On a lu… Stormwatch de Warren Ellis

On a lu… Stormwatch de Warren Ellis

Note de l'auteur
Stormwatch #37

Stormwatch #37

Décennie phare dans l’univers des comic-books, les années 90 connurent des grands bouleversements pas toujours bien heureux sur le plan artistique et économique. Souvent décriée pour la piètre qualité de sa production, cette époque vit pourtant l’émergence d’œuvres majeures dont l’influence peut encore se percevoir aujourd’hui. Parmi ces titres, un sort du lot. Son nom : Stormwatch, son maître d’œuvre : Warren Ellis.

 

En mai 1995, La Haine sortait sur les écrans et Jacques Chirac était élu président de la République Française. Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro nous offraient La cité des enfants perdus et les enfants que nous n’étions déjà plus versaient une larme pour Christopher Reeve victime d’un accident qui venait de le rendre tétraplégique. Celui qui fut et restera à jamais Superman à l’écran passera le reste de sa vie dans un fauteuil et prouvera par son combat qu’il restait digne du rôle qui l’a rendu célèbre. Pour les amateurs d’histoires de super-héros, le mois de mai 1995 reste également une date importante en France. C’est en effet à cette époque que l’éditeur Semic édita en kiosque deux nouvelles revues : Spawn et Youngblood. Suivront dans les mois qui suivirent WildC.A.T.s, Savage Dragon, Gen13, Cyberforce, Witchblade ou bien encore Wetworks.

 

Ces séries furent les premières d’une toute nouvelle boîte d’édition créée en 1992 et qui allait devenir bien grande : Image Comics. L’histoire est aujourd’hui bien connue. Après avoir claqué la porte de Marvel, les dessinateurs les plus vendeurs d’alors décidèrent de fonder un studio avec comme but de permettre aux auteurs d’éditer les histoires sur lesquelles ils conserveront les droits. Si la cause est noble, le résultat est largement décevant. Personnages musculeux à l’extrême, violence gratuite, bimbos sur-siliconées etc. etc. Les productions Image sont un ramassis de clichés ambulants qui pourraient presque être acceptables si elles n’étaient pas, pour la plupart, doublés de scénarios affligeants, véritables fac-similés des séries Marvel d’alors (les X-Men et les Avengers notamment).

 

Warren Ellis

Warren Ellis

Le succès est toutefois au rendez-vous des deux côés de l’océan, et quelle que soit la piètre qualité de l’ensemble, force est de reconnaître qu’elle donna un coup de pied bienfaiteur dans la fourmilière et que les deux gros éditeurs durent se remettre en question. Toutefois il devint vite évident que la fulgurance des débuts ne durerait pas éternellement et qu’il manquait des véritables scénaristes à la barre. Ainsi au milieu des années 90, tandis que Jim Lee ou Rob Liefeld allaient s’amuser à relancer certains héros Marvel à l’occasion de Heroes Reborn¹, Alan Moore repris en main Supreme et en fit une relecture du personnage de Superman et des héros de l’âge d’or. Celui qui avait déjà remit sur les rails WildC.A.T.s établit ici une œuvre passionnante. Mais il ne fut pas le seul à marquer cette époque.

 

Pour les lecteurs amateurs de Jim Lee que nous étions, la série WildC.A.T.s était immanquable (et, avouons-le, on la considère encore aujourd’hui comme un bon plaisir coupable). Longtemps seule série du studio Wildstorm publiée en France, nous pûmes découvrir à l’occasion du crossover Wildstorm Rising d’autres séries qui gravitaient autour de celle-ci, parmi lesquelles Stormwatch. Organisation sous mandat des Nations Unies, elle regroupe au sein de deux équipes, plus d’une dizaine d’êtres aux super-pouvoirs dont la mission est d’intervenir et de gérer des situations de crises. Dirigé par Henry Bendix, leur base d’opération est le satellite Skywatch en orbite autour de la Terre.

 

Stormwatch avant Ellis

Stormwatch avant Ellis

Lancée en mars 1993 par Brandon Choi, Jim Lee et Scott Clark au dessin, Stormwatch peut se voir comme un mix des Avengers, de la Justice League et du S.H.I.E.L.D le tout à la sauce Image. Mais à l’instar des autres séries du studio Wildstorm, Stormwatch ne déborde pas de qualité. Tout au plus pouvons nous noter l’idée d’un saut dans le temps annonçant des gros changements² (une idée que l’on peut retrouver actuellement aux USA chez les Avengers de Jonathan Hickman), c’est pourtant dans ces pages qu’eurent lieu de grands changements. En juillet 1996, l’équipe de Stormwatch sort en effet du crossovers Fire From Heaven et doit se réorganiser mais la véritable révolution à lieu ailleurs. Succédant à Drew Brittner, Warren Ellis prend en main le scénario de la série à partir du numéro #37 et rien ne sera plus comme avant.

 

 

Scénariste anglais, Warren Ellis est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands auteurs de comic-books grâce à des oeuvres comme Transmetropolitan, The Authority, Planetary ou bien encore Iron Man : Extremis mais en 1996 il est encore un jeune scénariste dans la profession. Avant cette époque on a pu le voir œuvrer sur Excalibur, Thor ou bien encore Doom 2099 mais c’est en arrivant chez Image qu’il va effectuer sa mue. S’il lance et écrit les premiers numéros de DV8 (une version trash des équipes de jeunes ados) c’est bel et bien avec Stormwatch qu’Ellis va apposer sa marque. Comme indiqué sur la couverture du numéro #37, la série entre dans une nouvelle ère.

 

Stormwatch après Ellis

Stormwatch après Ellis

Dès les premières pages, le personnage de Bendix alors porte parole d’Ellis fait un ménage en profondeur. S’éloignant de la structure classique des équipes de super-héros, il vire la majorité des membres de l’équipe et crée trois groupes plus restreint. Au fil des pages qui nous présentent cette refonte on se rend rapidement compte qu’Ellis s’éloigne de la tonalité de l’univers Wildstorm pour dépeindre un univers plus crédible dans la représentation de ses menaces. Le mantra de l’équipe change subtilement. Celle-ci devient beaucoup plus réactive aux menaces qui prennent de nouvelles formes. Une réactivité qui bascule même dans la pro-activité avec l’arrivée de nouveaux personnages : Jenny Sparks et Jack Hawksmoor. Création de Warren Ellis, ils seront la représentation du changement de ton qu’apportera le scénariste sur la série.

 

Le changement est percutant à tel point qu’on se retrouve à lire une nouvelle série effaçant totalement ce qui précède³. Coquille vide tout juste bon à se battre, les personnages de Stormwatch révèlent leurs profondeurs et la multiplicité de leurs facettes. Warren Ellis entame une réflexion sur la figure du super-héros telle qu’on ne l’avait pas lu depuis Alan Moore sur Watchmen. S’étant arrêtée à la surface des choses, la majorité de la production depuis lors s’était allégrement vautrée dans une complaisance limite malsaine en matière de violence et de sexe. Croyant naïvement que le super-héros de papa était mort avec l’aboutissement du plan d’Ozymandias, les éditeurs proposèrent en majorité  des figures sans concessions et des figures over the top.

 

Warren Ellis remet les pendules à l’heure. Dans Stormwatch #46 le personnage de Winter (leader du groupe et personnage présent depuis le début de la série) veut renforcer les liens entre les différents membres de l’équipe à l’occasion d’une soirée dans différents bars. Si l’intention est bonne, il découvrira vite qu’il est le dernier à l’avoir eu et que plusieurs membres de l’équipe ont déjà tissé des liens en dehors du boulot. D’un coup les figures héroïques classiques (du moins celles mises en avant par Image jusqu’alors) apparaissent déconnectées de la réalité. Ils sauront toutefois reconnaître cet état de fait et évolueront. Cet épisode est également le début de l’arc Change or Die dans lequel Warren Ellis va confronter Stormwatch à un groupe de super-héros qu’on reconnaîtra comme le décalque de la Justice League dont le but est clairement de changer le monde.

 

Change or Die

Change or Die

Durant les neuf premiers épisodes du run, le scénariste a eu à cœur de déconstruire la figure du super-héros des années 90 à travers des récits très rythmés et bouclés à chaque fin d’épisode. Ce d’autant plus qu’avec trois équipes il se permet de varier les tons et les histoires avec à la clé des personnages beaucoup plus riche. Avec Change or Die, Ellis passe à la vitesse supérieure en prenant à bras le corps une des grandes questions qu’apporte la figure du super-héros. Un tel pouvoir ne doit-il pas être utilisé à changer véritablement le monde et non à conserver un certain statu quo ? Si Ellis a sa petite idée la dessus, il préfère ne pas répondre frontalement à la question et prendre des chemins de traverse.

 

Publiée à partir de 1996, Stormwatch est autant une série qui a influencé son média qu’elle fut un produit de son temps et s’il existe une œuvre populaire qui marqua fortement cette époque c’est bel et bien la série X-Files. On retrouve ainsi dans Stormwatch ce climat de paranoïa propre à la série de Chris Carter. « Ne faites confiance à personne », « la vérité est ailleurs »… ces leitmotive célèbres, Ellis les a fait sien en écrivant sa série. Au fur et à mesure des numéros, les personnages se rendent compte que quelque chose ne tourne pas rond. Programme gouvernemental destiné à créer des super-humains en tant qu’arme de guerre et héros se révélant traître. Rien ne va plus au royaume des super-héros ? Pas si sûr.

 

Jack Hawksmoor

Jack Hawksmoor

Certes Warren Ellis refuse de plus en plus de voir dans les membres de Stormwatch des super-héros classiques ce qui ne l’empêche pourtant pas de les transfigurer à travers les personnages de Jack Hawksmoor et Jenny Sparks. Enlevé par des aliens qui firent sur lui des expériences, Jack Hawksmoor tire ses pouvoirs de la ville et des métropoles. Avec lui, Ellis renouvelle la figure du super-héros urbain en établissant un lien direct et charnel dans ce qui était auparavant une symbiose sous-entendue au sein du comics-books depuis l’apparition (au moins) de Superman. Personnage en retrait au début, il prendra peu à peu de l’ampleur notamment à travers le passionnant épisode #43 dans lequel il traque un tueur psychopathe ou bien encore dans l’arc Bleed où, à l’occasion de la découverte d’une réalité parallèle, on découvre un autre Jack prêt à se sacrifier pour sauver la Terre.

 

 

Nouvelle donne

Nouvelle donne

Disposant d’un contrôle total sur l’électricité, Jenny Sparks est décrite comme étant « l’esprit du 20ème siècle ». Née le 1er janvier 1900, elle rejoint Stormwatch après avoir eu une vie bien remplie en drame ce qui la rendue désabusée et cynique quand à son rôle. C’est à travers elle que Warren Ellis va s’amuser à tracer une histoire du super-héros au sein de son univers. Histoire qui, bien sur, est l’écho de celle du comic-books. Invitée par Battalion à raconter sa vie, Jenny Sparks va, à contrecœur, s’exécuter dans Stormwatch #44. L’occasion alors pour le scénariste d’établir un vaste panorama de presque 60 ans d’histoires. L’ingéniosité d’Ellis (aidée en cela par le talent au dessin de Tom Raney) est de montrer sous un jour nouveau ces histoires. Maestria visuelle rendant hommage, entre autres, à Joe Shuster, Will Eisner, Jack Kirby ou bien encore Dave Gibbons l’épisode traite autant du racisme que de la conquête spatiale ou de l’évolution du super-héros.

 

Créations de Warren Ellis, Jenny Sparks et Jack Hawksmoor vont être les piliers de la réflexion qu’il construit au fur et à mesure de son run. À peine achevé la série au numéro #50, il la relance au numéro #1 pour mieux accentuer la fracture idéologique qui s’établit après Change or die. Accentuant encore plus le climat de paranoïa et versant allégrement dans les concepts de science-fiction les plus intéressant (notamment avec l’arc Bleed), Warren Ellis pousses ses héros dans leurs derniers retranchements. Chant du cygne d’un genre dont les figures se renouvellent, le run d’Ellis pose les bases de ce que seront les super-slips dans les années 2000. Si les années 90 commencèrent mal pour les comic-books de super-héros, Stormwatch #37 signe le début d’un renouveau passionnant. Ainsi derrière Ellis viendra Grant Morrison et sa JLA où Batman, Superman & co sont décrit comme des divinités prêtent à enchainer les douze travaux. Stormwatch représente également une date clé pour l’auteur, comme si un déclic s’était fait durant l’écriture de ce run. Ainsi au même moment que Stormwatch #1 est publié, l’auteur se lance dans son oeuvre la plus forte : Transmetropolitan.

 

La fin du époque...

La fin du époque…

La fin cataclysmique de Stormwatch permet à Ellis d’aller au bout de la réflexion quand au rôle du super-héros au sein de son monde. La plupart des membres ayant perdu la vie lors des événements de la mini-série WildC.A.T.s/Aliens, Stormwatch est dissout mais de ses cendres va naître une nouvelle équipe. Jenny Sparks, Jack Hawksmoor, Swift sont rejoint par Appolo, Midnighter, le Docteur et l’Ingénieur et décident de former une équipe beaucoup plus proactive destinée à changer le monde en s’affranchissant de toutes les règles et de toutes les lois autres que les leurs. Épaulé par Brian Hitch au dessin, Warren Ellis frappera à nouveau un grand coup avec The Authority. Mais cela est une autre histoire.

 

Action Comics #1, Detective Comics #28, Showcase #4, Fantastic Four #1, Amazing Fantasy #15, Green Lantern/Green Arrow #1, The Saga of the Swamp Thing #21, Watchmen, Batman – The dark Knight Returns… chaque décennie a connu son petit lot d’œuvre qui a considérablement influencé la production et la tonalité des histoires.  Avec Stormwatch, Warren Ellis établit un travail de déconstruction et de reconstruction du héros dont on peut voir l’impact dans les années 2000. Séries à l’impact méconnu, elle fait pourtant le lien entre les super-héros des années 90 héritiés de Watchmen et ceux des années 2000 beaucoup plus interventionnistes. À l’instar de Garth Ennis dont on pourra lire plusieurs œuvres dès janvier (Preacher et Hellblazer), on espère qu’Urban Comics profitera de la publication de Trees pour proposer la somme des travaux de l’auteur britannique sur l’univers Wilstorm. Avouez qu’un Warren Ellis présente Stormwatch et The Authority ça aurait de la gueule non ?

 

 

 

...et le début d'une nouvelle

…et le début d’une nouvelle

 

 

 

 

Stormwatch de Warren Ellis, série publiée en France dans :

 

  • Nova n°228 à 233 (Stormwatch (V1) #37 à #42)
  • Wildstorm n°1 à 6 (Stormwatch (V1) #43 à #48)
  • Wildstorm Spécial n°2 (Stormwatch (V1) #48 à #50)
  • Collection Image n°8 (Stormwatch (V2) #1 à #3)
  • Stormwatch n°1 à 3 (Stormwatch (V2) #4 à #11

 

Dessiné par Tom Raney (#37 à #39, #41 à #46, #48 à #50), Michael Ryan (#40, #3, #8 à #11)), Jim Lee (#47), Oscar Jimenez (#1 à #3) et Bryan Hitch (#4 à #11)

 

 

 

 

 

¹ Suite à l’énorme saga Onslaught en 1996, les Avengers, Hulk et les Fantastic Four furent considérés comme morts. En fait ils évoluèrent dans un nouvel univers et redémarrèrent leurs aventures aux numéros 1 sous l’égide de Jim Lee, Rob Liefeld ou Whilce Portacio. Cet ancêtre de l’univers Ultimate eu toutefois la vie courte et tous les héros réintégrèrent l’univers classique au bout d’une année de souffrance pour le lecteur.

 
² Prenant pour prétexte le voyage dans le temps d’un de ses membres, la série passe directement de l’épisode #9 à l’épisode #25 pour revenir ensuite au numéro #10. Les épisodes suivants auront alors comme but de raconter le cheminement jusqu’aux évènements aperçus dans le futur.

 
³ On remarquera d’ailleurs qu’alors que les épisodes d’Ellis sont régulièrement réédités en librairie aux USA, les trente-six premiers épisodes n’ont jamais connus cet honneur.

 

 

 

 

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