NBC, grandeur et décadences (5/7) : Jeff Zucker, le fossoyeur

NBC, grandeur et décadences (5/7) : Jeff Zucker, le fossoyeur

Cet été, la rédaction du Daily Mars vous propose un dossier spécial en sept épisodes sur une grande chaîne américaine, NBC. Si on la connaît surtout pour ses déboires actuels et ses audiences parfois risibles, elle fut par le passé la chaîne numéro 1 aux USA. Et celle qui fit réaliser au grand public que produire de la télévision de qualité pouvait être une démarche payante.

A cette occasion, nous parlons de la chaîne via ses œuvres, en partant des années 80 pour arriver à nos jours. Aujourd’hui, nous explorons une période pleine de contrastes, les années 2000, en se concentrant sur des séries qui ont entretenu l’identité d’un network vraiment à part.

Attila Zucker. Là où il passe, les succès ne repoussent plus.

Un golden boy. Un destin incroyable. Jeff Zucker a gravi tous les échelons à NBC. Entré pour faire des recherches pendant la couverture des JO sur la chaîne en 1986, il passe au Today Show en 89 avant d’en devenir le producteur exécutif en 1992. A 26 ans. Il y fait preuve d’une grande créativité, révolutionne le format, et en fait un monstrueux succès d’audience. Alan Sepinwall explique : « Les dirigeants se sont dit que s’il excellait aux infos, il excellerait aux divertissements, ce qui n’est pas forcément le cas. »

Jeff Zucker prend la suite de Scott Sassa en 2002. L’homme est décrit comme étant agréable, ne criant jamais, aimant la vie (il a survécu à deux cancers du colon). Quand il arrive aux commandes de la programmation, sa feuille de route est claire : continuer de toucher les dividendes des succès précédents, amener de futurs hits (et il insistait sur le fait qu’ils allaient être plus aventureux, plus novateurs que tous les autres), et surtout, laisser NBC en position de numéro 1.

Le bonhomme possède une force d’auto-persuasion sans nom, mais souffre d’un défaut monumental, d’après Alan Sepinwall « Le fait est qu’il a des goûts catastrophiques en terme de séries télévisées. Il pensait qu’Emeril (série sur un chef cuisinier avec un vrai chef cuisinier dans le rôle principal, comme si chez nous on faisait Etchebest) allait devenir un succès. »

Il le dit lui-même, la plus grave décision qu’il ait eu à prendre fut de savoir s’il fallait, ou non, continuer Friends en filant une rallonge monumentale aux acteurs. « Thank God we did« , avouait-il sur le site KatieCouric.com. Pourtant, un de ses objectifs était de trouver un remplaçant. Pour perpétuer la tradition de la chaîne. Sepinwall, à nouveau : « Quand il est arrivé aux commandes, la chaîne avait toujours certains grands succès de l’époque Littlefield, comme Friends, Frasier, ER, Will and Grace… à partir de Tartikoff, ils avait toujours eu l’habitude de renouveler les talents. Cheers arrive en bout de course ? ils développent Frasier et Seinfeld. Law and Order devient un succès ? ils développent des spinoffs. Les succès étaient suivis d’autres succès. Zucker arrive, essaie de développer de nouvelles séries, et se rate complètement, prouvant qu’il n’en est pas capable. »

Ces successeurs désignés pour les 6 amis du Central Perk ? Parlons-en…

GOOD MORNING MIAMI (2002-2004)

Welcome to… The Zucker Show !!!!

La première et peut-être la plus croquignolette. Good Morning Miami raconte l’histoire d’un jeune homme, Jake Silver (Mark Feuerstein), qui vient à Miami et prends les rênes d’une émission d’infos qui végète pour en faire un succès. Rappelons que Jeff Zucker a commencé en changeant les habitudes d’une émission d’infos pour en faire un succès. Et que Jeff Zucker vient de Miami.

La première décision d’importance de Zucker aura été de mettre à l’antenne un show (pas tout à fait, mais quand même) sur sa vie. Chapeautée par l’équipe de Will and Grace, la série aura été un bide, mais sera restée à l’antenne un an et demi. Tradition NBC, on donne sa chance aux futurs succès.

Sauf que là, ce n’en fut pas un (les critiques n’étaient pas bonnes non plus, il faut dire). Elle restera dans l’histoire comme un monument de l’expression de l’égo d’un dirigeant de chaîne. « Ma vie est cool, faisons-en une série ! »

 

COUPLING US (2003)

« On ne fait pas exactement la même photo promo que friends, hein ?
– La ferme et souris »

« This is not… I repeat… this is not an american sitcom ». Ces mots vous les avez entendus dans la série Coupling UK, l’originale, issue de l’esprit brillant de Steven Moffat. 3 hommes, 3 femmes, des blagues sur la vie de couple. Jeff Zucker devait se dire qu’il avait gagné au loto. Rien à réfléchir, il suffit de faire un remake. Il ne sera pas taxé de plagiat de Friends vu que la série vient d’Angleterre. Le casse parfait.

Sauf que ça se casse la gueule. Le casting, pas trop mauvais, ne fonctionne pourtant pas. Le passage d’un continent à l’autre semble avoir siphonné tout l’esprit de la série. Mais pourquoi ça n’a pas marché ? C’est encore Steven Moffat qui en parle le mieux.

“Je peux répondre en trois lettres : N-B-C. Excellente équipe d’écriture. Casting formidable. La chaîne a tout foutu en l’air en intervenant sans arrêt. Si vous voulez qu’un truc marche, ne bossez pas avec la team de Jeff Zucker parce qu’ils ne sont pas drôles… Je pense pouvoir dire ça vue la manière dont NBC a tout mis sur le dos de l’équipe créative de la version américaine après que ça se soit planté. C’était sans classe. Une traîtrise. Du coup ça me fait plaisir de leur casser du sucre sur le dos.”

 

JOEY (2004-2006)

Un jour, si tout se passe bien, tout le monde aura oublié Joey. Au mieux, on se demandera s’il n’y avait pas un téléfilm après Friends qui montrait Joey Tribbiani à Los Angeles. Et pas 46 épisodes sur 2 saisons.

« Vous restez ? Non ? Pourquoi ? »

Après avoir payé comme un fou le casting de Friends pour qu’il reste plus longtemps, Zucker prouve, non pas qu’il est à court d’idées, mais qu’il n’en a jamais eu (au moins créatives). Joey est un ratage absolu, une tentative piteuse d’étendre la vie d’un succès mondial en le laissant sous respirateur. Une série-légume qui s’effondrera toute seule (l’habitude ne fait pas tout dans les audiences), annulée vers la fin de la seconde saison, laissant quelques épisodes non diffusées.

Depuis l’arrêt de la saga Friends, on entend parler très souvent du retour de la série, toujours à tort. Peut-être parce que se dire que tout s’est fini comme ça est un bien triste constat.

Sepinwall enfonce le clou « Jeff Zucker n’a pas trouvé de nouveaux succès, mais à la limite ça ne l’intéressait pas. Les anciens shows arrivent en fin de vie, disparaissent de l’antenne avec rien pour les remplacer. Il se retrouve avec un network qu’il laisse pourrir. Paradoxalement, quand il était à la programmation, la chaîne était toujours numéro 1. Ca n’est que lorsqu’il est parti, et que d’autres se sont retrouvés à gérer avec le bordel qu’il avait laissé, que la chaîne a chuté. De plus, pendant son règne, d’autres divisions de la chaîne se portaient très bien. USA, ou d’autres chaînes câblées qui appartiennent au groupe se sont vraiment développées, même s’il est compliqué de savoir à quel point il est responsable de ça. »

Un écran de fumée qui permet à Zucker d’adoucir son bilan. Au rang de ses idées mémorables, on se souviendra des épisodes Supersized « il crée le concept du supersizing, se disant, par exemple « pourquoi je m’ennuierai à diffuser Scrubs quand je peux balancer 40 minutes de Friends ? » Si ça se trouve, Scrubs aurait pu devenir un gros succès, mais la politique de Zucker a empêché ça. » nous dit Alan Sepinwall. Plutôt rallonger les séries existantes, et les laisser remplir les grilles. Ses rapports avec les créatifs sont catastrophiques. Sepinwall, encore : « Zucker est arrivé et il s’est mis à dos la plupart des créatifs en leur faisant comprendre qu’il n’avait pas besoin d’eux. »

Kevin Reilly, trop bon pour Zucker ?

Malgré ses échecs, malgré l’image désastreuse, Zucker va continuer à gravir les échelons. Il devient président du groupe NBC/Universal en 2004 et installe Kevin Reilly à sa palce. Il développera Heroes, 30 Rock, Friday Night Lights, My Name is Earl… des succès critiques, ou publiques (pour la première saison de Heroes, au moins). Il partira en 2007. Reilly fait aujourd’hui les beaux jours de la Fox. Un an avant, Zucker fera preuve d’une classe incroyable en virant 700 personnes chez NBC en prenant soin de nommer le plan de licenciement « NBC 2.0 ».

En 2008, Zucker, pas avare de sa personne, va continuer dans l’outrance en enregistrant un segment vidéo, diffusé avant My Name Is Earl, dont le but est de se moquer des scénaristes… qui étaient à l’époque en grève. Histoire de continuer à se les mettre à dos jusqu’au bout.

Voici comment les américains ont soutenu O’Brien pendant l’affaire Leno/Conan.

En 2009, cependant, il va enfoncer le dernier clou dans son cercueil avec l’affaire Leno/O’Brien. Récapitulatif : Zucker veut faire des économies et veut placer Jay Leno dans le créneau de 22h (traditionnellement réservé aux dramas) en le retirant de son créneau de 23h30. Le résident de 0h00 se trouve promu, c’est Conan O’Brien. L’expérience Leno est un échec. Zucker fait machine arrière et recale Leno à 23h30 et veut recaser O’Brien à 0h00. Conan refuse, se barre chez TBS avec 30 millions de dollars de rupture de contrat.

Alan Sepinwall : « Pour Jay Leno, je pense qu’il avait une réflexion valide. A ce point-là, la chaîne devait penser au-delà des considérations habituelles en essayant de placer un programme moins cher pour faire chuter le coût de la grille. Le problème venait du fait qu’il voulait conserver Leno et Conan, sans avoir à choisir, ce qui nous a mené à la conclusion qu’on connaît. » O’Brien est érigé en victime, Leno en intriguant capricieux, Zucker en salaud. La maison NBC prend un grand coup, et paie encore aujourd’hui ce fiasco.

Zucker quittera enfin NBC en 2010. Aujourd’hui NBC se traîne dans les audiences et échoue continuellement dans sa recherche d’un futur hit, et personne ne sait comment redresser la barre. Si tout le monde s’accorde sur quelque chose, c’est quand il faut chercher un responsable : Jeff Zucker. L’homme qui a assassiné la Must-See-TV.

Heureusement, dans ce marasme de résultat, il existe des raisons de regarder la chaîne, des séries qui valent le coup, marquantes. Des séries qui perpétuent la tradition de qualité dans la chaîne au paon. C’est ce qu’on verra la semaine prochaine.

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