
PES 2017 : L’Esprit Artisanal
Septembre est le mois de la rentrée scolaire, des impôts locaux et de la sortie du nouveau Pro Evolution Soccer 2017 et de son concurrent FIFA. On laissera aux arbitres-comptables le soin de les départager, nous préférons nous concentrer sur l’évolution de la simulation de Konami, comme sur sa place dans le football actuel.
Les grandes compétitions internationales sont très souvent un bon baromètre pour observer l’évolution du jeu. Pendant cet Euro, le spectacle est davantage né des résultats que de la forme. On a vibré avec les victoires françaises (chauvinisme local), islandaises ou portugaises, sans jamais être ému devant un mouvement ou une action collective. Le Championnat d’Europe a brillé par la prudence des équipes, la gestion de l’effort et du score dans une compétition plus longue, des forces qui se nivellent (les plus grands ne sont plus si grands et les petits si petits). La compétition a célébré les défenses, les groupes compacts aux mouvements coordonnés. Une description guère sexy, à l’image d’un Euro souvent rigoureux, besogneux, où les grands gagnants symboliques ont été les membres d’une équipe venue d’Islande, ayant tapé des Anglais arrogants dans une célébration finale pleine de vibration euphorique.
Envolés, la beauté élégiaque du tiki-taka espagnol, la poésie du mouvement perpétuel, l’esprit d’un football total, la privation comme meilleur système défensif ; place au pragmatisme, au tout sécuritaire et retour de l’implacable victoire sans manières. Asphyxiée par Guardiola et sa possession absolue, la construction lente et appliquée est devenue stérile, fatiguée de ses redoublements de passes et de son jeu horizontal. L’élégance est venue du réalisme de Conte (Italie), du caractère versatile de Löw (Allemagne) et de la logique de Deschamps (France) ou Santos (Portugal). Apologie des sélectionneurs quand aucun joueur n’a réellement brillé. Le retour du collectif, du groupe et du leader sur le banc de touche.
Pour comprendre Pro Evolution Soccer 2017 (PES), il fallait observer cet Euro. Tout y est inscrit. Pierre philosophale de la simulation de Konami, la compétition internationale a indiqué les futures tendances du jeu vidéo : renforcement de la défense, des gardiens de but et des impacts physiques ; retour à un esprit collectif dense ; fin du règne des funambules de la conduite de balle et supernova des grandes stars. La simulation ne cherche plus à reproduire l’excellence, mais à produire un ensemble plus terrestre. Il y a l’idée d’un jeu rugueux et tactique, qui pousse à l’évitement, au risque de se fracasser sur des défenses rêches. C’est la notion de collectif contre l’individu. La solution passe par le groupe, la réflexion, la communion, comme si le jeu refusait l’extrémisme du star-système.
Depuis la fin de son hégémonie, PES s’est un peu cherché entre nostalgie de sa gloire passée et sa réinvention. Après quelques années de tâtonnement, il semble trouver une nouvelle voie, une réplique au mastodonte FIFA : le retour à un niveau prolétaire. Outre un dégraissage côté licence qui rend le jeu plus artisanal (et frustrant), dans son approche générale du football, et sa retranscription dans l’univers du jeu vidéo, PES se démarque par une volonté de privilégier la tactique à la technique. À l’aspect plus bling-bling de FIFA, la simulation de Konami muselle ses stars, les fond dans un groupe, les désacralise. C’est le colosse au genou d’argile qui s’effondre parce que sans animation, il n’est rien. C’est Cristiano Ronaldo, assis sur la pelouse, un papillon de nuit posé sur sa joue en larmes (autre belle image de l’Euro à la symbolique forte). Ce même Cristiano, claudiquant sur le bord de la touche, replaçant ses coéquipiers comme un entraîneur adjoint. La star, le dieu, l’Atlas qui redevient humain et savoure par procuration la victoire de son pays.
PES 2017 ne refuse pas le lyrisme du football, il le pratique à la sueur du front et à un niveau plus cartésien. Sans maîtrise, l’artiste n’est rien. Ou si peu. Plus casse-tête que poétique dans ses attaques, le joueur bohème trouvera ses rêves d’envolées solitaires brisés sur des schémas défensifs bien organisés, et des hommes-couperets face à des dribbles timides. La confrontation directe n’est pas la meilleure solution, c’est dans les déplacements, les appels, les passes au bon timing et avec précision que se trouvera le résultat. Toujours cette idée de groupe, de bloc, d’un joueur devenu Légion (le démon de l’Évangile selon Marc, pas l’armée), s’incarnant dans chaque membre de l’équipe. Ce même joueur devenu faisceau, traversant les corps, les dirigeant de façon éphémère, capitaine d’armée ou chef d’orchestre.
Dans la course à l’hyperréalisme, il y a les graphismes (modélisation remarquable) ; l’animation (belle reproduction des mouvements) ; et le reflet de l’actualité, sa prise au zeitgest. PES 2017 parvient à saisir son époque et à la retranscrire avec une fidélité programmée. On finira toujours pas déceler quelques scripts, quelques automatismes que le joueur décidera ou non d’exploiter, mais le jeu parvient à créer suffisamment de variables pour ressentir les effets de situations imprévisibles ou aléatoires. La simulation de Konami détonne par une volonté de mettre en scène un aspect plus austère du jeu. Rien ne nous empêchera de vouloir pratiquer un football samba, à la nantaise, ou total, mais ses défenses relevées vous dirigeront parfois vers une solution plus bourrue. Pour la première fois, les joueurs présentent une réelle présence physique, chaque partie de leur corps pouvant être un rempart. Cela force à éviter, contourner, dépasser, passer au-dessus… une grammaire que l’on a plus souvent l’habitude de voir dans les jeux de plates-formes.