On a vu… l’adaptation de Gomorra en série : brutes de décoffrage

On a vu… l’adaptation de Gomorra en série : brutes de décoffrage

Note de l'auteur

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Gomorra est adaptée du film du même titre de Matteo Garrone (2008), et surtout du livre éponyme de Roberto Saviano (2007). Dans les banlieues napolitaines, deux clans s’affrontent et se partagent les différents trafics de la ville, qu’au passage ils mettent à feu et à sang. Les affaires se compliquent lorsque le clan Savastano perd son « boss » Don Pietro et que son fils, l’immature et belliqueux Gennatora dit « Genna » doit malgré tout succéder à son père. Commencent alors moult péripéties : alliances avec l’ennemi, conflits générationnels et querelles familiales.

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Roberto Saviano — contraint de vivre sous protection policière depuis la parution (et surtout le succès retentissant) de son enquête sur la Camorra — est l’un des créateurs de la série et en garantit la qualité, qui est effectivement au rendez-vous. Le premier constat qui saute aux yeux, c’est l’évidente continuité entre les trois supports (le livre, le film, la télévision) dont le propos principal reste celui de proposer une dénonciation et une description désabusée de l’emprise de la mafia sur la ville.

Gomorra trouve alors sa qualité dans un parti pris salvateur : celui de ne pas oublier qu’il s’agit avant tout d’une série télévisée. Outre ce fond de réalisme social qui en assure l’authenticité, elle n’hésite pas à raconter des histoires, à captiver. Les personnages sont multiples, les arcs narratifs aussi, et les scénaristes n’ont pas lésiné sur le caractère feuilletonnant, ce qui marche bien, puisque chaque épisode donne envie de voir le suivant. Cela fonctionne dès le premier épisode : une incarcération, un accident de moto, un incendie, quelques grammes de cocaïne et la disparition d’un mentor, la machine narrative est enclenchée. Pourtant, la série de Saviano ne tombe jamais dans les excès, ni de violence, ni de sentimentalisme. Ces mafiosi ont beau être des brutes épaisses, ils n’en rentrent pas moins le soir à la maison, pour retrouver femmes et enfants dans leur demeure opulente. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de s’attacher progressivement à ces protagonistes pourtant si peu sympathiques.

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Si Gomorra cherche à tout prix à se distinguer de l’image d’Epinal de la mafia, c’est justement pour éviter toute glorification et ainsi insister sur les exactions de la Camorra. On est donc loin des archétypes du film de gangster d’un Scorcese ou d’un Coppola, à un détail près : même en prison, ils aiment faire la bouffe et en parler (on trouve dans le troisième épisode un fameux plat de scampis…). L’esthétique de la série se met tout entière au service de cette démystification: l’éclairage est sans effet, dans des teintes toujours grises, avec très peu de lumières artificielles. Où que l’on pose les yeux, ce sont les couleurs froides qui dominent. La musique, elle aussi, se fait très discrète, à l’exception du rap italien qu’écoutent en voiture les protagonistes. Quant aux dialogues, ils sont toujours brefs, acerbes, pour éviter toute glorification. Le générique est l’allégorie de ce minimalisme visuel: juste les mots « Gomorra la serie » inscrits dans une typographie simulant la terre battue, avec un bruitage grinçant et rien de plus, comme pour annoncer que quoiqu’il arrive, les protagonistes vont bien finir par mordre la poussière (quand ils ne deviennent pas eux-mêmes poussière). Tout est là pour suggérer la crasse et la bêtise. Les lieux que fréquentent les personnages sont souvent miteux, que se soient les boîtes de nuit, les ruelles, les cours de prison : il n’y a guère de place pour autre chose que la laideur.

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Rapidement, l’on s’habitue à ce rythme narratif, à cette empreinte visuelle. Ce qui saute aux yeux, ce sont les nombreuses vues de la ville de Naples, de ces beaux quartiers à ces cités délabrées, souvent vues depuis une voiture, comment si la seule manière de filmer ces endroits était la ligne de fuite. Certes, cette atmosphère mi mafieuse-mi plouc sur fond de critique de la société contemporaine, on avait déjà vu ça dans The Sopranos, et le personnage de Gennaro Savastano n’est du reste pas sans rappeler celui d’Anthony Jr. Mais Gomorra soutient la comparaison et trouve l’équilibre au-delà des poncifs du genre, portée par sa direction artistique, sa photographie et son casting.

Bref, on trouve facilement une raison de regarder Gomorra : s’éduquer sur les ravages de la mafia; admirer la belle gueule de Marco d’Amore (Ciro) ou de Maria Pia Calzone (Donna Imma Savastano), et surtout profiter d’une série italienne qui réussit son paradoxe, celui de combiner le réalisme et la narration haletante, l’économie visuelle et l’empathie débordante.

Gomorra, diffusion sur Canal + depuis le 19 janvier 2015. Création  Roberto Saviano, Giovani Bianconi, Stefano Bises, Leonardo Fasoli ; Ludovica Rampoldi. Réalisation : Stefano Sollima (qui avait déjà réalisé tous les épisodes de la série Romanzo Criminale) Francesca Comencini ; Claudio Cupellini. Avec : Fortunato Cerlino (Don Pietro Savastano), Maria Pia Calzone (Donna Imma Savastano), Salvatore Esposito (Gennaro Savastano), Marco d’Amore (Ciro Di Marzio).

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