PAPIER A MUSIQUE : FRANZ FERDINAND LA TOURNEE DES GRANDS-DUCS

Cette rubrique obéissait jusqu’ici à une certaine logique. Des livres sur la musique. Ou des livres d’artistes qui relatent un pan de leur existence lié à la musique ou toute une vie forcément dédiée à leur métier. C’est ce que font généralement les musiciens et chanteurs quand ils prennent leur plume, ou plus sûrement leur clavier, pour se retrouver dans les librairies. Bon, certains se piquent d’écrire de la poésie (coucou Patti Smith) ou de détailler leur passion pour les trains miniatures et les voitures dans une autobiographie un peu foutraque (oui Neil Young, c’est à toi qu’on pense). Dans des cas encore plus rares, d’autres préfèrent déballer leur intérêt pour la cuisine, et c’est le cas qui nous occupe présentement. Un livre dont la pochette de l’édition française évoque astucieusement les disques du groupe, inspirés par le graphisme soviétique : Franz Ferdinand, la tournée des grands-ducs, signé par le guitariste et chanteur Alex Kapranos. Un titre joliment trouvé pour un groupe écossais dont le nom renvoie à un archiduc célèbre pour son rôle dans le déclenchement de la Première guerre mondiale et pour un livre qui parle de cuisine.

Qu’on se rassure, Alex Kapranos ne cherche pas à battre Jamie Oliver ou Joël Robuchon sur leur terrain. Il ne s’agit pas d’un livre de recettes. La quatrième de couverture renseigne le quidam interloqué sur la teneur du projet : « Alors qu’il partait en tournée pour deux ans et demi avec son groupe, le journal The Guardian a proposé à Alex Kapranos de tenir un journal de ce qu’il mangeait, d’un bout à l’autre du monde. » Franz Ferdinand, la tournée des grands ducs comprend 51 textes très courts et se lit comme un carnet de bord. Avoir confié cette mission à Alex Kapranos est loin d’être incongru. Celui-ci fait montre d’un fort intérêt et d’une curiosité pour les saveurs du monde entier. De plus, il s’est lancé tardivement dans la musique avec Franz Ferdinand : il avait déjà 28 ans. Ce qui lui a laissé le temps d’être sommelier, aide-cuisinier et livreur de plats indiens, si on en croit la présentation de ce recueil qui sort cette année en France (2007 pour la publication au Royaume-Uni aux éditions Penguin sous le titre Sound Bites. Eating on tour with Franz Ferdinand). Notons au passage que le rock ne s’est jamais beaucoup intéressé à la cuisine, préférant de loin évoquer les relations amoureuses, la drogue, la guerre… Encore plus rares sont ceux qui se sont répandus hors de leurs chansons sur les saveurs d’un bon plat. Exception notable : le chantre intransigeant de la noise, Steve Albini qui a tenu… un blog culinaire où d’alléchantes photos agrémentent de longs commentaires.

Alex Kapranos ne détaille pas autant les plats que Steve Albini. En quelques mots bien sentis, un humour très pince-sans-rire, il décrit un menu, une sensation, mais aussi restaurant, un chef , des clients, une ambiance… Tout ce qui fait parfois d’une sortie au restaurant, une véritable aventure ou un moment inoubliable. Et sa condition de rock-star en tournée fait de lui un privilégié pour tester différents endroits et différents plats. Au passage, il évoque également son enfance, ses expériences professionnelles dans la restauration, la vie d’un groupe en tournée. Son style fait mouche dans ces chroniques de quelques pages. Certains passages sonnent presque comme des chansons, de celles qu’auraient pu écrire Ray Davies. Il écrit ainsi à propos du propriétaire d’un restaurant de Glasgow : « Il est boxeur amateur. Doué. Il sortait avec une présentatrice de journal télévisé. Quand elle l’a quitté, il a fracassé ses fenêtres. Il était au tribunal ce matin pour en répondre. Il a fait fortune en tant que VRP… » Voilà qui ferait une bonne entame de chanson. Au final, La tournée des Grands-Ducs ne se dévore pas d’une traite, mais s’apprécie plutôt comme un amuse-gueule, à savourer par petites doses, comme il était donné à lire initialement aux lecteurs du Guardian.

Alex Kapranos, Franz Ferdinand, la tournée des grands-ducs, éditions Rouergue