
On a lu… Ma génération, celle d’une vie chinoise (T. 1) de Li Kunwu
La Chine… Sa révolution culturelle, ses fervents partisans, son leader adoré Mao… Ma génération nous plonge dans un récit autobiographique qui a valeur de témoignage. À travers trois grands moments de l’histoire du pays, dans la seconde moitié du XXème siècle, l’auteur revient sur ces hommes et femmes qui, à l’époque, étaient ses camarades de classe. Que sont-ils devenus ? Eux qui ont construit la Chine d’aujourd’hui. Un titre aussi poignant qu’édifiant, levant le voile sur une époque en plein bouleversement socioculturel.
« 1949, la révolution chinoise a triomphé et renversé l’impérialisme, le féodalisme et le capitalisme bureaucratique… ». C’est sur cette phrase que s’ouvre ce diptyque de Li Kunwu. À l’heure où le pays s’ouvre petit à petit au monde extérieur et remet en cause l’hégémonie américaine, grâce à une économie grandissante, Ma génération nous rappelle les heures chaotiques d’une nation aveuglée par le diktat d’un leader suprême. Mais attention, le dessinateur ne cherche absolument pas à nous donner un cours d’histoire, ni même à porter un jugement sur ce qu’il a vécu. Ici, Li Kunwu plonge dans ses souvenirs d’enfance, une enfance forcément très différente de la nôtre. La promiscuité, l’éloignement des parents dès le plus jeune âge et le lavage de cerveaux à grands coups de propagande, c’est un peu tout cela qui a formé, qui a construit cette fameuse génération. L’auteur oscille entre son regard d’enfant qu’il était à l’époque et une légère prise de recul permettant d’avoir une vision plus globale. Entre scènes de vie à la maison, à l’école mais surtout dans la rue et une approche plus didactique sur les événements qui ont bâti la Chine, le titre trouve assez bien l’équilibre.
Les portraits de ces enfants, même s’ils paraissent à mille lieux de ce que l’on connaît, n’en demeure pas moins poignants. Les voir se débattre dans un monde qu’ils ne comprennent pas et se faire influencer et façonner par un système a forcément quelque chose d’assez effrayant. Sans aucune forme de misérabilisme, Li Kunwu tente de relater de la manière la plus simple et certainement la plus authentique possible, ce qu’il a vécu, tout en conservant ce qu’il faut d’innocence et d’espièglerie. Au fil de la lecture, on pense au Petit Nicolas sauce chinoise, une sorte de version pro-Maoïste des 400 coups. Concernant le dessin, l’auteur met à profit son expérience de dessinateur de presse et croque ses anciens camarades de fort belle manière. Le trait, qui rappelle la calligraphie chinoise, est à la fois fragile, brouillon, maladroit, vibrant et foisonnant. N’utilisant uniquement que du noir et du blanc, sans tons intermédiaires comme dans la majorité des mangas, Ma génération offre une belle expérience graphique. Il se rapproche d’ailleurs nettement plus du roman graphique que du manhua (bd chinoise) traditionnel. Après Au cœur de Fukushima, sorti il y a quelques semaines, l’éditeur Kana, toujours dans sa collection Made In, fait décidément des choix intéressants et osés. Des titres d’auteurs, autobiographiques, relatant une dure réalité, qui font offices de mémoire. Bref, de beaux mais surtout, d’essentiels témoignages qui nous permettent de mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons.
Ma génération, celle d’une vie chinoise (T. 1) de Li Kunwu, aux éditions Kana