
Penn Perdu ? (The First / Hulu / OCS)
Alors oui, voici venir un certain Sean Penn sur le format sériel et c’est loin d’être anodin — même pour Hulu — lorsqu’on tente de faire décoller une production de ce genre. Mais The First marque surtout le retour aux affaires de Beau Willimon qui signe ici un récit intriguant.
D’House of Cards* à The First, il y a un monde ! Et même une galaxie, serait-on tenté de dire. Entre les deux séries, Beau Willimon a lui aussi complètement changé d’atmosphère puisqu’il a signé deux pièces de théâtre (Farragut North et The Parisian Woman), sa vocation d’origine. Ces deux textes pour la scène restaient relativement politiques mais le dramaturge avait envie d’ailleurs :
J’ai toujours été intéressé par l’espace et les voyages d’aventure. […] Parce qu’il n’est pas possible d’expliquer pourquoi quelqu’un voudrait s’exposer à un tel danger dans le but de rejoindre un endroit dont il n’y a pas nécessairement de bénéfice pratique autre que celui de l’accomplissement qu’il représente.
(source : New York Times)
Vous l’avez compris, c’est de ces hommes et de ces femmes prêts à s’embarquer vers l’inconnu dont il va être question dans The First, moins du voyage en lui-même. Pour autant, Willimon ne tourne pas le dos à la science fiction. Lorsque nous faisons connaissance avec Tom Hagerty (Sean Penn), l’astronaute a 58 ans et dispose d’un profil expérimenté avec pour principal fait d’armes d’avoir déjà posé le pied sur la lune. De nos jours, ils sont nombreux (Bezos & Musk en tête) à rêver de Mars. Mais circa 2030, l’imminence de cette destination telle qu’imaginée par Willimon, s’inscrit dans un futur proche très réaliste et palpable. Un futur où les commandes vocales et autres voitures autonomes sont partout, mais aussi un futur où la continuité avec nos préoccupations sociales contemporaines demeurent.
Le contexte d’une mission spatiale habitée, un futur anticipé ou bien encore les progrès de la domotique pouvaient servir de points d’inflexion, mais The First ne cherche pas fondamentalement à s’appuyer dessus. Willimon et ses auteurs glissent sur ces décors et concentrent leurs efforts sur les motivations et interactions humaines de leurs personnages. Comme pour House of Cards, un triumvirat central est introduit. Ici c’est Hagerty, sa fille Denise (Anna Jacoby-Hero) et Laz Ingram (la toujours impeccable Natascha McElhone), PDG et responsable du projet. Viendront ensuite se greffer, au fil des épisodes, des personnages secondaires, lesquels seront soigneusement décrits, la série rebondissant avec patience sur leurs enjeux propres, dont la chef d’équipe Kayla Price (LisaGay Hamilton), la scientifique et candidate à une place dans l’expédition Sadie Hewitt (Hannah Ware) ainsi que le journaliste Aaron Schultz (Bill Camp, autre excellent choix de casting). Trois rôles magnifiquement interprétés qui se succéderont durant cette saison pour symboliser les étapes marquantes de ce “voyage”, en symboliser toute la teneur.
Un voyage traversé par la mélancolie. À commencer par son personnage principal auquel Sean Penn insuffle un spleen très touchant. L’acteur parvient à trouver ce subtil équilibre entre l’assurance du commandant sûr de son expérience et la fébrilité née d’un traumatisme dont il ne peut se défaire.
Par extension, les autres intervenants sont également traversés par cette dualité, ces nuances. On comprend alors que cette mélancolie sert de fil conducteur entre des parcours tortueux, les obstacles de la vie mais aussi la volonté qui s’y oppose pour tenter de les franchir. Le futur n’a jamais semblé aussi proche.
Pour accompagner cette tonalité, la mise en scène initiée par Agnieszka Holland (The Wire, The Killing) fait, elle aussi, le choix de la patience. Holland n’hésite pas à s’arrêter pour construire ses séquences et cette ambiance indolente, soulignée par une belle photographie, elle fabrique un bel écrin pour la série.
Néanmoins, tout ne fonctionne pas totalement. La structure formelle semble parfois détachée du récit. Il y a par exemple dans l’épisode 3 une parabole sur la cigale. Sans entrer dans les détails, l’idée des auteurs trouve tout son sens, mais sa mise en image évoque au mieux du mauvais Terrence Malick.
The First reste néanmoins une intrigante étude de personnages. Willimon confirme un talent certain pour ciseler le dialogue social. L’appui du talent de Sean Penn est clairement un plus mais ce type de récit, lent et intérieur, ne galvanisera pas les foules. Hulu misera-t-elle sur une saison 2 (après avoir lancé la saison entière d’un coup, presque dans l’anonymat, au cœur de la rentrée) ?
*: Alors qu’il était showrunner de la série depuis ses débuts, Beau Willimon se retira d’House of Cards après la quatrième saison. Depuis, une cinquième saison a été rendue disponible sur Netflix et une sixième (la dernière) est attendue le 2 novembre.
THE FIRST (Hulu) Saison 1 en 8 épisodes,
Diffusée dès le 9 octobre sur OCS.
Série créée par Beau Willimon.
Série écrite par Julian Breece, Carla Ching, Christal Henry, AJ Marechal, Francesca Sloane et Beau Willimon.
Série réalisée par Agnieszka Holland (1 & 2), Daniel Sackheim (3 & 4), Deniz Gamze Ergüven (5 & 6) et Ariel Kleiman (7 & 8).
Avec Sean Penn, Natascha McElhone, LisaGay Hamilton, Hannah Ware, Keiko Agena, James Ransone, Anna Jacoby-Heron, Oded Fehr et Jeannie Berlin.
Musique originale de Colin Stetson.
Visuel : The First / Paul Schrimaldi © 2018 Hulu / SIXEIGHTSEVEN, LLC.