
On a lu… Transmetropolitan – Année 1 de Warren Ellis et Darick Robertson
A l’heure où une soi-disant élite s’évertue à diviser afin de mieux régner sur les gens en pointant du doigt les avantages supposément scandaleux de son voisin. A l’heure où toutes les grenouilles de bénitiers de toutes les religions continuent à produire l’opium du peuple à grand coup de peur fantasmée sur des théories inexistantes mais bien pratiques, pour justifier honorablement l’homophobie, le racisme, le sexisme et l’intolérance. A l’heure où des grands groupes détruisent la Terre chaque jour. A l’heure ou les représentants du peuple oublient qu’ils sont élus pour et par lui, et qu’ils doivent le servir et non l’inverse. A l’heure où le mensonge et la manipulation sont les mamelles du politicien en campagne bien plus inquiet pour l’avenir de son cul, que pour l’avenir de son pays. A l’heure où les partis et groupuscules extrémistes dénoncent sans complexes leurs petits camarades négligeant sciemment de dire qu’ils proviennent de la même fange, et ne veulent au final qu’avoir eux aussi une part du gâteau. A l’heure où la majorité des médias mettent en scène tout ce petit monde dans un barnum grotesque et répugnant. Bref, à l’heure où la liberté est menacée par les cons, cela fait du bien de se plonger dans le brûlot de Warren Ellis !
C’est un fait qui ne souffre d’aucune contestation : les Anglais et les Ecossais ont eu une influence considérable sur la culture populaire en général et sur les comics en particulier. Portés par Alan Moore, ils apportèrent un vent de fraîcheur plein d’idées nouvelles et contestataires. Ils s’appellent Grant Morrison, Neil Gaiman, Mark Millar, Garth Ennis ou bien encore Peter Milligan et une de leur terre d’adoption se nomme Vertigo. Cette filiale de DC Comics a publié des récits marquants tels que Preacher, Hellblazer, The Invisibles ou bien encore Transmetropolitan de Warren Ellis.
Ellis est aussi un Anglais venu dans les colonies américaines pour faire fortune. Il débuta sa carrière dans les années 90 en écrivant des histoires de Judge Dredd, mais c’est chez Marvel Comics qu’il commença à se faire un nom en reprenant en main la destinée d’Excalibur, mais surtout en écrivant des épisodes excellents de cette non moins excellente série qu’était Fatalis 2099. La fin du millénaire sera, à ce jour, la grande période d’Ellis. En 1996 il rejoignit Image Comics et plus particulièrement Wildstorm pour qui il écrivit DV8 avec Humberto Ramos au dessin. La même année il reprit les rennes de la série Stormwatch et transforma radicalement cette énième équipe sans âme de l’éditeur, en une série audacieuse dont on commence seulement aujourd’hui à se rendre compte de l’influence sur la production des années 2000¹.
Si la fin du millénaire donne lieu à un regain de mysticisme et d’histoire apocalyptique, c’est aussi une période où un certain droit d’inventaire rageur a lieu sur notre société et son avenir. Les Watchowski nous plonge dans la Matrice, James Cameron réalise la fin du monde moderne sur un bateau, Grant Morrison écrit The Invisibles et David Fincher fout tout le monde KO au fight club. Sur Stormwatch, Ellis commence à véritablement prendre son envol en se débarrassant peu à peu de ses tics de jeunesse, et en trouvant sa voie, son style, sa route, mais il lui faut autre chose. Il n’en peut plus, il a besoin de crier, de hurler, de vomir toute sa rancoeur, sa hargne et sa haine de tout ce qu’il exècre dans notre société. Warren Ellis a besoin de quelqu’un pour effectuer complètement sa mue, pour être sa voix et cet homme, ça sera Spider Jerusalem.
Exilé depuis près de cinq ans loin du fracas de la civilisation, le journaliste Spider Jerusalem est contraint de reprendre le chemin de La Ville. Secondé par ses deux assistantes, Channon Yarrow et Yelena Rossini, l’acide et misanthrope pamphlétaire reprend alors son combat contre les abus de pouvoir, la corruption et les injustices de cette société du 21e siècle qu’il chérit autant qu’il exècre. Dans les rues étouffées par le silence médiatique, résonnent bientôt les mots amers et enivrés du plus fervent défenseur de la Vérité.
Transmetropolitan est l’oeuvre clé de Warren Ellis. Un récit brut et limpide dans sa structure pour un propos sans concessions sur notre société. A travers son alter ego Spider Jérusalem, Ellis va régler leur compte à toutes les institutions de la société moderne. Transmetropolitan est une œuvre forte et marquante certes, mais c’est avant tout un putain d’énorme cri primal de l’auteur. Un cri d’une puissance telle qu’on entend encore aujourd’hui son écho.
Dès les premières pages, Ellis va mettre les choses au point. La transformation physique de son personnage sonne comme un fort désir de tuer le père spirituel et de rejoindre le clan de ses frères d’armes. Les premières pages de Transmetropolitan nous montrent ainsi un Spider Jerusalem ressemblant physiquement à Alan Moore, devenir totalement imberbe après un passage sous la douche. Spider Jerusalem rejoindra le clan des chauves charismatiques tels que Hunter S. Thompson ou même Grant Morrison qui adopta ce look lors de son travail sur The Invisibles.
En s’inspirant de l’homme qui popularisa le journalisme gonzo et de son collègue scénariste, Warren Ellis va faire de Transmetropolitan son territoire de jeu. Les douze premiers épisodes que contient ce premier tome (la série en fait au total 60) vont être une tribune dans laquelle Spider Jerusalem sera le maître de cérémonie et la voix d’Ellis. Une voix au langage pas vraiment châtié et dont la logorrhée verbale n’a d’égale que la poésie utilisée pour dire gentiment aux autres d’aller se faire mettre. Religion, politique, société, télévision, média etc etc, tout le monde y passe.
Dessinée par un Darick Robertson en total emphase avec Ellis, Transmetropolitan est une œuvre aux graphismes incroyablement denses dont la multitude de détails et le foisonnement d’idées et de concepts graphiques nous procurent des heures d’études et de contemplation. Lire un épisode de cette série c’est comme en lire une vingtaine d’un autre comics. Au sein de La Ville tout est démesurément dingue, les sectes pullulent, on peut se faire cryogéniser pour revivre plus tard, les pubs sont partout et vont jusqu’à envahir les rêves. Pour un peu on imagine bien que le comic fut une des influences pour les petits gars de Futurama.
Composé de deux arcs de trois épisodes chacun ouvrant et clôturant l’année, et de six épisodes à l’intrigue fermée, ce tome va nous montrer les différentes aventures et pérégrinations d’un Spider Jerusalem revenu dans sa Mecque maudite. Après une première histoire plaçant tous les enjeux et nous montrant la capacité du personnage dans son art et son crédo de propager la vérité avec un grand V par le biais de sa plume, Ellis va ensuite dégainer son six-coups et tirer une balle dans la tête des cibles qu’il a désigné. Un épisode se consacrera ainsi à la redécouverte par Spider des joies de la télévision, tandis qu’un autre le verra se confronter au président des USA. Un personnage qu’il connait bien, qu’il appelle La Bête, et dont il chroniqua la victoire par un article composé uniquement du mot « putain » écrit huit mille fois.
L’arc concluant le tome se pose comme une première conclusion dantesque de la série où Spider fait face à tous ses démons se manifestant par une multitude de gens ayant des griefs assez légitime contre lui. Défenseur de la vérité tout autant qu’il soit, Spider n’en reste pas moins un bon gros connard égoïste, égocentrique et destructeur qui n’hésite jamais à se droguer et à profiter de son prochain s’il peut y voir un quelconque intérêt. Tout est pourri dans La Ville, même lui. Le talent d’Ellis se retrouve ainsi dans un épisode tel que celui consacré à la religion où il arrive à dresser un discours critique envers celle-ci par le biais de son héros, pour dans le même temps nous le montrer comme un être sans compassion. Sa propre assistante alors en demande de soutien lors d’une difficile épreuve, en fait les frais. Ce descendant d’Hunter Thompson au style si particulier et agréable, est toutefois assez conscient de ses propres travers pour ne pas qu’on puisse le balancer avec le reste des ordures.
Faisant partie des séries phares de Vertigo, Transmetropolitan a enfin les honneurs d’une édition de grande qualité. Outre les douze numéros, on saluera les différents bonus de l’édition et notamment le portrait très complet d’Hunter S Thompson renforçant, s’il y en avait besoin, le parallèle entre le journaliste et Spider Jerusalem. Avec cette œuvre, Ellis nous a offert un bon gros brûlot qui fait du bien par où ca passe, et qui force encore aujourd’hui le respect par la pertinence d’un propos encore et malheureusement, toujours d’actualité.
Transmetropolitan – Année 1 (Vertigo Essentiels, Urban Comics, Vertigo) comprends les épisodes de la série Transmetropolitan #1 à #12
Ecrit par Warren Ellis
Dessiné par Darick Robertson
Prix : 22.50 €
¹On espère d’ailleurs qu’Urban ré-éditera le run d’Ellis sur Stormwatch ainsi que sa suite, le célèbre The Authority.
« Spider-Jerusalem avant la douche » >> De loin, je dirais plutôt Alan Moore.