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A quoi servent les networks aujourd’hui ?  (Partie 1 : des chaînes face à un triple pari)

A quoi servent les networks aujourd’hui ? (Partie 1 : des chaînes face à un triple pari)

Fox, ABC, CBS et NBC, quatre des cinq networks américains (avec the CW).

Fox, ABC, CBS et NBC, quatre des cinq networks américains (avec the CW).

Alors que la rentrée américaine s’achève, le Daily Mars s’interroge sur la place des grandes chaînes (américaines prioritairement, mais pas seulement) et sur ce qu’elles proposent aujourd’hui au public. Tout ça avec un invité spécial : François Pier Pelinard-Lambert (Le Film Français).

C’est devenu un refrain lancinant. Une rengaine qui revient encore et encore… et fait souvent grincer des dents. Près d’un mois et demi après le lancement de la saison 2014/2015, le premier bilan est assez décevant. Dans le cortège des nouveautés proposées par les chaînes américaines, peu de séries lancées cet automne séduisent d’entrée de jeu. Comme la saison passée. Et celle d’avant.

Jusqu’ici, rien de franchement honteux : alors que l’on n’a pas encore atteint la barre des dix épisodes pour ces nouvelles séries, la valeur de ce constat est toute relative. En revanche, quand cette conjecture vient nourrir l’idée régulièrement relayée en France selon laquelle la qualité se trouve d’abord sur les chaînes du câble, beaucoup plus que du côté des réseaux nationaux (ABC, NBC, CBS, Fox, The CW), ça devient plus problématique.

Une mission : rassembler le plus possible

Quand on aime les séries et que l’on dévore toutes sortes de nouveautés tout au long de l’année, il est facile de constater que les grandes chaînes peinent à trouver un nouveau souffle créatif depuis plusieurs saisons. Les nouveautés s’enchaînent… et les annulations aussi.

La CW, la petite dernière des grandes chaînes, née de la fusion de UPN et The WB.

La CW, la petite dernière des grandes chaînes, née de la fusion de UPN et The WB. Par ailleurs pourvoyeur des deux bonnes surprises du début de l’automne: The Flash et Jane The Virgin.

Mais la situation ne se résume certainement pas à « câble = cool » contre « networks = nul ». Elle est autrement plus complexe. Et elle amène surtout à poser une question centrale. Dans un paysage télévisuel américain toujours plus complexe, toujours plus concurrentiel, à quoi servent les grandes chaînes aujourd’hui ?

Cette interrogation, nous sommes allés la soumettre à François Pier Pelinard-Lambert, rédacteur en chef du magazine Le Film français et fin connaisseur des rouages de la production audiovisuelle, qu’elle prenne la forme de séries ou de films pour le cinéma.

Pour ce dernier, les networks « ont d’abord une mission : ils doivent taper large. Si on regarde les audiences des grands réseaux aujourd’hui et qu’on les compare à celles des chaînes du câble, on voit bien que les premiers conservent une force de frappe unique. En France, on peut avoir la sensation que les chaînes du câble sont celles qui créent : c’est souvent le cas mais pas toujours. Et cela ne veut surtout pas dire qu’il ne se passe rien sur les networks ».

Une offre différente pour des publics différents

Ce qu’il est important de comprendre, c’est que ces deux catégories de chaîne ne s’adressent pas aux mêmes publics. « Celles du câble visent une audience ciblée, précisément identifiée. Les networks, eux s’adressent à un public qui se veut le plus large possible. La mission est, du coup, beaucoup plus compliquée ».

Surtout à une époque où les niches se multiplient ? « Disons que c’est relativement plus facile de s’adresser à des hommes de 15 à 35 ans, CSP +. Globalement, on arrive à savoir ce qui leur plaît. Viser des cibles transgénérationnelles et… transrevenus, c’est moins évident. La force des networks, leur raison d’exister, elle est là : cela reste des outils de communication large, qui ne sont pas copiés ».

abcA contrario, les chaînes du câble doivent d’abord plaire à leurs abonnés. Ce peut être le même public que celui des grandes chaînes, mais pas toujours.

« On a pu s’en apercevoir il y a encore quelques mois en France : Canal + pensait que ses fictions originales allaient fonctionner en diffusion en clair sur D8. Mais le public de la TNT est un autre public. A l’exception de quelques épisodes de Braquo, globalement, cela a été une déception. Aujourd’hui, on ne parle plus de deuxième diffusion ou de troisième diffusion sur ces programmes-là. Parce que pendant que l’on fait un million d’abonnés contents sur Canal + on ne fait que 400 000 téléspectateurs sur la TNT ».

« Non, les networks ne sont pas morts » (même si on l’a déjà annoncé plusieurs fois)

Voilà qui nuance quelque peu l’opposition entre networks et chaînes du câble. Une opposition parfois trop régulièrement caricaturée chez nous. « En France, on se retrouve souvent confronté à un phénomène de bulle médiatique pour certaines séries : oui, certains programmes sont narrativement très forts ; oui, cette force est largement relayée dans les médias… mais leurs audiences ne sont pas forcément impressionnantes ».

« Quand je lis en France des articles dont le titre est « L’Amérique succombe à Mad Men », on a l’impression que l’on évoque une lame de fond qui emporte tout. Mais non : au maximum, la série de Matthew Weiner fait 2 millions à 2,5 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis. Après, on peut -à raison- parler d’influence. Sur l’écriture, sur la scénarisation, sur le développement d’autres séries. En 2012, Pan Am n’aurait probablement pas vu le jour sans Mad Men. Mais Pan Am est une vraie série de network, qui répond aux spécificités du mode de diffusion de ces chaînes » (1).

Au bout du compte, enterrer les networks et les opposer de façon stérile aux chaînes du câble n’a pas beaucoup de sens. « La réalité est beaucoup plus neutre que cela : non, les networks ne sont pas morts. Il y a eu, plus d’une fois, des annonces de leur fin imminente. On le disait déjà lorsque l’industrie du cinéma a explosé ! On a aussi parlé d’un rejet probable quand la téléréalité était partout. Ce sont des chaînes qui ont toujours été confrontées à des hauts et des bas. Maintenant, si on regarde les audiences, cela reste, encore une fois, d’énormes machines. Que l’on soit aux USA, en France, en Italie, etc. ».

Des pratiques en évolution

En clair : les networks sont encore et toujours des modèles économiques viables. « Si la tendance est à la diversification, nous ne sommes pas du tout en train de le voir disparaître. La situation est surtout en évolution, de nouveaux acteurs montent en puissance, certaines notions phares sont aussi prises en compte de façon différente ». Comme la famille, par exemple.

Mike & Molly, comédie produite par Chuck Lorre sur CBS. Photo: Art Streiber/CBS

Mike & Molly, comédie produite par Chuck Lorre sur CBS. Photo: Art Streiber/CBS

Elément indissociable du succès des comédies et plusieurs dramas des années 80 et 90, la famille occupe effectivement une place sensiblement différente sur les écrans des networks aujourd’hui. Pourquoi ? Tout simplement parce que la cellule familiale américaine a connu des bouleversements.

 » Aujourd’hui le modèle de la famille WASP (White Anglo Saxon Protestant, NDLR), middle class, décline sur les écrans. Mais celui de la famille latino-américaine reste une réalité ». C’est ce qui fait le succès de la chaîne Univision, par exemple.

Ce public, on le retrouve d’abord entre les côtes est et ouest des USA, dans ce que certains appellent de manière très indélicate la Fly Over Zone… et il est encore important.

« On sait par exemple qu’une comédienne comme Melissa McCarthy trouve son coeur de cible dans cette audience très familiale et qui adore toujours la sitcom Mike & Molly dont elle tient le premier rôle féminin».

Mais l’évolution des pratiques ne concerne pas seulement la question du « Avec qui regarde-t-on les séries ? », elle concerne aussi celle du « A quelle heure ? ». Mike & Molly, toujours elle, « fait ses plus gros scores en audience immédiate… là où des séries comme Scandal et Blacklist sont d’abord des succès dans l’audience consolidée, grâce aux scores de la catch up TV ».

Taper large… mais aussi chouchouter les jeunes actifs

Qui dit Mike & Molly, dit aussi CBS : le network rassemble quelques-unes des plus grosses audiences autour des séries depuis les années 2000 mais sa domination est légèrement trompeuse. « C’est le network qui fait les plus gros scores mais ces chiffres ne se font pas sur le public principalement ciblé par les annonceurs : les 18/49 ans », rappelle François Pier Pelinard-Lambert.

nbcLe paradoxe est là : si le network doit parler à plusieurs générations, il doit aussi, en même temps, séduire les jeunes actifs pour attirer des annonceurs. Et c’est ce qui explique le poids que conserve un network comme NBC, qui ne domine pas la course aux audiences mais fait d’importantes rentrées publicitaires en visant précisément ce public.

« C’est d’ailleurs pour cela que l’on a vu disparaître de la grille de cette chaîne des programmes non pas parce qu’ils ne faisaient pas d’audiences mais parce que leur coeur de cible n’était pas forcément rentable d’un pur point de vue publicitaire ».

L’exemple type : Harry’s Law, en 2011/2012, annulée au terme d’une saison 2 avec plus de 7 millions de téléspectateurs en moyenne contre un peu plus de 3,5 millions pour la saison 3 de Community, à la même époque.

Au final, les networks tentent de remplir une triple-mission. A la fois attirer le grand public, ne pas se couper de leur base traditionnelle et rester en phase avec les aspirations des 18/49 ans.

A ce petit jeu, « ce sont les émissions de sports ou des émissions type The Voice, The Bachelor voire The Sound of Music qui permettent de décrocher les scores colossaux, aujourd’hui. Plus vraiment les séries, à quelques exceptions près comme NCIS ou The Big Bang Theory. Et c’est bien pour ça que CBS a cassé sa tirelire pour commander de nouvelles saisons de la série produite par Chuck Lorre : The Big Bang Theory, est l’une des seules, avec Modern Family, a être à la fois transgénérationnelle et capable de réunir massivement le grand public et le coeur de cible des publicitaires ».

Une triple mission de plus en plus compliquée à remplir, alors que le paysage télévisuel américain est en profonde mutation. Nous en parlerons dans la seconde partie de ce dossier.

(1) : Une série qui n’a pas marché… mais c’est un autre débat.

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