Papier à musique : Manchester Music City 1976-1996 de John Robb

Papier à musique : Manchester Music City 1976-1996 de John Robb

Un cliché iconique : Joy Division photographié à Manchester par Kevin Cummins

Un cliché iconique : Joy Division photographié à Manchester par Kevin Cummins

Si une ville anglaise mérite l’on consacre un livre à sa scène musicale, c’est bien Manchester. Londres ? Trop convenu. Liverpool ? Trop Beatles. Mais Manchester… A se demander ce que les sujets de sa majesté mettent dans la bière dans cette cité ouvrière du nord de Londres. Les Mancuniens ne sont pas restés sourds à la déflagration causée par les Sex Pistols. Dans la foulée se montent The Buzzcocks, formation punk-pop qui alignent de fantastiques 45 tours, format sur lequel leur sens de la mélodie et de la concision fait mouche.  Surgit ensuite Joy Division. En seulement deux albums studio et trois ans d’existence, le groupe marque au fer rouge l’histoire de la musique.

Le suicide de Ian Curtis en 1980 achève de faire de Joy Division un groupe mythique, statut écrasant qui ne doit pas faire oublier la force et la beauté sombre de ces deux disques que n’épuisent ni les écoutes ni les décennies. L’histoire ne s’arrête pas là avec la formation par les survivants de New Order, tout aussi marquant. Manchester, c’est encore  Mark E. Smith seul maître à bord de The Fall, formé en plein explosion punk, The Smiths, The Happy Mondays, Oasis… Bref, une production hallucinante de groupes, malgré quelques creux. Et  quels groupes (on se répète mais : Joy Division, The Smiths, The Buzzcocks, The Fall, pour ne citer que nos favoris).
Et la littérature dans tout ça ? Eh bien, on y vient avec Manchester music city 1976-1996 de John Robb, journaliste et chanteur, lui-même originaire du nord de l’Angleterre. Sur le même principe que Please kill me, il documente  chronologiquement la scène musicale de la ville en assemblant des bouts de témoignages. Il a interrogé des musiciens bien sûr, mais aussi un photographe (Kevin Cummins, qui a saisi les principaux clichés de Joy Division, dont celui iconique du groupe sur un pont enneigé), des DJ, des fans… John Robb intervient régulièrement pour livrer quelques faits et apporter un cadre aux propos des nombreux protagonistes, plus d’une centaine au final.
Morrissey, les frères Gallagher, Peter Hook,  Bernard Sumner et Stephen Morris (pour New Order), Steve Diggle (guitariste des Buzzcocks), Howard Devoto (Buzzcocks et Magazine), Shaun Ryder (Happy Mondays)… Du côté des musiciens, John Robb a recuili les témoignages des figures tutélaires de sa ville. Personne ne manque à l’appel. Personne ? Si, Mark E. Smith, le bouillant chanteur de The Fall. Dommage, et pour le côté grande gueule et pour la contribution de celui-ci : une trentaine d’albums depuis 1976, un phrasé unique, de grands moments musicaux, une influence qui s’entend chez Sonic Youth, LCD Soundsystem ou encore Ought.
D’autres artistes, moins exposés, apportent encore leur éclairage : Gerald Simpson (qui a oeuvré sus le nom A guy called Gerald dans la scène acid house), Clint Boon (clavier des Inspiral Carpets), Tim Booth (James, tombé un peu dans l’oubli), Andy Rourke (bassiste des Smiths)…

Manchester cover 2
Le livre est sorti en sa version originale sous le titre bravache The North will rise again (le nord se lèvera encore). Le titre français est trompeur avec ses dates 1976-1996. L’ouvrage commence en effet plus tôt, dans les années 1960. Un court chapitre qui évoque l’impact de la musique noire et les nombreux clubs de la ville. Ce qui frappe dans la décennie suivante, c’est à quel point le punk libère les énergies créatrices de Manchester. Et ce n’est pas seulement la musique, mais aussi sa production et sa diffusion. The Buzzcocks ne se contentent pas de composer des imparables morceaux punk-pop, mais de produire eux-mêmes leur premier quatre-titres. Do it yourself ! Tony Wilson fonde le label Factory avec Alan Erasmus. Et lance dans les années 1980 L’Haçienda, salle de concerts et club qui joue un rôle clé dans l’explosion de l’acid-house et de la techno en Angleterre.

L'auteur, journaliste, mais aussi chanteur.

L’auteur, journaliste, mais aussi chanteur.

En filigrane, se dessinent l’histoire de la ville et sa jeunesse. « Avant le punk, Manchester était dans une situation calamiteuse. Le pays était foutu. Manchester était un dédale de rues sales. L’éclairage de la ville était encore d’un jaune très faible. La violence était encore omniprésente et acceptée », relate Morrissey.
Depuis Oasis, qui clôt le livre, la cité ouvrière du nord  se fait plus discrète dans les revues musicales. Pour autant, il faut encore compter sur elle, ne serait-ce que pour Total Victory dont on recommande l’album National Service et ses compositions à vif, entre noise et post-punk. Un album qui bénéficie enfin depuis cette année d’une sortie vinyle.

John Robb, Manchester Music City 1976-1996, collection Rivages rouge

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