
On a lu… Jabberwocky (T. 1, 2 & 3) de Masato Hisa
Une espionne/tueuse alcoolique, des dinosaures et du complot dans tout les sens… Jabberwocky c’est James Bond à la sauce Jurassic Park, c’est Sin City en mode wasabi, c’est un polar groovy et ultra-stylisé qui vient mettre un grand coup de pied dans le manga. Avec ce titre en sept tomes, l’éditeur Glénat enrichit son catalogue et nous balance une œuvre radicalement différente de ce que l’on a l’habitude de voir.
Plantons le décor: Londres à l’époque victorienne… Lily Apricot est une tueuse au service de Sa Majesté, bien portée sur la bouteille. Elle est envoyée en Russie afin d’éliminer un terroriste russe mais elle est loin de s’attendre à ce sur quoi elle va tomber. Très vite, elle se retrouve à devoir mettre la main sur une orbe qui s’avère être en fait, un œuf de dinosaure. Car tout comme elle, vous l’ignorez certainement mais ils n’ont pas disparu il y 65 millions d’années… Ces grands lézards existent toujours et sont parmi nous. Ils parlent, fument des cigares et œuvrent dans l’ombre. Regroupés en sociétés secrètes, en armées ou encore en sectes, ils sont partout et tirent les ficelles. April fait donc la connaissance de Sabata Van Cleef, un oviraptor travaillant pour le compte du Château d’If, une organisation dirigée par le Comte de Monte-Cristo Troisième du Nom. Tout en tentant de tourner la page sur un passé douloureux, April accepte de travailler pour le Comte et devient la partenaire de Sabata. De la Russie à la Chine, en passant par l’Italie, ce duo plus qu’improbable va de mission en mission pour répondre à un idéal de justice mais c’est sans compter sur les grosses bébêtes vertes de tout poil (enfin on se comprend), qui vont leur mettre des bâtons dans les roues.
Ce qui frappe dès les premières pages de Jabberwocky, c’est le graphisme. Loin des cannons du genre, loin des formes kawai ou des planches ultra-détaillées, l’esthétique de Masato Hisa prône un certain radicalisme graphique. S’appuyant sur un dessin très contrasté à base d’aplats noir sur blanc ou inversement, le titre se rapproche d’avantage du Sin City de Miller que du manga classique. Ce jeu constant entre ombre et lumière, entre représentation et évocation, entre figuratif et abstrait donne au manga une puissance et un dynamisme incroyable. Hisa casse les codes comme l’avait fait Hajime Ueda avec le très barré FLCL et laisse parler sa fibre artistique. Certaines planches demandent à être déchiffrées ou percées à jour. D’autant qu’en terme de découpage, le mangaka s’amuse également à le triturer, le déstructurer pour mieux se le réapproprier. Ici, les cases s’étalent souvent à cheval sur les deux pages dans des compositions parfois bordéliques mais pleines de vie. Malgré un manque de clarté à certains endroits, le dessin de Masato Hisa a le mérite de se démarquer à travers un parti-pris tranché et totalement assumé.
Sur le fond, Jabberwocky intrigue… Ce délire à base de dinosaures, s’il est plutôt cartoonesque en théorie, est traité ici avec sérieux. Non pas que le titre soit exempt d’humour mais cette base scénaristique est la clé de voûte de l’œuvre. D’ailleurs, dès la première mission en Russie, on comprend assez vite que cet élément est loin d’être anecdotique et au fil des tomes, l’auteur enfonce le clou. Il réécrit l’histoire avec un sens aigu du «what the fuck?!», en nous apprenant notamment que Galilée était lui même un reptile ou encore que la Bible, plus précisément la Genèse n’est pas le récit de la création de l’Homme mais de celle du Dino, avec un grand «D». Hisa est tellement dans son trip que dans l’encart réservé à l’auteur, sur le rabat de la couverture, il va jusqu’à faire son portrait, vous l’aurez deviné, de dinosaures. Bref, tout ça pour dire que Jabberwocky va jusqu’au bout de son concept sans jamais dévier de sa route et va même plus loin encore (coucou le sauvetage de Mao Tsé-Toung en bébé).
Côté personnages, la dynamique du duo roule plutôt bien, en évitant de tomber dans la caricature du binôme dysfonctionnel. Lily, sorte de Charlie’s Angel au corps sculptural mais qui a toujours une bouteille à la main, même en combat, se dévoile au cours de flashbacks très fugaces. Ils nous parviennent par petites touches à travers les vapeurs d’alcool qui émanent de la tête de la jeune femme et nous dévoilent un passé sombre, endeuillé par le suicide d’une mère. De son côté, Sabata tente de laver l’honneur de sa race, les oviraptors, surnommés de la sorte car des ossements de l’animal ont été retrouvé à proximité de coquilles d’œufs fossilisés. Le mangaka transfère les maux du genre humain chez les dinosaures en traitant d’une certaine forme de racisme et d’ostracisation.
Si je devais reprocher quelque chose à Jabberwocky, c’est l’absence de réel fil conducteur. Arrivé à la fin du troisième tome, on regrette qu’il n’y est pas une intrigue plus générale en lien avec les missions, qui à ce stade, sont un peu interchangeable. En fait ce qu’il manque au titre, c’est un point de convergence de toutes ces missions ainsi qu’un adversaire notable, un vrai bad-guy, même si le dernier tome introduit un personnage qui pourra peut-être endossé ce rôle. Quoiqu’il en soit, Jabberwocky est suffisamment atypique pour ne pas laisser indifférent même s’il en laissera certains sur le bord de la route avec son scénario aussi absurde que jusqu’au-boutiste et son graphisme tranché. L’éditeur Glénat a clairement fait un pari avec ce titre et, vous voulez que je vous dise, il est gagnant.
Jabberwocky de Masato Hisa aux éditions Glénat
Niveau dessin je préfère Area 51, du même auteur et avec un univers aussi barré mais plus attractif.
Jabberwocky reste un bon délire, il faudra que je lise le tome 3 pour voir ce qui attend notre duo.
Merci de cette revue