
Music Mini Review : Iron Maiden – The Book of Souls (Parlophone)
Dans un précédent article, Aymeric Barbary avait déjà pu vous livrer ses premières impressions sur The Book of Souls, après une unique écoute en compagnie de Bruce Dickinson. Aujourd’hui, quelques jours après la sortie du seizième album de Iron Maiden, il est temps d’ouvrir ce Livre des Âmes plus en détail et révéler ce que les Anglais ont à raconter quarante ans après leur débuts.
Lorsque l’on s’apprête à ouvrir ce livre, peut-on se sentir interloqué par un Eddie arborant des peintures mayas sur le visage, fixant l’auditeur d’un regard abyssal ? Et tout au fond de ces sombres orbites brûle une lueur rouge, ardente comme un feu qui n’a pas décidé de s’éteindre. Ce feu, c’est la volonté intacte des Anglais de continuer à produire des albums. Comme aux premiers jours. A repousser l’âge légal de la retraite et envoyer au cimetière tous ces groupes victimes d’acharnement thérapeutique (Metallica, au hasard). Le vaisseau Maiden a souffert de nombreuses avaries au cours de son existence. La dernière a bien failli conduire les Anglais à reposer les armes et s’avouer vaincus. Un cancer de la langue pour le chanteur, Bruce Dickinson, dont l’issue heureuse n’aura coûté que sept petits mois de retard sur le planning.
Le seizième album de la vierge de fer est un livre. Un livre épais, dense, fastueux, opulent où pendant onze chapitres, nous assistons à une lecture des âmes. Des âmes aux vertus inoxydables quand elles prennent la forme des membres du groupe et qu’un opus célèbre avec révérence. Lors de son écoute, Aymeric Barbary reprochait à l’album de montrer avec insistance « qui faisait quoi ». Avec davantage de recul, peut-on se surprendre à penser que derrière cette évidence se cache l’idée motrice de The Book of Souls ? Les âmes ainsi dessinées, désignées, s’illustrent dans une zone de confort et célèbrent le passé comme un travail commémoratif. Onze chansons pour un groupe qui a entrevu sa propre mortalité et cherche à la confronter en dressant un travail mnémique.
Nous retrouvons des tics d’écriture, mélodies familières, réminiscence et architecture classique dans une suite de compositions où pièges de la nostalgie et de l’autocitation excessive seront évités. The Book of Souls n’est pas un album musée mais on peut y reconnaître l’empreinte de Steve Harris sur The Red and the Black ; l’introduction de Wasted Years sur celle de Shadows of the Valley ; les compositions courtes et riffs Hard ‘n Heavy de Adrian Smith ; la guerre (Death of Glory, When the River Runs Deep)… Un mimétisme tout sauf outrancier dont le principal défaut sera d’empiéter sur les facteurs découverte et innovation. Pour tous ces effets miroirs légèrement déformés, le groupe sait appuyer là où ça fait du bien. C’est un tunnel de six minutes de musique sur The Red and The Black qui galvanisera l’auditeur ; c’est un Bruce Dickinson capable de prouesses vocales sur des chansons qui ne le ménagent pas (The Great Unknown, The Book of Souls, The Red and the Black) ; ce sont des guitaristes funambulesques lors de soli acrobatiques ; c’est l’émotion qui jaillit des larmes d’un clown (Robin Williams) quand Bruce voulait tous les tuer sur Balls to Picasso (Shoot all the Clowns) ; c’est l’un des plus beaux refrains de Maiden sur le bancal The Man of Sorrows ; ce sont les 18 minutes de Empire of the Clouds.
Bruce Dickinson l’a annoncé, il souhaite enregistrer encore un autre album après The Book of Souls. L’homme a encore soif et peut-être pour cette raison, ses deux compositions solo (une première depuis Powerslave en 1984) sont celles qui bouleversent les habitudes et rappellent l’imagination bouillonnante du frontman. Ce n’est pas non plus un hasard si, dans ce livre à la structure impeccable, ses deux chansons ouvrent et ferment ce Livre des Âmes. Initialement prévus pour son septième disque solo, il faudra remercier Steve Harris pour leur présence indispensable à un album qui regarde un peu dans le rétroviseur.
If Eternity Should Fail ne réinvente pas la roue de la New Wave of British Heavy Metal mais porte bien l’empreinte de son auteur. Cueillie par des vapeurs synthétiques, elle annonce de façon très cérémonieuse l’âme d’un homme. Quelle meilleure introduction pour un livre qui entend les recenser ! La suite est du Dickinson / Maiden dans le texte jusque dans une rupture de ton bienvenue et habile par sa façon de retomber sur ses jambes. Une construction symétrique comme la chanson s’éteint sur une autre impression surnaturelle. Le chanteur aime repousser les murs du Heavy Metal, il décide de les abattre sur Empire of the Clouds. Plus longue composition de Iron Maiden avec ses 18 minutes, la chanson attire regards comme curiosité. Une singularité confirmée quand les premières notes de piano s’envolent, accompagnées par des arrangements symphoniques et soulignées par la basse de Steve Harris et les apparitions discrètes des trois guitares par touches infimes et impressionnistes. La suite est une pièce monumentale, opératique, narrant l’avènement et la chute du dirigeable R101. On traverse ainsi tempêtes et bourrasques jusqu’à une issue tragique où culmine un Dickinson en apesanteur. 18 minutes intenses qui filent comme le vent où l’on aura pu succomber aux souffles de cuivres, aux déchirures de cordes, à un Nicko McBrain en patron le temps d’une transition homérique et un groupe acquis à la cause de leur chanteur.
The Book of Souls n’a rien d’une épitaphe. Au contraire, jamais Iron Maiden n’aura sonné aussi vivant. Du travail de compositions/enregistrement en studio au mixage très rugueux de Kevin Shirley, les Anglais ont privilégié une approche live. Comme si, aux fantômes du passé, la vierge de fer avait choisi pour exorcisme, la capture de l’instant, la spontanéité. C’est peut-être aussi l’unique limite du disque : un léger manque de recul qui aurait pu corriger certains gestes trop familiers. Après quarante ans de carrière et seize albums, peut-on seulement le leur reprocher ?
Iron Maiden – The Book of Souls (Parlophone), sorti le 04 Septembre 2015
En ecoute depuis quelques jours en streaming sur napster. j’attends d’avoir les CDs et une écoute au calme avec une bonne qualité audio pour pouvoir si c’est un très bon album ou un monument…
Mais bon in peut dire d’ores et déjà qu’Empire of the Clouds est un des plus grands morceaux du groupe (et pas qu’en durée…).