On a lu…Batman – Dark Detective

On a lu…Batman – Dark Detective

Note de l'auteur
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Batman – Dark Detective

Après le run de Grant Morrison et les The Brave and the Bold de Jim Aparo, Urban nous régale de nouveau en nous proposant le travail de Steve Englehart. En trois mots : Le Batman définitif.

 

Le film Captain America : Le soldat de l’hiver s’est construit sur un magnifique mensonge. Alors que son titre et sa promotion nous vendait une histoire basée sur les débuts du run réputé d’Ed Brubaker, on découvrait à la vision du film qu’il n’en était rien et qu’on s’était gentiment fait avoir. Et pourtant on garde le sourire et on est heureux. Le deuxième film de Captain America est une belle imposture qui utilise le soldat de l’hiver comme représentation physique d’un mal plus diffus et sournois entretenu par l’Hydra. La présence d’un acteur célèbre pour incarner l’autre figure clé est alors un indice quand à la véritable histoire adaptée.

 

Interprète du journaliste Bob Woodward dans le film Les hommes du Président d’Alan J. Pakula, Robert Redford nous renvoi à l’affaire du Watergate qui ébranla les États-Unis dans les années 70. Cette crise politique majeure eue des répercussions jusque dans le monde des comic-books. Ainsi en 1974, les épisodes de Captain America se firent l’écho de cette crise via la perte de confiance profonde et irrémédiable du symbole même du pays. L’arc de L’empire Secret nous montre ainsi le combat du héros contre un groupuscule dont les ramifications vont jusqu’au sommet de l’Etat. Bref ces épisodes ne sont rien d’autres que la véritable base du film Captain America : Le soldat de l’hiver. Récit à la conclusion foudroyante dont nous faisions la chronique il y a quelques mois, cet arc est du au scénariste Steve Englehart. Un scénariste oublié ou peu connu aujourd’hui dont le travail et les apports sont pourtant capital.

 

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Steve Englehart

Né en 1947, Steve Englehart commence à travailler chez Marvel au début des années 70 faisant partie en cela d’une nouvelle génération d’artistes nourris des mouvements sociaux et politique des années 60. Connu pour ses travaux sur Doctor Strange et The Avengers, Englehart a également eu un fort impact sur la série Captain America. La saga de l’Empire Secret eut ainsi pour conséquence directe l’abandon du costume par un Steve Rogers dégouté de son pays. Ayant claqué la porte de l’éditeur suite à des divergences avec Gerry Conway, Steve Englehart fut contacté par DC Comics qui recherchait alors du sang neuf.

 

La deuxième moitié des années 70 est une période d’effervescence et de remise en question pour les gros éditeurs après la folle période des années 60. Remisé au placard à cause de la censure, l’horreur fait son retour, on teste différents genre et on essaye de donner un nouveau souffle à des anciennes séries. C’est de cette effervescence que naîtront les X-men de Chris Claremont. De son coté DC Comics a besoin donner un coup de polish à ses personnages. Acceptant de travailler chez eux, Englehart va s’occuper de Justice League of America durant un an mais va surtout offrir un lot d’épisodes de Batman qui vont rentrer dans la légende.

 

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Batman à la recherche du Joker

Arrivé sur Detective Comics #469 (mai 1977) pour en repartir au numéro #476 (mars-avril 1978), Steve Englehart fut donc l’auteur de neuf épisodes. Que neuf pourrait-on dire ! La qualité a largement compensée la quantité répondons-nous. Comme toute grande œuvre ayant marquée son époque et influencée les suivantes, les innovations peuvent être difficilement perceptibles quand celles-ci sont dorénavant monnaie courante. Auteur majeur de Marvel qui a marqué la majorité des séries de l’éditeur par ses audaces, Englehart fut par exemple le premier scénariste à écrire un cross-overs entre deux titres de la maison des idées (The Avengers Defenders Wars paru entre septembre et décembre 1973 dans The Avengers #115 à #118 et The Defenders #8 à #11). Cette même audace narrative, il va la mettre au service du Chevalier noir.

 

Alors que les aventures de Batman se clôturaient à chaque numéro ou, au mieux, s’étalaient sur deux épisodes, Steve Englehart va détruire les cloisons et proposer aux lecteurs des aventures courants sur plusieurs numéros et des arcs narratifs multiples et s’entrecroisant. Ça n’a l’air de rien aujourd’hui mais pour l’époque c’était inédit de pouvoir lire les épisodes de Batman comme un tout. L’affrontement contre le docteur Phosphorus aura ainsi des répercussions sur la santé de notre héros durant plusieurs épisodes. De même alors que ce dernier est la victime du professeur Strange, Englehart profite d’une accalmie pour introduire Le Pingouin et le Joker qui seront les prochains à enquiquiner notre héros.

 

Mais les deux grands fils rouge du run d’Englehart se font l’écho de plus grand bouleversement. Avec la création de Silver St Cloud, le scénariste offre à Batman une femme incroyable qui déstabilise et questionne profondément notre héros. Leur histoire d’amour est d’autant plus forte que son issue finale est tissée avec finesse et brio. Dans le même temps, la série va procéder à un retour aux sources en bouleversant le statut de Batman au sein de la ville de Gotham. Longtemps considéré comme son protecteur (voir à par exemple la manière dont il est dépeint dans la série The Brave and the Bold), Batman redevient, suite à une décision municipale, un paria plus proche du démon que du justicier.

 

marshallsilver1Mais si le run de Steve Englehart est considéré comme un des monuments de la série, cela est également du au dessin de Marshall Rogers. Si les deux premiers épisodes sont signés par le célèbre Walter Simonson, celui-ci n’est pas encore l’auteur des grandioses épisodes de Thor, X-Factor ou Fantastic Four. Ses épisodes sont sympathiques mais il est clair que la série atteint des sommets graphiques rarement atteint quand Rogers arrive au numéro #471. Totalement en phase avec les changements d’Englehart, le dessinateur transforme Batman en une menace fantomatique qui fait de la nuit une véritable alliée dans sa guerre. Batman fait réellement peur ! Rogers travail les visages et marques ses personnages. Ils paraissent usés, les bandits sont véritablement véreux et tandis que Batman se déplace comme un spectre, Bruce Wayne acquiert une solide assurance avec à son bras une Silver St Cloud tout simplement magnifique et fière. La série déborde autant de combat épique que de moment érotiques. Les décors sont extrêmement travaillés, Gotham redevient une cité unique dont l’atmosphère unique est appuyée par les jeux de lumières. Conscient des qualités du dessinateur, Englehart se repose sur lui et de leurs associations ressort des moments magique. Il suffit d’un dialogue et de quelques cases habilement construite pour que St Cloud découvre la vérité sur Bruce. A l’heure où la logorrhée verbale est souvent de mise, cette efficacité dans le trait et cette simplicité qui va droit au but force le respect.

 

On retrouve ce même sens de la mise en scène avec le premier épisode qui ouvre cette édition. Datant de février 1974, Detective Comics #439 est déjà écrit par Steve Englehart. Au dessin c’est Sal Amendola pour une histoire où Batman traque des voleurs après un braquage sanglant. Directe et sans fioriture, l’épisode sert de prétexte à revenir sur le trauma originel de Batman. Enlevez les dialogues et quelques passages et vous avez tout simplement le générique de Batman The animated serie (série qui prendra d’ailleurs comme personnage secondaire important le bandit Rupert Thorne crée par Englehart durant ces épisodes). C’est aussi ça Englehart, une capacité à aller à l’essentiel du personnage tout en le faisant aller de l’avant d’un point de vue formel.

 

Dark%20Detective%20II%201On retrouvera cette marque en 2005 quand Steve Englehart, Marshall Rogers et Terry Austin revinrent dans l’univers de Batman à travers la série Dark Detective. Bien que presque trente années séparent les deux époques, on a peu de mal à croire à une suite directe si ce n’est qu’en grand amateur de la continuité¹, Englehart prit en compte le travail de ces prédécesseurs et brossa un Batman dans la lignée de celui de Batman -Year One. « Vote for me or I’ll kill you » nous promet le Joker et on a peu de mal à le croire. L’équipe qui était revenue en 1977 à une version bien plus dangereuse et pétée du bulbe du clown psychopathe repart donc pour de nouvelles aventures où Batman aura fort à faire face son plus terrible adversaire et avec le retour de son grand amour. Le caractère avant-gardiste du travail de Steve Englehart et Marshall Rogers prend tout son sens à la lecture de cette deuxième période tant la cohérence avec le run de 1977 est forte. On remerciera donc Urban Comics pour avoir compilé l’ensemble de ces épisodes dans un magnifique volume permettant de découvrir au mieux ces deux passages fabuleux.

 

Avec la sortie de Batman – Dark Detective c’est enfin l’occasion de tordre le cou à une idée reçue tenace. Non ! Les films Batman et Batman Returns de Tim Burton ne sont pas « plus des films de Burton que des films de Batman ». La lecture de ce qui est considérée comme le Batman définitif et l’inspiration assumée du réalisateur d’Ed Wood permet aujourd’hui de revenir à la source de ces deux films marquants. Il existe de grand récit de Batman, mais, avec les fêtes de noël qui approches, si vous devez offrir un BD du chevalier noir qui synthétise tout son univers il n’y aucun doute à avoir c’est celle-ci qui faut prendre.

 

 

 

Batman – Dark Detective (DC Essentiels, Urban Comics, DC Comics) comprends les épisodes US de Detective Comics #439, #469 à #476, Batman Chronicles #19 et Dark Detective #1 à #6

Ecrit par Steve Englehart

Dessiné par Sal Amendola (Detective Comics #439), Walter Simonson (Detective Comics #469 et #470), Javier Pulido (Batman Chronicles #19) et Marshall Rogers (Detective Comics #470 à #476, Dark Detective #1 à #6)

Prix : 28,00 €

 

 

 

 

 

 

 

¹ Steve Englehart est par exemple le scénariste qui prit en compte les épisodes de la série Captain America parus dans les années 50 et que Stan Lee avait mis de coté pour revenir à la version des années 40 quand il fit revenir le personnage dans la série The Avengers.

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