#Analyse Peak TV, Networks et Speed Dating

#Analyse Peak TV, Networks et Speed Dating

On a pu le voir exploité de différentes manières, des voyages temporels à l’utilisation de flash-backs, le temps est le motif principal de cette saison. Le temps est aussi devenu un luxe avec l’apparition de la Peak TV. Un luxe dont les séries issues des grandes chaînes américaines, les networks, ont de plus en plus de mal à bénéficier. Entre désamour général et couperet expéditif, les séries de networks n’ont jamais autant souffert de mauvaise presse, jusqu’à cette saison…

networklogosAvant, le monde de la télévision américaine était simple. Il y avait les networks. Puis est venu le câble, premium ou basique. Enfin, les services de SVOD (Netflix, Amazon,…). Et c’est tout le paysage qui a changé, muté, s’est complexifié jusqu’à atteindre ce que l’on appelle communément aujourd’hui la Peak TV, la croissance exponentielle de la production et diffusion de séries. Côté spectateurs, c’est l’euphorie devant la profusion. Côté critiques, c’est l’angoisse d’avoir à tout couvrir. Côté séries de network, c’est l’anxiété devant un couperet qui tombe de plus en plus vite. Devant un temps incompressible (et malgré l’avènement du replay), on est obligé de faire des choix. Choix qui auront des conséquences sur l’existence de séries incapables de séduire en deux épisodes.

L’ère du speed dating

Si la Peak TV n’a fondamentalement pas changé l’art sériel, les séries de networks (celles dont les enjeux commerciaux sont les plus forts) ont du revoir leur plan de bataille en tentant, par tous les moyens (et souvent les mauvais), de séduire un public devenu volage. En d’autres termes, elles sont entrées dans l’ère du speed dating et ont rompu avec l’idée d’un développement sur la longueur, sans coup d’état. Et dans leurs efforts le plus souvent vains, elles ont fini par incarner le vilain petit canard de l’art sériel, celles que l’on aime déprécier avec un soupçon de dédain « je ne regarde pas les séries de networks » ou de suffisance « ce n’est pas mal pour une série de networks ».

man seeking woman 1Aujourd’hui, on privilégie la forme courte (le câble et ses petites saisons), voire l’anthologie et sa remise à zéro. On oublie le récit fleuve, celui qui s’étale sur de nombreux épisodes, qui sait prendre son temps, qui sait se répéter, qui sait varier, qui incarne l’art sériel. Il n’y a pas de coupable idéal mais une conjoncture qui a vu les séries de networks appauvrir son offre après des années d’expérimentations (24CSILostDesperate Housewives), celles du câble se révéler et peut-être une posture critique plus prompte à glorifier l’auteurisme indépendant que l’art commercial.

Malgré tout, le paysage télévisuel américain n’est pas binaire avec d’un côté les mauvaises séries de networks et de l’autre les bonnes séries du câble. Si l’on peut néanmoins observer une scission, c’est dans la comédie qu’il faudra chercher avec des sitcoms essoufflées sur les grandes chaînes nationales et des formes bien plus intéressantes sur leurs homologues payantes, mélangeant drame et comédie.

La preuve par trois

this-is-us-02Cette rentrée 2016/2017 est néanmoins intéressante puisque l’on peut observer des divergences dans le continuum espace-séries. Des œuvres de networks qui ont su traduire les problématiques actuelles pour en tirer le meilleur parti. Et avec des approches différentes.

Il y a This Is Us, dont nous avons déjà vanté les mérites, qui a offert un profil trompeur. Axant sa promotion autour d’un pitch intriguant, empruntant aux high concept, finissant son pilote avec twist qui redistribuait les cartes, elle s’est développée en niant le paradigme qui voudrait croire que pour réussir, il faut aller vite. Sa narration n’est pas lente mais la série sait prendre son temps, agit avec intelligence, ménage ses forces pour tenir la longueur. Elle se réalise par petite touche, elle s’assemble par petites pièces pour figurer les tableaux des grands récits familiaux. Son écoulement est naturel, jamais précipité et elle tire, de choses simples, une dynamique précieuse.

kiefer-sutherland-designated-survivor

Une autre nouveauté pose un constat intéressant sur l’évolution des séries de networks : Designated Survivor. Son récit se décompose en deux mouvements qui traduisent l’ambition de s’imposer aussi bien à courte échéance qu’au long terme. D’un point de départ événementiel (la mort du gouvernement américain), elle déploie deux axes : le thriller (l’enquête autour de l’attentat) et le récit politique (la reconstruction d’un pays). D’un côté, s’exerce l’aspect fulgurant d’une investigation reprenant les principaux motifs que l’on a pu observer ailleurs (24, Homeland), de l’autre, le traitement long de la vie politique dans un contexte particulier avec toutes les questions qu’elle entraîne. Designated Survivor n’est pas toujours la série la plus fine, notamment dans sa réalisation des machinations conspirationnistes, mais elle incarne une vision qui se projette sur l’avenir au-delà des futures révélations. Elle n’est pas prisonnière de son whodunit mais mise son existence sur un développement vaste.

Enfin ce n’est pas une nouveauté mais depuis trois saisons, How to Get Away with Murder (HTGAWM) ne s’est pas pliée devant l’accélération, elle l’a dépassée faisant de son récit hyperbolique la matière à triturer la science de la narration. La série brûle, littéralement, explosant les murs qui la contiennent jusqu’à atteindre une forme libre, manipulatrice, perverse. Spectacle euphorique et euphorisant, déterminé et déterminant, HTGAWM, c’est l’idée d’une exigence pop, l’art ludique d’une série qui ne refuse aucun excès, sans jamais être excessive. Une série qui a dépassé le temps (narratif comme le nôtre) pour offrir un spectacle total.

murder-saison-03

Le courage de l’ordinaire

Tout est cycle ou mouvement ondulant. Le paysage sériel américain (puisque l’on ne peut plus parler uniquement de paysage télévisuel) est pris dans une courbe oscillatoire cherchant ses nouveaux modèles dans des lieux différents (le câble, la SVOD). Les séries de networks ont peut-être regardé cette lente évolution en spectatrice. Elle s’est attachée à reproduire d’anciens succès sans chercher à saisir que les attentes avaient changé ou s’étaient légèrement déplacées. Et nous, critiques, nous nous sommes peut-être trop reposés sur l’idée que l’audace se trouvait sur le câble ou la SVOD, sans chercher à mesurer les qualités dans des produits plus communs mais non moins intéressants. Et se dire qu’aujourd’hui, il y a plus de courage à raconter l’histoire de gens ordinaires (This Is Us, sur NBC) qu’un récit téléguidé par sa volonté d’être sursignifiant (Westworld, sur HBO).

Partager