
Papier à Musique : L’Haçienda de Peter Hook (Le Mot et Le Reste)
Nouvelle rubrique! Tous les lundis, en alternance avec une autre rubrique consacrée aux albums rock remarquables d’antan, Owen le Faucheux s’attaquera aux livres, qu’ils soient incontournables ou récents, autour d’artistes ou de phénomènes musicaux remarquables. Pour sa première, il s’attaque au compte rendu d’une « place to be » mancunienne par le bassiste de New Order, Peter Hook.
L’haçienda. Avec un titre pareil, le livre aurait pu être aiguillé vers le rayon Amérique latine de votre libraibrie préféré. A deux détails près. La cédille et le sous-titre : « La meilleure façon de couler un club » (« How not to not run a club » en VO). Oui un club. Et non une exploitation agricole. Dans cet ouvrage, Peter Hook, bassiste de New Order à l’époque, rassemble ses souvenirs passablement embrumés par l’alcool, la drogue et les soirées festives pour livrer l’histoire de l’Haçienda. Inaugurée en 1982, cette salle de concerts et une boîte de nuit mythique de Manchester, un entrepôt en briques désaffecté à l’origine, a accompagné la montée de l’acid-house et la techno en Angleterre et s’est imposé comme la plaque tournante du mouvement Madchester qui a mis tous les jeunes en baggy, avant de mettre la clé sous la porte, plombé par ses dettes et plus de 20 ans d’excès.
L’haçienda est un projet mis en orbite par l’équipe à la tête du label mancunien Factory qui affiche dans son catalogue Joy Division et New Order (soit le groupe formé par les rescapés de Joy Division après le suicide du chanteur Ian Curtis). Factory, qui numérote aussi bien les disques qu’une affiche de concert, un logo ou un t-shirt (voire le cercueil du fondateur Tony Wilson mort en 2007), enregistre l’Haçienda sous le numéro 51. L’histoire est en marche.
Dès le départ, New Order est mis à contribution pour financer le projet qui va se révéler être un monstrueux gouffre financier. Le club est géré avec un amateurisme confinant au grand art, à faire blêmir un prof d’école de commerce.
Aussi lucide qu’il peut l’être, Peter Hook retrace de façon très concrète cette saga épique, avec un humour et un franc-parler, qui n’épargne personne, à commencer par lui-même. Il passe en revue la drogue, les démêlés avec la police, les gangs, la musique. Bref, une histoire hallucinante.
La musique, justement. Les anecdotes savoureuses ne manquent pas. Sur le passage d’une jeune vedette américaine, Madonna, qui enregistre deux chansons en play-back dans le club pour l’émission télé The Tube : « C’était la première étape de son ascension vers la domination mondiale. Dieu nous pardonne. » Sur le concert en 1985 des fous furieux d’Einstürzende Neubuaten qui s’attaquent au pilier central du bâtiment avec une foreuse. Comme quoi, ils n’ont pas volé leur étiquette de groupe industriel. Défilent encore au fur et à mesure des pages les Smiths, les Happy Mondays, emblématiques figures du Madchester, Nico, Jesus & Mary Chain (« Le concert a duré exactement 17 minutes, et chacune d’entre elles a été une torture »)… Peter Hook évoque bien sûr la carrière de New Order dont les bénéfices engrangés par les disques et les concerts maintenaient à flots l’Haçienda.
Au final, un livre passionnant qui documente une époque et se lit comme un roman. A props du film de Michael Winterbottom, 24 hour party people, Peter Hook observe : « C’est un ramassis de conneries, mais ça reste agréable à regarder. Même si vous le vouliez, vous n’arriveriez pas à faire un film ennuyeux sur l’Haçienda. » Impossible non plus d’écrire un livre ennuyeux sur le sujet et le bassiste de New Order en fait une belle démonstration.
Peter Hook, L’haçienda, la meilleure façon de couler un club, éditions Le mot et le reste, traduit par Jean-François Caro