
Nourriture sacrée / nourriture profane : le cas Hannibal
A l’occasion de la diffusion de la série Chefs sur France 2, le Daily Mars revient cette semaine sur les rapports qui unissent la série et la cuisine. Après la gastronomie dans Brooklyn Nine-Nine et l’art culinaire dans Hannibal, Déborah explore un peu plus cette dernière en reliant la nourriture à ses personnages.
Dans la mythologie grecque, Cronos, roi des titans, mangeait ses enfants. Caché par sa mère, Zeus s’en sort et détrône son père, devenant à son tour le roi des dieux. Dans la saison 1 d’Hannibal, Gareth Jacob Hobbs se nourrit d’adolescentes semblables à sa fille pour éviter d’avoir à la consommer. Il sera détrôné de sa place de tueur en série n°1, recherché par le FBI, par Hannibal Lecter.
ATTENTION SPOILERS SAISON 1 ET SAISON 2 HANNIBAL
La place de la nourriture dans la série de Bryan Fuller a un côté éminemment sacré et mystique. Seuls sont mangés à l’écran les plats préparés par Hannibal, qui tient alors le rôle non seulement de cuisinier, mais surtout de père nourricier. Figure vampirique par excellence, il contrôle ce que les autres mangent, s’en nourrit pour mieux nourrir les “siens”.
Ceux qui s’y opposent
Dans la séries, trois personnages s’opposent à partager son repas, refusent l’acte de commensalité : Bella Crawford, Freddie Lounds, Bedelia du Maurier.
Bella refuse de se nourrir de foie gras, étant elle-même atteinte de cancer. S’introduisant dans son intimité, Hannibal la poussera au suicide avant de lui sauver la vie. Il l’oblige à être sous sa dépendance, et il contrôle sa mort. Bedelia refuse de venir se nourrir chez lui. A la fin de la saison 1, Hannibal vient à son domicile avec un plat fait-maison. Il tentera de la tuer dans la saison 2 avant son apparent retour de veste. Nous en saurons plus dans la saison 3. Freddie Lounds est l’ennemi ultime : elle est non seulement végétarienne, mais honnie, bien que lue avec attention par le tueur en série. Sa (fausse) mort sera orchestrée par Will dans l’espoir de confondre Hannibal (et on sait comment cela fini : mal). Mal-élevée, sans aucune limite dans ses reportages, menteuse et sans éthique, Freddie représente ce qu’il y a de pire pour Hannibal. L’absence de politesse. L’absence de culture. Et elle refuse d’entrer dans son cercle.
On peut à cette liste rattacher deux autres personnes. Tout d’abord le Docteur Chilton. Moqué, méprisé par notre vampire, il partagera sa table avant de refuser de toucher à quoique ce soit lors d’un buffet… qui se révélera composé de viande animale. Puis Hannibal l’attaquera chez lui, lui faisant endosser le costume du Chesapeake Riper avant d’en faire une victime.
Mason Verger est le deuxième opposant à Hannibal Lecter. Il va jusqu’à le menacer de mort, plante son couteau dans ses meubles, s’impose en tant que mâle dominant. Hannibal va totalement le désacraliser, dans un acte d’auto-cannibalisme sous drogue. La chair de Mason ne mérite même pas sa table. Mason ne mérite même pas la mort. Il mérite d’être donné à manger, vivant et de son plein gré aux chiens.
En parallèle de Mason, nous pouvons comparer le Docteur Abel Gideon. Abusé par Chilton, il croit être le Chesapeake Riper. Hannibal lui rappellera sa place (à savoir, dans une assiette et au fond d’un estomac) en le cuisinant alors qu’il est encore en vie. La comparaison sacré/profane est alors assez claire. Hannibal méprise Mason, mais respecte Abel. Il le respecte suffisamment pour le cuisiner et partager son repas.
Ceux qui s’y confondent
Et puis, la nourriture sert de liant à ceux qui la mérite. Ceux qu’Hannibal respecte. L’ancienne stagiaire de Jack Crawford par exemple, Myriam Lass. Elle est la première à faire lien entre le Chesapeake Riper et Hannibal Lecter. Il ne s’en nourrira pas, l’utilisant comme arme pour faire tomber Chilton et attaquer Jack.
Et puis, bien sûr, Will. Will qu’il veut entraîner dans son monde, dont il veut faire l’égal. Will qui se nourrit en connaissance de cause à la table de Lecter. Si l’empathe a voulu le tuer au début de la saison 2, il cherche ensuite à le piéger, tout en se perdant à son tour. Ainsi la scène de l’Ortolan dans l’épisode 11. Ortolan qu’il faut manger en se couvrant la tête, pour se cacher de Dieu. L’ortolan est pur, protégé. C’est un sacrilège que de s’en nourrir. Et c’est dans une atmosphère très sombre, chacun observant l’autre que Will se soumet à Hannibal et mange l’ortolan de concert. Le symbole de son passage rituel dans le camp du “mal”, suivi de son offrande de chair humaine (celle, soi-disant, de Freddie Lounds).
De façon assez surprenante, on ne voit jamais Alana manger avec Hannibal, sauf quand il s’agit de piéger Abigail dans la saison 1. Est-ce parce qu’Hannibal pense qu’Alana n’est pas à la hauteur du sacrifice ? Après tout, elle le croit presque constamment, a profondément confiance en lui, le conseille en tant que psychiatre pour Will. Et en tombe amoureuse. Elle n’est pas digne, parce qu’elle croit, elle n’a pas besoin d’être nourrie. La nourriture est séduction. Séduction de Jack, de Will, de Bedelia. Séduction pour être ignorée en tant que coupable, ou pour attirer l’attention de l’autre.
La saison 2 s’achève par la mort de la dernière fille de Cronos, Abigail. En un tableau parfait de ce que Gareth Jacob Hobbs a tenté sur sa fille, Hannibal lui tranche la gorge. Ainsi s’achève l’ère des Titans. Les dieux vivent, déménagent alors dans l’Olympe ou en Italie, l’univers peut-enfin être “stable”. Jusqu’à la prochaine guerre, la prochaine saison.
Je ne pense pas que ça ait du sens de comparé Jacob Hobbs à Cronos, il y a des similitudes, en effet, mais pas assez. Si Cronos dévores ses enfants, c’est parcequ’ils ce sent menacé, ce qui n’est pas le cas de Jacob Hobbs, a aucun moment il veut comme Hannibal, être reconnu (être le n°1 insaisissable). Qui plus est, c’est Will Graham qui tue Jacob Hobbs.