
Netflix, les séries sans télé mais avec des Emmys ?
Alors qu’Arrested Development a fait son retour sur la plateforme de téléchargement américaine, certains s’interrogent encore sur l’ampleur des bouleversements provoqués par l’arrivée de Netflix dans le paysage sériel. En ligne de mire, cette fois : les Emmys Awards.
C’est la grande marotte des dirigeants de Netflix, et elle pose encore question. Alors que les responsables de la plateforme numérique ne cessent de rappeler qu’ils produisent des « series » et pas des « TV series » – leurs créations s’affranchissent il est vrai des contraintes de diffusion des networks et du câble américain – cette spécificité revenait sur le tapis, la semaine dernière, chez Vulture.com.
Le 5 juin, Matt Zoller Seitz en remettait effectivement une couche avec un article intitulé « Should Netflix shows be considered « Television » ? », en rappelant que, bien que diffusée sans les contraintes d’une diffusion télé, House of Cards est bel et bien éligible dans la catégorie meilleur drama pour les Emmys Awards 2013.
Les séries sans (contraintes) télé vont-elles commencer à rafler tous les prix de ce qu’on appelle bien souvent les oscars de la télé ? Seitz se garde bien d’y répondre.
Dans son article, l’auteur rappelle plutôt que les bouleversements suscités par l’arrivée de Netflix au pays des séries que l’on produit ne sont pas sans rappeler ce qui s’est passé dans le milieu des années quatre-vingt dix, lorsque HBO a commencé à développer ses propres créations.
Comme le note Seitz : « De manière assez soudaine, les chaînes du câble, qui ont solidement dominé la catégorie des dramas pendant près d’une décennie, peuvent se sentir menacées un peu à la manière de ce qu’ont ressenti les dirigeants des networks en voyant débarquer (ces mêmes chaînes du câble) ».
A l’époque, les « grandes chaînes » et leurs dirigeants s’étaient élevés contre le fait que les contraintes de diffusion n’étaient pas les mêmes, tant en terme de mise en images de la violence, de scènes de sexe… ou plus simplement de production (avec des saisons plus courtes, donc qualitativement plus « concentrées » selon eux).

Arrested Development, la première comédie proposée cette année sur Netflix marque le retour d’une série de network.
Pour Seitz, «il est possible de tenir le même type d’arguments » au sujet des séries en streaming de Netflix que l’on peut voir d’une traite, « et qui sont conçues comme un très long film, et produit de cette façon ».
Certes. Mais c’est sans doute sur ce point qu’il y a encore beaucoup à faire, beaucoup à imaginer pour que les séries multi-écrans (autant visibles sur un ordinateur que sur une télévision, si ce n’est plus) apportent quelque chose de neuf. Pour l’instant, Netflix fait des séries très proche de ce qu’on peut voir sur une chaîne de télé ; des séries certes libérées de certaines contraintes mais confrontées à de nouveaux écueils. Notamment d’un point de vue narratif.
La grande force du modèle de Netflix, c’est l’exploitation statistique des données de consommation. Des données qui doivent favoriser la production d’un contenu qui a mathématiquement plus de chances de trouver son public que d’autres. Dans un article passionnant de Salon, Andrew Leonard explique en quoi ces Big Data – car c’est comme ça qu’on les appelle- doivent permettre aux exécutifs de Netflix de cartonner (1).
Authentique rencontre de la fiction et des indications chiffrées, ce sont ces données qui auraient encouragé ces dirigeants à produire des séries de David Fincher et Eli Roth. La raison : il y a, sur cette plateforme, un vrai public pour ces réalisateurs producteurs. Comme il y a un public important pour la version britannique de House of Cards et une audience forte de fans de Kevin Spacey.

« Orange is the New Black », avec Taylor Schilling, est la nouvelle série de Netflix à découvrir. Photo Lionsgate
Partant dans cette logique, Netflix aurait joué les petits comptables : Fincher + Spacey + House of Cards = succès. C’est en tout cas ce que disent les communicants rattachés au projet. La vérité est un poil plus nuancée : cela fait plusieurs années que Fincher envisageait de développer un projet de remake. Et c’est Netflix qui a emporté un morceau également proposé aux chaînes du câble. L’un n’empêche pas l’autre, mais tout cela fait un peu moins « Bienvenue chez Person of Interest Productions »…
Quoi qu’il en soit, à l’heure où le Net transforme le sériephile en directeur des programmes, il y a pas mal de choses à tester, à imaginer pour que le récit des séries de Netflix, Amazon, YouTube et consorts jouent tout à la fois sur les possibilités offertes par l’immédiateté d’accès et la nécessité d’une narration qui reste addictive, et aussi surprenante que maîtrisée.
Personnellement, je pense que l’enjeu est aussi là. Et qu’en terme d’histoires, l’argument massue des « streamed series » ne doit pas se limiter pas à « faisons un film à épisodes », ce qui est une logique assez appauvrissante pour l’intrigue. Une réflexion qui a bien été intégrée par Jenji Kohan et l’équipe de Orange is the new black.
Orange Is The New Black Trailer from Create Advertising on Vimeo.
Pour House of Cards et Hemlock Grove, Netflix a fait le pari de donner leur chance à des auteurs qui ne viennent pas du monde de la télé (Beau Willimon, scénariste des Marches du Pouvoir et auteur de théâtre ; Brian McGreevy, l’auteur du roman Hemlock Grove). C’était une bonne idée. Sauf que ces scénaristes n’ont pas complètement pris en compte cette partie de la question. La preuve : House of Cards est un remake très solidement construit, visuellement magnifique mais assez démonstratif, notamment au début. Hemlock Grove, de son côté, est un étonnant couscous à l’ail, au chocolat et au crystal meth.
Pour transformer un genre où le récit a toujours été roi, il faut placer la richesse du récit (et sa sauvegarde) au cœur de cette transformation. C’est ce que Chase, Simon, Milch ou Weiner sont parvenus à faire sur HBO et AMC, en donnant plus de temps aux émotions que les séries des networks. C’est ce « truc en plus » que les rois du streaming devront trouver.
Mine de rien, c’est aussi souvent cela que recherchent les jurés des Emmys. Ca, plus des chouchous et des stars en pagaille. (2)
Ce n’est sans doute qu’une question de temps pour que cela arrive véritablement. Mais là tout de suite, ce n’est pas évident.
(1) : Vous préférez lire en version française ? Ca se passe ici, chez TVQC. (2) : Je rajoute ça pour me couvrir. Comme ça, si la série repart en septembre avec la statuette de meilleur drama, ce sera forcément à cause de David Fincher, Kevin Spacey et Robin Wright. Mauvaise foi, quand tu nous tiens…
D’où la très bonne idée de la saison 4 d’Arrested Development de découper son intrigue (sensée se passer sur 5 ans) en plein d’épisodes-pièces de puzzle où chaque épisode suit l’histoire d’un personnage et donne les clefs pour comprendre des évènements situés dans un autre épisode. Ce qui donne un début de saison un peu étrange, voire mou, mais dans les derniers épisodes soudain tout prend un sens et on peut revoir les premiers pour découvrir les évènements sous un nouveau jour.
Ils ont vraiment exploité le format « 15 épisodes diffusés d’un coup » en le mélangeant avec leur narration particulière à base de voix off omniprésente et très descriptive pour obtenir un résultat assez surprenant.