
On a lu… La Poussière du plomb de Heinry, Labbé et Robin
Une jeunesse italienne embarquée dans la genèse d’une révolution impossible. Des « années de plomb » à nos jours, son parcours entre espoirs et chaos.
L’histoire : Hasta la revolución siempre… Fin des années 60, une bande de jeunes, plus rouges que les rouges, s’adjugent ce principe et basculent de la contestation à la lutte armée. De leur jeunesse à l’âge de la maturité, leur aventure sera parsemée d’embûches et de désillusions.
Mon avis : c’est beau de tristesse cette plongée dans les « années de plomb » italiennes, dans les entrailles d’une jeunesse avide d’action, de combats et d’idées. La botte à peine libérée du Duce et de ses chemises brunes, le parti communiste est jugé trop consensuel par cette frange de gamins qui découvrent la vie. C’est à celui qui sera plus prolétaire que les prolétaires.
Le contexte historique avec la naissance des Brigades rouges mais également la course à l’échalote que se livrent des groupuscules d’extrêmes gauche et droite rendent le récit oppressant de vérité et de violence plus ou moins larvée. En filigrane, on devine une libre interception de la destinée de Cesare Battisti.
On épouse sans souci les aspirations de ces jeunes pousses qui vont se perdre dans leur lutte. « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ». Ce slogan soixante-huitard leur colle à la peau. Ils voulaient changer le monde et c’est le monde qui les a changés… Une course effrénée et ratée vers un idéal inatteignable, le cimetière des illusions d’une époque pourtant fertile en envie de changement.
C’est également une histoire de l’Europe et un rafraîchissement de mémoire sur la doctrine Mitterrand ou l’engagement de Tonton à ne pas extrader les activistes italiens.
Ultra violence sociale, mafia et flic véreux, qui manipulent qui ? Qui fait avancer la cause ? C’est à y perdre ses petits mais on a du mal à décrocher malgré les quelques 224 pages de ce récit aussi noir que délicieusement désespérant. Avantage : pas larmoyant, ni de pathos.
Si vous aimez : les histoires qui finissent mal, en général et la politique désenchantée avec sous le coude Le Passé d’une illusion de François Furet.
En accompagnement : un bon verre de Bardolino, soyez prévoyant, laissez la bouteille à portée de main car le temps de lecture n’est pas celui d’une BD habituelle.
Autour de la BD : le trait d’Alexis Robin est très réaliste, le choix du sépia n’est pas anecdotique, cela dépeint une ambiance assez troublante un peu fin du monde. La doublette Heinry – Labbé est complémentaire et a su amener le lecteur jusqu’au bout.
Extraits : Michel, le Français : « Salut les révolutionnaires. »
Ornella : « Tu ne l’es pas encore ? »
Michel : « J’hésite encore un peu, il y a de belles filles aussi en face. »
Alberto : « Nous, les Italiens, on a un pays à sauver monsieur le Français. »
Michel : « Ne vous y prenez pas comme pendant la dernière guerre… »
Sortie: 16 mars 2016, éditions Delcourt, 224 pages, 23,95€.