PAPIER A MUSIQUE : RIP IT UP AND START AGAIN

PAPIER A MUSIQUE : RIP IT UP AND START AGAIN

Simon Reynolds, un puits de science quand on en vient à parler post-punk

Simon Reynolds, un puits de science quand on en vient à parler post-punk

Attention, on n’est pas là pour rigoler. Dans ce livre, on va chercher le haut patronage de Brecht pour décrire par exemple la pochette du 33 tours Lexicon of love à sa sortie (eh oui, un vinyle, on est en 1982) de ABC. Cela peut se comprendre : les groupes minutieusement abordés par Simon Reynolds dans Rip it up and start again ne pratiquent pas précisément une musique de joyeux drilles, pour la plupart : Gang of Four, Public Image Ltd, Wire… Alors oui, Simon Reynolds prend le rock au sérieux, et c’est passionnant de bout en bout, soit plus de 600 pages dans la version française.

Journaliste musical anglais, Simon Reynolds est obsédé par l’idée de nouveauté et de progrès dans la musique, à l’affût des moindres courants naissants. Dans Rip it up and start again (qu’on peut traduire par « déchire tout et recommence », à la fois un état d’esprit et le titre d’une chanson d’Orange Juice), il s’attaque au post-punk, les premières amours en matière musicale de ce Britannique né en 1963. Au bon moment donc pour vive en direct l’explosion du post-punk et au bon endroit aussi : la perfide Albion, où ont sévi les figures emblématiques de ce mouvement, de John Lydon fraîchement sorti des Sex Pistols à Throbbing Gristle en passant par Wire. John Lydon passe même à la très populaire émission Top of the pops avec PIL. Les Etats-Unis ne sont pas en reste avec Devo, les Talking Heads, Pere Ubu… même s’ils ne rencontrent pas autant de succès auprès du grand public.

« Un pays de Cocagne », résume Simon Reynolds qui fait la remarque suivante : « Je n’achetais jamais de vieux disques à l’époque (…) Ceci s’explique en partie par le fait que la culture des rééditions qui nous inonde aujourd’hui n’existait pas encore, les maisons de disque retiraient certains albums de leur catalogue. Mais la raison principale de cette ignorance était que l’on n’avait pas le temps de se tourner nostalgiquement vers un passé jamais vécu : trop de choses avaient lieu à l’instant même. »

The Normal ; le projet imaginé dans sa chambre de bonne par Daniel Miller, futur patron du label Mute. Recommandé !

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L’auteur de Rip it up s’intéresse à une période qui court de 1978 à 1984, période où les artistes expérimentent à tout va, là où le punk portait plutôt des oeillères et se montrait extrêmement puriste. A l’inverse du punk, les groupes étiquetés post-punk se tournent vers de nouveaux sons : l’électronique, le dub, le disco, le jazz, le funk, la musique contemporaine, entre autres. L’auteur se cantonne aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, « pour des raisons de place et de santé mentale ». Encore que la règle souffre quelques exceptions comme DAF ou Einstürzende Neubauten, compte tenu de leur impact sur la culture anglo-américaine. Le livre est divisé en deux parties : le post-punk, puis la new pop et le nouveau rock. Pour faire simple, disons que la deuxième partie regroupe des formations moins austères, comme ABC (la fameuse pochette brechtienne), Madness ou les Specials.

Les intérêts de Rip it up sont multiples. Intérêt musical bien entendu. Le livre se révèle une mine de découvertes. Sa sortie en 2005 de l’autre côté de la Manche coïncide d’ailleurs avec un regain d’intérêt pour cette période et une accélération des rééditions. Sans Internet, le livre aurait même été terriblement frustrant. Simon Reynolds cite un grand nombre de groupes et s’y entend pour décrire en quelques phrases bien tournées leur musique. Il donne envie de les écouter, envie d’entendre à quoi ressemble les Raincoats, le Pop Group, les Swell Maps, The Normal… Le livre en main, comme un guide, on peut fouiller sur Internet et écouter les morceaux. Très bien documenté, le livre remet aussi les disques dans leur contexte et éclaire la trajectoire des artistes. On apprend qu’à peine les Sex Pistols sabordés, John Lydon est expédié en Jamaïque par Richard Branson, le big boss de Virgin Records. Grand amateur de reggae, il est envoyé là-bas à titre de consultant pour la nouvelle division roots and dub de Virgin. Ce goût de Johnny le Pourri pour le dub est une des clés de la musique de PIL qu’il s’empresse de monter à son retour des Caraïbes. Rip it up fourmille de détails comme celui-là.

Une belle couverture que celle retenue par les éditions Allia.

Simon Reynolds replace également les artistes et les disques dans un contexte plus large que leurs influences et leur apport musical. Il fait des liens avec la littérature et le cinéma, évoque les labels, l’économie, le rôle de la géographie…  « Ce n’est pas un hasard si Manchester et Sheffield ont constitué le coeur exsangue du post-punk britannique (…) Rejetons de villes portant les stigmates physiques et psychiques du passage brutal d’un quotidien rural au rythme inhumain de la vie industrielle, tous ces artistes étaient très bien placés pour réfléchir aux paradoxes du progrès à l’ère machiniste. Pourtant il leur était possible, et peut-être même essentiel, d’esthétiser la décadence de ces villes devenues post-industrielles, si ternes et délabrées fussent-elles.  » Dans Rip it up, Simon Reynolds ronge son sujet jusqu’à l’os et en explore la moindre ramification. On comprend ses craintes sur sa santé mentale s’il avait décortiqué avec une telle obstination le post-punk continental ou australien… Lui-même reconnaît que « arrivé à l’année 1983, j’ai fait une overdose de post-punk aride et analo-rétenteur et me suis remis sur pied en écoutant compulsivement les Byrds, Love, Hendrix et tout ce qui pouvait sonner relâché, intuitif, extatique, bref du rock qui balance ».

Simon Reynolds, Rip it up and start again, éditions Allia

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