
On a lu…Porcelaine – Tome 1 : Gamine
Aujourd’hui on va faire une infidélité aux super-héros et aux comic-books pour aller flirter dans les terres de la perfide Albion avec un album dont, pour être franc, on n’attendait rien et qui se révèle être une magnifique surprise.
Ciment de toutes sociétés et outil participant à la construction de la structure mental et moral de l’enfant, le conte est probablement une des formes artistiques les plus pures et ancienne de l’histoire de l’humanité. Traversant les frontières, les générations et les civilisations, il se transforme et s’adapte constamment conservant ainsi sa capacité à illustrer son époque. Écrit par Benjamin Read et dessiné par Chris Wildgoose, Porcelaine est un bel exemple de conte moderne au propos universel.
Dans un monde presque identique au nôtre, comme un écho magique de la Terre, Gamine, une enfant au caractère bien trempé, n’accepte pas la violence de la rue à laquelle elle est confrontée. Décidée à fuir le froid de Snowy City, elle trouve refuge chez le porcelainier. Ce vieil homme bienveillant vit là, entouré de ses automates. Une seule condition à leur cohabitation : ne JAMAIS pénétrer dans son atelier…
Porcelaine n’est pas la première œuvre du duo, ceux-ci ont déjà signés les adaptations en comic-books des films True Grit et Super 8. Pourtant c’est avec une humilité confondante et touchante que Benjamin Read évoque ce magnifique album considéré par les deux auteurs comme leur premier enfant. C’est en effet la première histoire à sortir de leur propre studio, Improper Books. Comme tout bébé celui-ci est le plus beau du monde pour ses parents et on ne peut s’empêcher de leur donner raison Porcelaine est un graphic novel d’une beauté tout simplement renversante.
Divisée en trois chapitres symbolisant le parcours de l’héroïne (le mur, le jardin, le portail), Porcelaine se trouve être à la croisée du steampunk ou de la fantasy et ré-invente certains des contes les plus célèbres de l’histoire. On pense bien sur à La belle et la bête, à Barbe Bleu, ou bien encore à Alice aux pays des merveilles. Il y aussi du Dickens dans Porcelaine et notamment dans ses premières pages quand on entre-aperçoit le quotidien de Gamine. Une vie misérable constituée de vol, de cambriolage, de combine en tout genre mais surtout de violence, de mauvais traitement. Et quand celle-ci grimpe le mur c’est bel et bien comme entrer dans une nouvelle dimension.
Alors que la majorité du récit se déroule au sein d’une demeure et de son jardin, il est fascinant de constater à quel point Read et Wildgoose arrive à nous faire croire à l’existence de tout un monde extérieur vaste et probablement excitant dans ses différences avec le notre. Car les créatures que construit le porcelainier ne sont pas des objets magiques destinés à son seul service mais des créations dont il fait commerce. Si un des nœuds de l’histoire se trouve dans le secret qui flotte autour de la conception de ses ouvrages ce nœud ne représente pas l’âme ainsi que le caractère émotionnel et magique de l’histoire.
Car on se doute assez vite de la nature même du secret du porcelainier et cela à peu d’importance. Ce qui compte à nos yeux au fur et à mesure que l’on tourne les pages c’est la douce et tendre histoire d’un amour filial qui se noue entre un homme aussi froid que la matière qu’il façonne et la gamine des rues. A l’heure où il paraît que la seule famille valable c’est un papa, une maman, un garçon qui deviendra cadre et une fille éduquée pour pondre et s’occuper de la descendance, les auteurs participent à l’effort salutaire de démonstration de la multiplicité des modèles familiaux.
Ici la Bête n’a pas subit de malédiction seulement la seule qu’il s’inflige et Gamine vit avec des enfants perdus assez spéciaux. Porcelaine ré-invente et modernise des contes que l’on connaît dans une maestria graphique totalement incroyable et d’une beauté à couper le souffle. Minimaliste au départ, le dessin de Wildgoose étend sa beauté au fur et mesure de la découverte de ce nouvel univers pour Gamine. Point central du récit elle évolue graphiquement elle aussi que ce soit dans ses tenues ou ses expressions. Le point culminant sera atteint avec la découverte de son cadeau d’anniversaire. Un passage à couper le souffle et dont l’écho dramatique résonne encore aujourd’hui après notre lecture.
Avec un brio certain dans la capacité des auteurs à raconter une histoire unique tout en disséminant continuellement de multiple pistes pour deux suites prévus l’année prochaine, Porcelaine est une œuvre remarquable en tout point et dont on espère beaucoup de succès tant la Gamine, le porcelainier, Benjamin Read et Chris Wildgroose le méritent.
Porcelaine – Tome 1 : Gamine (Contrebande, Delcourt, Improper Books)
Ecrit par Benjamin Read
Dessiné par Chris Wildgoose