
On a lu… Les anthologies Creepy et Eerie
L’oncle Creepy et le cousin Eerie nous donnent rendez-vous pour deux anthologies regroupant des histoires d’horreur belles et terrifiantes.
Descendant des EC Comics et précurseurs de toute une vague de séries dont on profite encore aujourd’hui, les histoires des magazines Creepy et Eerie sont enfin de nouveau disponibles dans des recueils de toute beauté. La naissance de Creepy est un bel exemple sur le fait que la censure est en soi un moteur créatif important. Ce paradoxe s’illustre en 1964 quand James Warren décide d’éditer un magazine de BD horrifique. Dix ans auparavant, le gouvernement américain fonde un sous comité sénatorial sur la délinquance juvénile afin d’enquêter sur le lien entre celle-ci et les comics-books, en se basant sur le travail du psychiatre Fredric Wertham. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la création du Comics Code Authority qui découle de cette enquête n’est pas le fait des autorités mais bien des éditeurs de comics qui préfèrent proposer une solution rapidement plutôt que de voir à quelle sauce ils allaient être mangés. Solution qui ne satisfît véritablement à personne, le CCA obligeait à mettre en valeur le triomphe du bien sur le mal de manière systématique, le respect des figures d’autorités et interdisait notamment la sexualité et la violence excessive, ainsi que toutes les créatures issues de la littérature d’horreur. Les vampires, loups-garous et autres zombies étant le fond de commerce de l’éditeur EC Comics (qui éditait notamment le célèbre magazine Tales from the Crypt), on comprend très vite pourquoi ses revues périclitèrent dans les années suivantes là où celles des autres éditeurs continuaient à se vendre en pratiquant l’autocensure. En refusant de se soumettre à cette réglementation, EC Comics provoqua le refus des vendeurs de mettre en rayon les magazines de la firme. Fin d’une époque.
Retour en 1964. James Warren aime les créatures fantastiques, il édite d’ailleurs un magazine de cinéma (Famous Monsters of Filmland) consacré à nos craignos monsters d’amour mais maintenant il veut faire davantage et éditer des BD sur ses créatures. Le coup de filou de Warren sera d’éditer ses BD non pas en tant que comics, mais en tant que magazines de cinéma. Plus de problème avec la censure donc qui considère que ces magazines sont à destination d’un public adulte. Creepy puis plus tard Eerie peuvent dès lors prendre leur envol et exposer de toute leur superbe des magnifiques récits horrifiques.
Contées par l’oncle Creepy et le cousin Eerie (référence directe aux EC Comics) les histoires de ces anthologies sont tout simplement remarquables. Mais est-ce étonnant quand derrière ces visions d’horreurs, ces rebondissements macabres et ces histoires palpitantes se terrent notamment Alex Toth, Al Williamson, Wallace Wood, Archie Goodwin, Russ Jones, Steve Ditko et les immenses Gene Colan et Frank Frazetta ? A la lecture de ces différentes histoires (qui tiennent en général sur 4 ou 5 pages apportant dès lors un rythme trépidant à chaque récit) on ne peut qu’être ébloui par ces dessins en noir et blanc et par cette atmosphère ténébreuse et inquiétante. Si sur la forme ces histoires se rapprochent des Tales from the Crypt (avec bien sûr, la chute finale toujours macabre), il y contient surtout une ambiance héritée du cinéma de la Hammer et des récits d’Edgar Allan Poe ou Mary Shelley. On y sent aussi une transgression encore plus subversive que dans les EC Comics comme si les révolutions des années 60 étaient passées par là. On pense par exemple à l’histoire Retour au Bercail avec le mari qui revient peu à peu à la vie après avoir été tué par sa femme et son amant, ou bien encore Eté Torride et ces citadins d’une petite ville qui semblerait très familière à Stephen King. La chose dans le puits ou bien encore Le duel des Monstres sont aussi excellentes de par l’ambiance glauque de la première et la fourberie finale de la seconde. Mais si l’auteur de ces lignes a bien des histoires préférées c’est bien évidemment l’ensemble de ces deux anthologies qui est à saluer. Le travail sur ces deux recueils est remarquable, la sélection des épisodes est très bien faite, et le tout nous est offert dans un bel écrin à la hauteur de la qualité de ces histoires enfin de nouveau disponible chez nous. Merci Oncle Creepy !
Anthologies Creepy et Eerie – Volume 1 (Edition Delirium, Warren Publishing)