On a lu… Shangri-La de Mathieu Bablet

On a lu… Shangri-La de Mathieu Bablet

Note de l'auteur

Il y a des ouvrages de rentrée qui nous renversent, nous transportent, nous passent à l’essoreuse et nous abandonnent, complètement bouleversés, sur le bord du chemin. Cette rentrée, c’est celle de Mathieu Bablet.

shangri_laL’histoire : L’humanité, ou ce qu’il en reste, vit désormais en vase clôt. La Terre est beaucoup trop polluée, il faut vivre désormais, dans des stations spatiales, créées par Tianzhu Enterprise. Une compagnie qui offre aux hommes du travail, leur permet d’avoir des crédits pour acheter le dernier téléphone. Bref, qui contrôle notre vie de A à Z. Mais en même temps, ne sommes-nous pas heureux ainsi ? Scott a un étrange travail pour cette entreprise, en partenariat avec son frère, même si tout les oppose… Et quand lui, comme l’équipage avec lequel il partage ses missions, se rendent compte de la réalité, est-il déjà trop tard ?

Mon avis : Hommes, femmes, mais aussi étranges créatures mi-humaines, mi-animales. Consumérisme, capitalisme et vacuité finalement, de la vie. Scientifiques contre entreprises. C’est autant de thèmes aux travers desquels le lecteur va se promener, ou plutôt s’égratigner, dans ce bel ouvrage, qui ne laisse personne indemne. En effet, certaines ficelles peuvent sembler grossières, telle la dernière campagne de publicité pour un TZ phone. Mais à l’heure de l’iPhone 7, difficile de savoir ce qui rend le plus mal à l’aise : un argument un peu déjà-vu ou un imaginaire un peu trop proche de la réalité.

babletshangrila-8Point de poésie dans cette histoire, si ce n’est la beauté de l’espace. Car le dessin mêle horreur du quotidien et révélations débectantes avec des planches pleine page de toute beauté : un homme seul dans l’espace. L’incroyable néant qu’est l’être humain face à la nature. L’inutilité de sa condition et de ses ambitions. Le portrait que Mathieu Bablet dresse de nous est un miroir cruel de toutes nos petitesses. Le scientifique n’a plus de limites, créant des animaux doués de parole et de raison pour mieux les détruire, les Animoïdes. C’est l’absence totale de toute conscience que l’homme a perdu quand il a quitté la Terre.

Alors oui, c’est parfois trop. Trop lourd, trop sombre, trop peu crédible (« ah bon, vraiment ? » ne peut s’empêcher de demander une voix dans la tête de son lecteur), trop dur finalement. Mais c’est aussi un ouvrage bouleversant, qu’il est dur de laisser derrière soi. Très différent d’Adrastée, dont l’intégrale a été publiée en même temps et dont nous vous parlerons sous peu, Shangri-La est à réserver aux cœurs bien accrochés, aux amateurs ou non de science fiction, par les thèmes universels qui traversent l’ouvrage et les questions posées. Dans les logements fonctionnels et étroits qui servent d’appartements aux habitants de la station, aux Animoïdes maltraités et pourtant essentiels à l’écosystème, c’est dans l’explosion, des planches comme de l’atmosphère, qu’on trouvera peut-être la réponse, alors que la rébellion se prépare.

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Shangri-La, ce n’est pas forcément de la BD « comme je les aime ». C’est de la BD, « comme j’en ai besoin ». Besoin de réflexion, besoin de malaise, alors que le dessin s’articule aussi bien sur les émotions, les liens, les visages, que sur l’immensité du néant.

Si vous aimez : Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley.

Autour de la BD : Le blog de Mathieu Bablet, c’est par là ! Il s’agit par ailleurs du premier titre SF du label 619, aux éditions Ankama, qui met donc la barre très haute.
Sinon, Shangri-La est un lieu imaginé par James Hilton, dans son roman Les Horizons perdus. Il s’agit d’un lieu tibétain hors du temps, une utopie close et paisible.

fa_image_00060036En accompagnement : Un verre d’eau de mer. Si possible avec des bouts de plastique qui flottent dedans.

Extrait : « – Je me demande pourquoi les serpents sont les seuls animaux réintroduits… Et ne sont pas des animoïdes comme… vous autres ?
– Tu connais la blague au sujet de mon espèce ? Elle circule dans un certain cercle d’animoïdes : il se dit que les hommes étaient tant effrayés par leur méconnaissance du cerveau reptilien… qu’ils ne souhaitaient pas voir apparaître de reptiles animoïdes. Imprévisibles… Incontrôlables… Donc pas d’hommes-serpents… Tu saisis le sens de cette blague ? »

Sortie : 2 septembre 2016, éditions Ankama, label 619, 224 pages, 19,90 euros.

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