive, un kaléidoscope fantasmé. Un petit arrangement avec la géographie sans gravité, à l’image des approximations historiques délibérées concernant Méliès. Mais avant qu’enfin les enjeux se concentrent sur l’immortel auteur du Voyage dans la lune, on passe pas loin d’une bonne heure à suivre l’errance d’un Hugo (Asa Butterfield) jouant les taupes dans les entrailles de la gare machin, traqué par l’impitoyable chef de gare guignolesque (Sacha Baron Cohen). Certes, côté mise en scène, c’est la fête : Scorsese s’amuse autant que Spielberg dans son Tintin, avec notamment un fulgurant prologue muet où la caméra zig zague, tournoie, virevolte dans tous les axes possibles pour une première visite des lieux. Sa réal’ toujours aussi surnaturelle d’inventivité regorge de détails mettant en valeur une 3D particulièrement belle et intégrée au récit. Après cette flamboyante ouverture, le temps s’étire hélas et la quête d’Hugo, obsédé par le mystère entourant un automate inachevé de feu son papa horloger, peine à sortir des rails d’un certain ronron malgré le caractère charmant des seconds rôles croisés dans la gare.
Heureusement, il y a Georges Méliès (foudroyant Ben Kingsley), introduit dans le film comme un vieillard aigri moisissant dans sa petite échoppe au fond de la gare, entre ses jouets et quelques reliques de sa gloire passée. C’est à travers lui, hélas un peu tard mais c’est toujours mieux que jamais, que Hugo Cabret inverse la vapeur du conte joli mais impersonnel, pour enfin raccrocher les wagons de la filmo scorsesienne. La rencontre entre le vieil homme et l’enfant, et le bouleversant « échange de bons procédés » qui va lier les deux personnages dans la seconde partie du film, donne l’occasion à Scorsese d’un poignant cri d’amour à ce cinéma qu’il chérit depuis toujours. Mais plus encore que cette évidence de cinéphiles, c’est certainement à son propre père que Scorsese semble aussi déclarer une éternelle reconnaissance. Ce Luciano Charles Scorsese qui emmena si souvent le petit Marty dans la salle du Loew’s Commodore, en plein Lower East Side, pour des après-midis ciné en forme de rituels. Les Ensorcelés, Le Jour où la terre s’arrêta, La Chose d’un autre monde, Les Chaussons rouges… Au fil des séances avec son père, le catholique Martin Scorsese se découvrit une nouvelle religion, vivant chaque projection aussi pieusement qu’une messe à l’Eglise. Amusant au passage de constater à quel point la gare d’Hugo Cabret, celle qui héberge le gamin et la boutique du vieux Méliès, a des allures de cathédrale.
L’importance de papa Scorsese aux yeux de son fiston se mesure à ses nombreux petits rôles dans la filmo de ce dernier, de Raging Bull au Temps de l’innocence en passant par La Couleur de l’argent, After Hours, Cape Fear ou Les Affranchis. Il était aussi le « héros », avec son épouse, du documentaire Italianamerican tourné par Scorsese en 1974. Un « je t’aime, papa » en pointillé marque ainsi toute l’œuvre du cinéaste, qui doit littéralement sa vocation à son géniteur, plus encore qu’à Méliès à proprement parler. Hugo Cabret, dont la puissance émotionnelle appelle inexorablement les larmes dans sa dernière demi heure, offre évidemment à Scorsese l’occasion d’un magnifique hommage à Méliès, l’héritage de son cinéma et la féérie du muet. Mais aussi, une fois encore, de remercier tout simplement son propre père.
Ecrit par John Logan (X-Men, Gladiator, L’enfer du dimanche… pas un bracass’, le gars), d’après le roman pour enfants « L’Invention de Hugo Cabret » (de Brian Selznick, 2007), le script ne pouvait que parler au cinéaste, qu’il s’agisse de son ode à Méliès ou de la quête d’un père disparu. Candide, ultra romantique, Hugo Cabret est le premier film aussi lumineux de Scorcese depuis le génial Alice n’est plus ici. Une fable certes hantée par la tragédie (deux personnages ont perdu des proches pendant la Grande Guerre) et la détresse, mais dont les âmes blessées seront toutes sauvées par l’amour, quel qu’il soit. Heureusement loin de la bûche lourdingue teintée de fantastique vendu par son marketing, Hugo Cabret n’est donc pas un conte pour enfants – essayez toujours d’y traîner des moins de dix ans mais franchement je doute. C’est un film pour adultes encore perméables à la magie de l’enfance et capables, le sourire niais et l’iris humide, de se réjouir simplement qu’à la fin, un vieil homme oublié et un gosse abandonné renouent avec le bonheur de se sentir à nouveau aimés. Un film d’amour et de gratitude. Merci, papa !
End of transmission
HUGO CABRET, de Martin Scorsese (2h08). Sortie nationale le 14 décembre.
bon, à te lire au final, c’est un putain de bon film
je fait mon maitre capello : à noter la répétition de Raging bul dans la même phrase dans l’avant dernier paragraphe.
Et tu fais bien !!! Erreur corrigée, misère de ma distraction de Bubulle. Merci !
Bon, je vais pas revenir sur le film, une merveille, mais juste comme ça en passant, Scorsese déplore que le film soit vendu comme un « film de Noël ». Voilà voilà…
Et bien me voilà rassuré, le nom de Scorsese sur une une affiche « Narnia-like » m’avait effrayé de prime abord. Je vais malgré tout profiter du marketing « conte de Noël » pour y emmener mes filles, sous couvert de sortie familiale…oui, je sais, c’est lâche, mais le temps libre d’un père de famille ne me permet pas d’aller si souvent au cinéma (sortez les violons :-P)
Juste un petit ajout, j’ai été voir « Hugo » avec ma fille de 7 ans qui a adoré. Comme toi John, la première partie ne m’a pas passionné mais la deuxième partie m’a littéralement emporté et m’a arraché quelques bonnes grosses larmes. Merci Ben Kingsley, Martin Scorsese et John Plissken, biensûr ;).