PAPIER A MUSIQUE : JOHN DENSMORE, LES PORTES CLAQUENT

PAPIER A MUSIQUE : JOHN DENSMORE, LES PORTES CLAQUENT

Densmore 2C’est une scène où nombre de grands groupes finissent par se retrouver après leur séparation, eussent-ils été de parfaites incarnations de la contre-culture à leur heure de gloire. Bienvenue donc au palais de justice. John Densmore, batteur des Doors y consacre tout un livre, The Doors Unhinged astucieusement sous-titré en français The Doors, les portes claquent, l’héritage tumultueux de Jim Morrison. Tumultueux, car les membres encore vivants du mythique groupe californien emmené par le roi lézard au début des années 2000 se sont déchirés au cours d’un procès-fleuve. Un ouvrage un peu répétitif, mais édifiant.

 

D’un côté John Densmore donc, qui s’accroche à quelques idéaux hippies. De l’autre Ray Manzarek (le claviériste) et Robby Krieger (le guitariste). Le batteur reproche à ses anciens comparses de reprendre le nom et le logo initial des Doors pour tourner avec un chanteur et un batteur d’appoint. Ces deux derniers ne sont pas en reste puisqu’ils réclament à leur batteur des dommages et intérêts (une bagatelle, quarante millions de dollars) pour avoir refusé de céder des chansons des Doors à des fins publicitaires. Ambiance.

DensmoreLe livre s’ouvre sur une scène de 1968 qui explique la gestion ardue de l’héritage des Doors et à laquelle se rapporte par la suite de nombreuses fois John Densmore pour motiver sa fidélité quasi sans faille aux principes de Jim Morrison. Dans cette scène, le chanteur tombe à bras raccourcis sur ses trois acolytes qui ont signé à son insu un contrat avec Buick : le constructeur automobile veut récupérer Light my Fire pour une publicité télé (eh oui, déjà). Jim Morrison arrive à défaire le contrat et impose un droit de veto pour chacun des membres sur les décisions de ce genre. On apprend aussi par la suite que sur sa suggestion, les droits d’auteur sont partagés en parts égales entre les quatre membres. Un bel esprit dont il ne reste plus grand chose 30 ans après. « Rétrospectivement, je me demande ce qui fait qu’une union aussi magique tourne au vinaigre », s’interroge John Densmore.

Un peu plus loin, il met les points sur les i : « Le fond du problème, c’est que Ray et Robby ont vraiment l’air d’avoir envie de revivre ce qu’on a connu avec les Doors, exactement de la même manière. Ils cherchent à reproduire le passé, encore et encore : les salles bondées, l’argent, la célébrité (…) Comprenez-moi bien : j’aime être admiré, mais c’est bien plus épanouissant si on accomplit quelque chose de neuf plutôt que resservir le passé. »

Au cours du procès, tel que le relate John Densmore, tous les coups sont permis, puisque la partie adverse tente de le faire passer pour un dangereux communiste, un terroriste de l’écologie (il s’est enchaîné pour sauver des arbres aux côtés d’une chanteuse country et d’une militante qui a vécu plus d’un an dans un séquoia) et un sympathisant d’Al-Qaida. Mais le livre ne se borne pas à de simples considérations juridiques et financières, déjà bien intéressantes. Le rock, côté business. Il évoque bien sûr l’histoire des Doors, dont John Densmore avait déjà donné une version plus détaillée dans son autobiographie sortie en 1990, Riders On the storm. Au passage, Ray Manzarek (décédé en 2013) n’en sort pas grandi, décrit comme un musicien talentueux, mais aussi un manipulateur bien décidé à imposer ses vues. Portrait peu flatteur et pas contrebalancé que dresse là le batteur historique des Doors, sans acrimonie cependant. L’auteur des Portes claquent paraît cruellement déçu de la tournure des événements, depuis cette époque où quatre jeunes gens répétaient dans un garage. A titre personnel, je mets aussi au crédit de Ray Manzarek son rôle dans la carrière de X. On ne peut que lui en être reconnaissant.

Densmore 3Mais le livre dépasse la seule histoire de Doors. Deux questions traversent cet ouvrage : comment peut vieillir une rock star et faut-il rester fidèle à la contre-culture des années 60, à son image d’alors ? John Densmore cite de nombreux exemples, de Dylan à Neil Young, en passant par Tom Petty. Lui-même, qui ressemble un peu aujourd’hui à John Carpenter, compose comme il peut. Il reverse une part de l’argent qu’il gagne à des oeuvres caritatives, roule en voiture hybride et fait des exercices de méditation à ses heures perdues. Bon, ce qui peut prêter à sourire ou agacer. La bonne conscience des rock-stars… Il ne reste pas braqué sur les Doors et se remet à l’occasion derrière sa batterie pour de nouveaux projets musicaux. Comme il le résume lui-même : « Je suis peut-être resté coincé dans les années soixante sur certains points, mais pas pour jouer des vieux morceaux comme Ray et Robbie. Non, c’est plutôt que je me cramponne à l’idée naïve qu’on est tous dans le même bateau, nous, la nation Woodstock, qu’on a les mêmes valeurs et qu’il faut s’entraider. » Et se battre si nécessaire, serait-ce au prix d’un procès éprouvant.

John Densmore, Les portes claquent, éditions Le mot et le reste

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