
Comme un ouragan – Neil Young + Promise of the Real à l’AccorHotels Arena de Paris (23 juin 2016)
Après Radiohead et Iron Maiden ces dernières semaines, et avant d’aller danser la Macarena dans l’hyperespace estival, le Daily Mars a envoyé une dernière délégation diplomatique au pays du rock’n’roll. Sa mission : aller à la rencontre de Neil Young sur ses terres, la scène. À la veille de la sortie leur dernier album, Earth, le Loner, avec ses 70 ans bien tassés et son dernier groupe, Promise of the Real, faisaient escale à Paris le 23 juin pour défendre une certaine conception de la musique populaire américaine.
“Time to speak with the shaman again…” Cette statue d’Indien en bois, dressé sur la droite de la scène de Bercy semble effectivement nous inviter à dialoguer avec les esprits. En ce début d’été parisien plein d’une chaleur un peu absurde, l’arène est copieusement remplie sans l’être tout à fait à ras bord non plus. Il faut dire que, la semaine précédent le concert, le tourneur bradait les places restantes. Quand les vieux rockers se mettent à faire des soldes, c’est mauvais signe. Il fait chaud sous ton tipi, grand chef.
Voir Neil Young en concert, c’est prendre une leçon d’histoire de la musique américaine contemporaine. Après plus d’un demi-siècle de carrière, celui qu’on surnomme le « Loner » (le solitaire) affiche plusieurs dizaines d’albums au compteur, des centaines de titres et des milliers de concerts. En solo ou avec des groupes aussi mythiques que Crazy Horse, Crosby, Stills & Nash ou encore Buffalo Springfield, sa discographie ressemble fortement à un bréviaire de la folk, de la country, du blues et du rock’n’roll… Bref “this’ americana, man”.
Un peu avant 21 heures, le fringant septuagénaire entre en scène, sans fanfare ni trompettes. Dans la lumière d’un seul projecteur, il traverse la scène jusqu’à son piano. Ses deux mains parcheminées viennent se poser sur le clavier et attaquer les premières notes d’After the Gold Rush. Deux écrans géants sont suspendus au-dessus de la scène, imitant la forme anachronique de vieux téléviseurs cathodiques « quatre tiers » géants. Ils nous montrent l’homme en gros plan, la tête baissée, les yeux cachés par le large bord de son chapeau de cowboy.
La première partie du concert est résolument folk. À la guitare et à l’harmonica, Young, seul en scène, égrène d’entrée de jeu deux de ses cartes maîtresses : Heart of Gold et The Needle and the Damage Done. Après ce troisième titre, le public est en transe. Suivent Comes a Time et, surtout, une très belle version à l’orgue, très épurée, de Mother Earth (Natural Anthem), avec son accent irlandais. Fin du premier acte, ou comment, un vieil homme a réussi à subjuguer plus de 15 000 spectateurs à lui seul.
Promise of the Real fait ensuite son entrée sur scène et en douceur. Ce groupe, emmené par le fils du chanteur country Willie Nelson, Lukas, a accompagné Young lors de l’enregistrement de son dernier album, The Monsanto Years, sorti l’année dernière. Ils se définissent eux-mêmes comme des « rockers surfeurs cowboys hippies ». Les cinq jeunes musiciens témoignent un respect palpable à leur « maître », en permanence à l’affût du moindre de ses mouvements, de la moindre de ses improvisations.
Le concert commence à s’électriser, progressivement, faisant la part belle à l’album Harvest, avec notamment un réarrangement électrique de Words (Between the Lines of Age) du plus bel effet. D’une manière générale, le choix et l’enchaînement des morceaux est absolument exemplaire (qui plus est en tenant compte du fait qu’une grande partie de la setlist change tous les soirs). Nelson et sa bande font preuve d’une étonnante plasticité, d’une souplesse qui leur permet d’accompagner leur meneur dans les coins les plus reculés de sa discographie.
Cette setlist reflète assez fidèlement l’œuvre du Loner, elle-même à l’image du bonhomme : libre, un brin passéiste… et versatile. Va-t-en-guerre au matin du 12 septembre 2001, il vire au pacifisme dans les mois qui suivent et devient un farouche opposant de Georges W. Bush. Hippie ayant croisé la route de Charles Manson à la fin des années 60, il arrête la drogue et renie ce mode de vie une dizaine d’années plus tard après avoir vu plusieurs de ses proches mourir d’overdose… Aujourd’hui engagé dans une guerre médiatique ouverte avec Apple et Monsanto, Young tente tout à la fois de nous vendre son baladeur numérique (le Pono) et de nous avertir du danger des OGM. Pendant le concert, il maugrée contre un ampli qui fonctionne mal. Un peu plus tard, il nous complimente pour la beauté de nos paysages et de nos terres agricoles (c’est à se demander s’il a entendu parler de la Ferme des milles vaches). Au milieu de tout cela, Lukas Nelson prend le micro pour nous gratifier d’une reprise, en français dans le texte, de La Vie en rose, d’Édith Piaf. Un peu inutile mais « so chic ».
Après avoir fait le tour d’Harvest, Young enfile sa plus belle guitare électrique pour attaquer un autre album copieusement exploré ce soir-là : Ragged Glory. L’album, qui date de 1992, avait imposé Neil Young (avec Crazy Horse) comme une des figures tutélaires du mouvement « grunge ». Avec près de 25 ans de recul, l’album sonne surtout comme un carnet de brouillon très (voire trop) propre. Tous ses titres prennent en effet une toute autre dimension sur scène. Young et sa bande prennent des chansons, comme Love to Burn ou Mansion on the Hill, ils les étirent, les distordent sur plus de dix minutes et les déforment comme de vieux sweat-shirts. Ce traitement de choc est aussi appliqué à des pépites comme Winterlong, Everybody Knows This Is Nowhere ou un Vampire Blues exhumé de l’excellent album On the Beach. Ça pisse du son à jets continus. Un son gras, massif, sculpté et étonnamment précis pour une salle comme Bercy, dont l’acoustique s’est souvent avérée déplorable.
Comme ultime pirouette, les musiciens nous offrent en rappel une version complètement azimutée de Like an Inca, un titre qui figurait initialement sur Trans, un album de sa période électro-rock au début des années 80. Mais, avant cela, le public a droit au désormais traditionnel final des concerts du Loner : Rockin’ In the Free World. Avec son tempo lent, ses accords plaqués lourdement et son final à rallonge, ce titre provoque l’effet escompté. Il finit, après près de deux heures et demie de concert, de siphonner l’énergie et de vider les poumons des quelques spectateurs encore vaillants dans la salle. Même si, en ce soir du 23 juin, ce « monde libre » ressemble de plus en plus à un film de Ken Loach. À le voir comme ça, presque plus en forme que jamais, difficile d’imaginer qu’un jour, ce vieil homme s’en retournera dans sa maison sur la colline, pour aller dormir avec les anges… Un jour, le plus tard possible, espérons-le.
Bonus – explication de titre :
Neil Young and Crazy Horse – Like a Hurricane (Live at Farm Aid 2012)
… et pour vous donner une petite idée de ce à quoi ça ressemblait jeudi dernier :
Neil Young + Promise of the Real – Love and Only Love (Live at Farm Aid 30)