
MOVIE MINI REVIEW : Only Lovers Left Alive
C’est quoi être un réalisateur culte ? Et comment réussir à sortir de ce statut aussi envié que restrictif ? Totalement perdu depuis son magnifique testament romantico-mélancolique BROKEN FLOWERS, l’immense Jim Jarmusch revient avec son film de vampires à lui.
Le vampirisme, ce thème matriciel et hautement casse-gueule du cinéma. De Dario Argento à Abel Ferrara, sans oublier les Charlots, les plus grands formalistes se sont brulés les ailes en essayant de s’approprier ce genre iconique. Et Jarmusch rejoint ses pairs illustres au cimetière des cinéastes décrépis morts au champ d’honneur.
Adam et Eve (huhuhu) sont deux vampires vivant éloignés l’un de l’autre. Elle vit à Tanger avec ce qu’il reste du poète élisabéthain Christopher Marlowe, lui joue les rocks stars inaccessibles mythiques dans le stupéfiant désert urbain qu’est devenu Detroit. Ils vont se retrouver et rien branler du tout, excepté écouter du vieux rock en picolant du sang dans la nuit noire et obscure de leur pauvre vie d’immortels.
Jarmusch se noie irrémédiablement dans un fétichisme nostalgico-retro-rock’n roll bidule. Ce truc est un spectacle triste et affligeant. Un film de vieux con aigri boursoufflé de coolitude frelatée et dévorée par les mites du temps qui passe. On assiste aux déambulations de vieux rockers chevelus fatigués et fatigants, tout le temps en train de prendre des poses de mannequins dépressifs sortis d’une publicité de fringues minables fabriquées par des enfants chinois réduits à l’esclavage. On est en pleine autarcie autistique artistique. Dans une orgie de branchitude arthritique passéiste, dans un trip hors du temps. Jarmusch semble s’être détaché du monde moderne. Son cinéma vit replié sur lui-même et les fantasmes d’un passé magnifié qui n’a jamais existé. Son truc est un décalque rock-a-billy et dépressif d’ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE. Les fantômes de Buddy Holly et d’Eddie Cochran flottent autour de ce couple usé par l’éternité.
Jarmusch filme malgré lui l’agonie d’un esprit rock (allant d’Elvis à Jack White) qui se meurt aussi inéluctablement que ces deux vampires allergiques au shampooing. Doublé d’une allégorie lourdingue sur l’addiction… Ces vampires ne sont finalement que des vieux cons réacs comme les autres. Dépourvu du moindre rythme et du moindre intérêt, porté par des acteurs qui semblent franchement se demander ce qu’ils foutent là, ONLY LOVERS LEFT ALIVE rend mal à l’aise. Comment un cinéaste aussi passionnant et moderne que Jarmusch a-t-il pu se fourvoyer comme ça ? Comme une complainte de dinosaure abandonné sur une aire d’autoroute un jour de départ en vacances qui cherche désespérément à se faire remarquer… C’est triste bordel… Très triste…
En salles depuis le 19 février
2013. USA/Grande-Bretagne/France-Allemagne/Chypre. Réalisé par Jim Jarmusch. Avec Tom Hiddleston, Tilda Swinton, Mia Wasikowska…
Ha cher Docte Docteur,
Quel dommage que les seuls amoureux encore en vie n’aient pas trouvé échos en ton coeur tout desséché.
Pour reprendre le terme de testament de ta critique, c’est celui de Jarmusch que voici.
Celui d’un homme qui n’est plus dans son époque et qui trouve dans les vampires, toujours en décalage, une projection de lui-même.
C’est une thématique forte liée au vampirisme, abordée dans « Lestat » d’Anne Rice. Et cette thématique est une analogie de la situation dans laquelle se retrouve Jarmush.
Tu as raison Jarmusch filme l’agonie du rock, et la sienne.
Il y exprime son dégoût de notre temps : la consommation outrancière (les zombies), la corruption de l’alimentation (la provenance du sang), l’écologie (villes dépeuplées).
C’est sûrement un film savant, on y trouve des dizaines de références aux arts, à la science (c’est la première fois que j’entends parler d’intrication quantique dans un film). Il joue sur le tableau : les plus humanistes ne sont plus des humains.
On peut le critiquer pour cela, peut être trop intellectualisant pour un film qui repose sur la sensation du sang chaud qui coule.
Mais il ouvre un thème intéressant : quand on est immortel quel est l’intérêt peut-on trouver à la vie. Avec une réponse en creux : l’amour ou plutôt le lien à l’autre (l’intrication) qui lui reste intemporel. Lien qui nous change en même temps qu’il change l’autre.
Moi, j’ai aimé ce film, sa BO que j’écoute en boucle (« Sola Gratia » en priorité) et son esthétique gothique.
(PS : on peut imaginer que l’état pitoyable de leurs cheveux est lié à la non synthèse de la vitamine D qui nécessite la lumière du soleil).
un grand merci pour cette magnifique « contre-critique »!
Le truc qui me gène fondamentalement dans ce film c’est son imagerie rock que je trouve hautement caricaturale. Un rock n’roll 50’s fantasmé et symbole d’une liberté qui n’a jamais vraiment existé. Comme l’illusion anarchiste punk d’ailleurs. Que des mouvements sympathiques mais jamais jamais révolutionnaires! Mercantiles, ouais!
Très certainement. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici de nostalgie.
Adam est un fétichiste qui idéalise l’époque où il s’est épanoui.
D’ailleurs, Jarmusch s’en moque, et montre qu’il n’est pas dupe, quand il lui fait dire que le dos de la guitare qu’il s’est achetée (une fortune) est une cuvette de chiottes.