
Personne ne sort d’ici vivant : et surtout pas le lecteur
Pourquoi avoir lu ce roman ? Parce que la recherche d’une bonne histoire de maison hantée vaut de tenter sa chance. Verdict : un livre inoriginal au possible et au style épais, qui n’ajoute pas une virgule à la grammaire de l’horreur. Cinq cents pages inutiles.

L’histoire : Stéphanie est seule, sans argent, et elle peine à trouver un logement. Aussi croit-elle que la chance lui sourit quand elle finit par dénicher une chambre au loyer abordable dans une vaste demeure de Birmingham. Mais au 82, Edgehill Road, on aurait tort de se fier aux apparences. L’atmosphère inquiétante qui règne dans cette maison délabrée inspire à Stéphanie un profond malaise. Murmures dans la cheminée, bruits de pas dans le couloir, pleurs de femmes qui s’élèvent derrière les murs et accès de violence du propriétaire des lieux… Le cauchemar ne fait que commencer. Stéphanie parviendra-t-elle à s’enfuir de ce lieu maudit d’où personne ne peut l’entendre crier ?
Mon avis : Stéphanie est comme Cendrillon : un personnage de conte de fées, la jeune fille dont la mère est morte voici longtemps, et dont le père épouse une femme méchante. À ceci près que Stéphanie est partie de chez elle, renonçant à l’espoir d’un beau mariage avec un prince charmant pour une vie de misère, d’inquiétude, de désespoir. Comme une Cendrillon à la Ken Loach, une Cosette puissance 10.
Le côté « chronique sociale » s’arrête malheureusement là. On est loin des films d’Andrew Parkinson, où il explore le motif du zombie en en soulignant les aspects de déréliction sociétale, de plongée dans les emmerdes et la nécessité de renoncer à ses propres valeurs pour, in fine, bouffer son voisin quand la question devient de mourir ou de vivre. Ici, Stéphanie ne renonce jamais à ses valeurs sociales. Aider son prochain, même si son prochain est une voix étrange qui semble venir de sous la salle de bains.
Sa première chambre dans la demeure maudite de Birmingham ? « Minimaliste, mais curieusement habitée. Une pièce à la fois encombrée par le passé, mais rendue stérile par la négligence. » Fondamentalement histoire de fantômes, Personne ne sort d’ici vivant débute sur une note positive, une histoire que le père de Stéphanie lui a racontée et qui se résume à ceci : « La mort n’est pas la fin de tout. » Exactement l’argument servi par Stanley Kubrick à Stephen King lors de leur première conversation téléphonique autour de l’adaptation de The Shining au cinéma.
L’histoire part rapidement en sucette, cependant. Et les réactions de Stéphanie face aux événements de la maison délabrée – voix et visitations spectrales la nuit, propriétaire inquiétant le jour – ne sont pas toujours crédibles. C’est le moins que l’on puisse dire. Dans la mesure où le côté « galère financière » de Stéphanie est en définitive peu approfondi, c’est le personnage du proprio, Knacker McGuire, qui se révèle un peu plus intéressant au début du roman. Mais cela tourne vite à vide.
Pour apprécier ce roman, il faut supporter le style d’Adam Nevill, une écriture un peu lourde, épaisse, basée sur l’éternelle dichotomie « interrogations intérieures de la protagoniste vs moments d’action, de tension ». Les questionnements et doutes intérieurs se taillent la part du lion du récit, tendant ainsi à casser toute dynamique générale. Le mouvement est souvent brisé d’emblée par une pensée, une accumulation de points d’interrogation ; tout acte est interrompu par des mots. Et le lecteur/la lectrice de sortir en permanence du récit.

Au prétexte de suivre Stéphanie au plus près de ses émotions, on subit un déluge de phrases inutiles. Pire, ses réactions, ses choix manquent singulièrement de crédibilité. Elle n’a ainsi aucun des réflexes naturels qu’on attendrait d’une personne dans sa situation ; elle manifeste au contraire tous les « réflexes » dont on sent qu’ils proviennent d’un besoin, dans le chef de l’auteur, de faire avancer le récit dans le sens qu’il veut.
Conséquence : l’histoire ressemble davantage à un vaudeville un tantinet étrange qu’à un récit de terreur dans une maison hantée. Des portes claquent, des salles de bain vides paraissent habitées… Les clichés abondent : le cauchemar dont elle se réveille en sursaut et qui résume, très utilement, des éléments familiaux… N’en jetez plus.
Adam Nevill passe son temps à expliquer le comportement de sa protagoniste plutôt qu’à nous le montrer, le faire ressentir. Péché capital de la littérature de terreur/d’horreur ratée. Côté structure générale, il reste dans le classique et l’éprouvé : le jour, tension qui monte, rencontres inquiétantes, malheur qui s’accentue ; la nuit, peur, cauchemars, apparitions. Ad infinitum.
Avec parfois d’improbables imprécisions. Vers la page 150, par exemple, on se dit qu’à ce stade, si Stéphanie n’a pas encore au moins le soupçon que les deux nouvelles locataires du 82, Edgehill Road sont des prostituées, on ne peut plus rien pour elle. Surtout pour une jeune femme qui bouffe de la vache enragée depuis des années, a été maltraitée par sa belle-mère après la mort du père, peine à joindre les deux bouts, accumule les petits boulots de merde et les périodes d’incertitude absolue.
Et puis, au tiers du roman, Stéphanie bascule inexplicablement. Tout à coup, le surnaturel devient naturel. Au lendemain d’une nuit d’effervescence sexuelle dans les chambres occupées par les deux prostituées de l’Est, elle en vient sans heurt à une conclusion plutôt osée :
Plus elle pensait à la nuit dernière, plus elle était persuadée d’avoir été témoin d’un phénomène contagieux qui serait à son apogée ; une énergie s’était déployée sous l’impulsion d’un monstrueux élan au premier étage, dans chacune des chambres. La force d’attraction qui en résultait reliait désormais le premier étage à quelque chose de bien plus redoutable. Quelque chose qui se trouvait au rez-de-chaussée, et qui avait rassemblé tout ce qui était à sa portée, en bas, pour répandre dans la maison l’odeur, reconnaissable entre toutes, de la décomposition. C’était en tout cas l’impression qu’elle avait, maintenant qu’elle était réveillée. »
Ce qui n’empêche pas Stéphanie de se faire quelques remarques absolument décalée. Ainsi, lorsqu’elle observe Fergal, l’autre propriétaire/gestionnaire des lieux, elle a ce commentaire ahurissant : « Fergal était complètement débraillé. Elle avait d’abord soupçonné que son délabrement était dû aux effets conjugués de l’héroïne, du crack et des amphétamines. » D’où lui vient cette connaissance des cocktails de drogues, exactement ? Mystère.
Et tout se répète. Les interventions de Knacker, de Fergal, des clients, des prostituées, des fantômes invisibles… Même quand ça dérape, Adam Nevill ne plonge guère profondément dans l’horreur. Tout ça reste très sage. On est loin d’un Jack Ketchum qui, avec Une fille comme les autres, parvenait à faire vibrer des fibres autrement plus dérangeantes dans le chef du lecteur/de la lectrice, sans jamais recourir aux grosses ficelles de la littérature de genre.
Si Stéphanie est bien la protagoniste du roman, la première scène de violence physique à son égard n’arrive qu’en page 212. Précédée par deux centaines de pages plutôt soporifiques… Et il faut attendre la moitié du roman pour passer vaguement aux choses sérieuses, avec la première mention de « Black Maggie », l’être surnaturel (la déesse ?) qui concentre le mal dans la maison, et qui se trouve « en bas ». À ce stade, noyé.e de bla-bla, le lecteur/la lectrice en est réduit.e à s’accrocher pour terminer le livre.
Aux trois cinquièmes du roman, justement, avancée dans le temps : quelques années plus tard, Stéphanie a changé de nom et son histoire affreuse a fait sa fortune… et ses névroses. Il sera bientôt temps de conclure l’affaire. Une structure en deux parties pas inintéressante en soi, mais la seconde n’est pas plus passionnante que la première. Surtout, on aurait voulu en savoir davantage sur la dimension « spirite » de la maison de Birmingham. Pas de chance, Adam Nevill tente de renouer avec l’action et tourne à nouveau à vide.
L’auteur ne manifeste, dans ce livre, pas une once d’originalité dans le territoire littéraire qu’il choisit de parcourir. Il n’ajoute pas une virgule à la grande grammaire de l’horreur. Et va jusqu’au bout dans le ridicule avec la description de la façon dont le Grand Méchant de l’histoire s’enterre lui-même sous la maison en construction, suffisamment profondément et bien caché pour ne pas être découvert par les ouvriers, avant de s’étrangler lui-même dans une bâche. Ouf.
Personne ne sort d’ici vivant
Écrit par Adam Nevill
Traduit par Marie Guelton
Édité par Bragelonne