• Home »
  • CINÉMA »
  • Nicolas Boukhrief : « Les chocs dans le cinéma fantastique sont de plus en plus rares »
Nicolas Boukhrief : « Les chocs dans le cinéma fantastique sont de plus en plus rares »

Nicolas Boukhrief : « Les chocs dans le cinéma fantastique sont de plus en plus rares »

Réalisateur de cinq longs métrages depuis 1995, dont le superbe Le Convoyeur (2004) et le mésestimé Gardiens de l’ordre (2010), Nicolas Boukhrief fut aussi le co-fondateur et rédacteur en chef de Starfix, la revue-culte-qu’on-ne-présente-plus-sur-le-Daily-Mars. Hé oui les enfants : sans Starfix (1983-1990, Amen) et son saint combat dans les années 80 pour la défense du ciné de genre lâchement ignoré par la critique intellö, que seraient devenus les ados de l’époque tels John Plissken, Intheblix ou Hervé notre web designer, mmmmh, je vous le demande ??? De la chair à Première ouais ! Mais foin de nostalgie, revenons au présent : en ce mois de novembre 2012 où nous avons réalisé cette interview, Nicolas Boukhrief était membre du « Jury international » (long-métrages) de la seconde édition du Paris International Fantastic Film Festival (Pifff). Nous l’avons croisé, interviewé, congratulé à jamais pour saint Starfix et que dire si ce n’est qu’en dehors de sa grande amabilité, le cinéaste s’est montré fort inquiet sur l’actualité du genre fantastique. Propos sans langue de bois tenus par un franc tireur fan de James Bond (logique) et que nous avons d’ailleurs cuisiné, pour conclure, sur la question ultime : pour ou contre Skyfall, merde ?

Précision : cette interview a été réalisée le samedi 24 novembre alors que Nicolas n’avait pas encore vu The Body de Oriol Paulo, projeté juste après et qui fut finalement récompensé du Grand Prix. Au moment de notre discussion, il était convaincu que The Cleaner, son chouchou, était de très loin le meilleur film de la sélection. Il remporta finalement une « mention spéciale ».

 

En tant que juré de la section longs métrages au PIFFF cette année, quel sentiment général t’a laissé la sélection ?
Nicolas Boukhrief : J’ai l’impression qu’en ce moment, beaucoup de cinéastes se jettent dans le genre sans avoir forcément de point de vue dessus. Ils partent sur des récits plus ou moins bons, mais qu’ils traitent de façon très scolaire et du coup leurs films manquent de profondeur, de subversion, de poésie. Beaucoup d’entre eux me paraissent étonnamment réactionnaires, en se plaçant plus souvent du côté du bourreau que des victimes, des gagnants que des perdants ou du côté de la bourgeoisie. Je vois aussi beaucoup de films de vengeance pas assez fouillés, qui s’en tiennent à l’aspect primaire de leur sujet. In their Skin par exemple démarre tres bien mais par la suite bascule dans le film de vengeance classique, on sent que c’est un film probablement tourné par un fils de bonne famille.

In their skin, de Jeremy Power Regimbal (projeté en compétition cette année au PIFFF) : « Film sans doute réalisé par un garçon de bonne famille… ». Outch !

Pas de choc particulier donc pendant ce PIFFF 2012 ?
Non pas vraiment, mais les classiques du genre sont rares maintenant. Ces dernières années je pourrais citer Morse, Isolation, Insensible, The Devil’s reject…Mais finalement ça se chiffre à quoi…dix films sur dix ans ? Il est loin le temps où le fantastique accouchait régulièrement de grands films dans la foulée de L’Exorciste. Sur la sélection du PIFFF 2012, j’ai été sensible à The Cleaner : une forme de SF très discrète et subtile, émouvante, avec des caractères originaux et attachants. C’est extrêmement bien joué, réalisé par un jeune cinéaste de 23 ans manifestement très inspiré et sincère. Ca, ça m’a beaucoup touché. Cette démarche du réalisateur de partir sur une histoire aussi délicate et peu commerciale a priori.

Parce que la sincérité manquait dans le reste de la sélection ?
Oui, sur certains premiers films, certains cinéastes me semblent être à la limite de l’arrivisme, comme si ils choisissaient leur sujet et calculaient leur coup en se disant : « avec ça, je vais faire mon passeport pour Hollywood ». Je pense notamment aux réal’ de Citadel, In their skin ou Modus Anomali. Voilà des films de petits malins qui veulent se faire remarquer dans les festivals et espèrent décrocher un ticket pour aller travailler dans le studios. Je ne pense pas que ce soient des œuvres sincères.

The Cleaner (El Limpiador), de Adrian Saba (projeté en compétition au Pifff). « Un beau film sincère et émouvant »

Je me souviens d’un numéro de Starfix, publié au moment de la sortie de Simetière, qui s’inquiétait déjà de la santé du cinéma fantastique. Il va mieux depuis ?
C’est une interrogation récurrente qui se pose aussi bien pour la série B ou le polar. Le fantastique et la SF ont été complètement phagocytés d’une part par les séries télés qui s’en sont beaucoup emparé, d’autre part par un certain cinéma d’auteur, et puis enfin par tous les blockbusters de super héros. Mais le fantastique pur et dur, fait par des cinéastes frondeurs et jusqu’au boutistes, il y a de moins en moins de place pour lui… hormis en DTV.

Et ca ne s’arrangera pas avec « l’affaire » des dégradations de salles projetant Paranormal Activity 4. Tu comprends que des exploitants aient déprogrammé Sinister en « représailles » ?
C’est dur cette histoire. Déjà que le fantastique n’a jamais vraiment été vraiment respecté en France, qu’il s’agisse du CNC ou des exploitants en passant par la presse qui s’en fout… Le temps que la presse a mis pour reconnaître John Carpenter et Dario Argento est hallucinant et c’est bien là dessus que Starfix a réussi son coup. A l’époque, on est arrivé en affirmant que Carpenter, Argento et Cronenberg étaient des auteurs là ou les autres magazines les expédiaient en trois lignes. Incroyable de voir comment ces trois là ont été reconnus à partir du moment ou ils ont été moins bon. Pour répondre à ta question, si des jeunes un peu potaches, qui n’en ont rien à foutre du fantastique, décident de prendre prétexte de P.A 4 pour détruire la salle, je comprends que les exploitants n’aient pas envie que ça se reproduise. Je lui en veux à ce public, il cause du tort au fantastique.

 

« Le projet Cannabis s’est effondré : Jamel Debbouze m’a planté au dernier moment »

 

Toi-même tu n’as jamais touché à ce genre en tant que réalisateur, contrairement à Christophe Gans.
Non parce que je n’ai jamais eu d’idée assez originale pour aller dans le genre, Christophe a toujours été plus amoureux du fantastique que je l’ai été, j’ai toujours préféré Kurosawa à Tobe Hooper. Ne te méprends pas : l’envie de jouer sur les effets de terreurs me passionne mais je ne le ferai que si j’ai une idée intéressante.

En parlant de projet, où en est Cannabis, ton film sur les mafias méditerranéennes liées au trafic de shit ?
Il s’est effondré suite au départ abrupt de Jamel Debouze, difficile à remplacer vu qu’il était l’acteur principal. Le film était écrit pour lui en grande partie en plus. Il nous a planté en avril, juste avant le tournage qui devait débuter pendant l’été. Je n’ai pas eu l’énergie de continuer alors qu’on était si près de la date de fabrication. C’est assez violent, j’ai mis deux mois à m’en remettre. J’ai fait un mauvais choix d’acteur, j’aurais dû être plus intuitif.

Tu es reparti sur un autre projet ?
Je pars sur une idée de polar/thriller, mais rien de précis encore.

Avec le recul, que penses tu de l’accueil reçu par Gardiens de l’ordre, ton dernier film ?
J’en pense rien puisqu’il n’y a pas eu d’accueil du tout ! Les critiques étaient plutôt bienveillantes, mais l’histoire qu’on racontait n’intéressait pas le public. Les gens n’ont pas eu envie de venir voir un film dont les gardiens de la paix étaient les héros. Je trouvais au contraire intéressant de faire un film sérieux sur ces flics qui font le sale boulot, mais le problème, c’est que les Français n’aiment pas leurs flics en tenue. C’est plus un sujet de fiction télé. Au cinéma, ça n’accroche pas, ou alors éventuellement en comédie.

Es-tu consommateur de séries télé ?
Non, pour moi les séries fonctionnent trop sur l’addiction, c’est de la cocaïne visuelle, il y manque du mystère et de la poésie. Et moi j’aime le cinéma pour le temps qu’il prend. Le rythme des séries est trop précipité pour moi, on ne laisse jamais passer le temps. J’ai essayé de regarder Damages et 24h chrono, j’ai du mal avec ces épisodes où on essaie de me faire avaler les trucs les plus improbables en loucedé, parce que ça va très vite. Comme quelqu’un qui essaierait de cacher la poussière sous le tapis. Je ne veux pas donner l’impression de mépriser ce genre : je comprends totalement que c’est un art en devenir, mais à chaque fois que je tombe sur une série, elle ne correspond tout simplement pas à ce que j’attends d’une fiction. Une saison entière ça fait quoi, douze heures ? Je préfère passer ce temps à voir ou revoir huit films, qui sont autant d’univers différents et sont une conception plus proche de mon rapport à l’image et de mon métier. Mon métier c’est de faire des films, et si je faisais des séries, j’imagine que je me goinfrerais de séries !

Dernière question au vieux fan de Bond que tu es : pour ou contre Skyfall, merde ?
Comme tous les films de Sam Mendes, je trouve ce film extraordinairement bien réalisé et visionnaire, avec des plans qui resteront gravés dans mon esprit. Et en même temps, comme tous les films de Sam Mendes, je trouve que c’est un film passablement réactionnaire : le retour aux sources de Bond sur ses Terres à base d’armes primitives, pour détruire des envahisseurs vaguement étrangers, j’ai trouvé ça lourdingue thématiquement. Bond est réac depuis toujours, certes, mais si en plus on lui enlève sa légèreté pour thématiser le personnage, ça ne m’intéresse pas. Les scénaristes ont « Dark Knightisé » James Bond en créant un héros orphelin et un méchant qui, sous nos yeux, devient le Joker en enlevant sa mâchoire, et qui fait péter des bombes, ou envoie sur le Net des messages un peu ricanants. Mouais… Donc visuellement, Skyfall m’a ébloui mais Casino Royale lui est infiniment supérieur, un vrai mélodrame. Skyfall est plus un film au discours presque grave et politique avec la mort de la Reine et la question de savoir si Bond y survivra…. (Plissken incrédule… ndlr) Ha ben si, M, c’était la reine d’Angleterre !

Chaleureux remerciements à Blanche-Aurore Duault, Nathalie Iund et toute l’équipe organisatrice du Paris International Fantastic Film Festival.

Partager