Plaidoyer pour DREDD 3D

Plaidoyer pour DREDD 3D

Note de l'auteur

Disponible en DVD/blu-ray depuis le 11 février, Dredd (ou Dredd 3D en V.O) n’a pas connu chez nous les honneurs des salles en raison d’une carrière catastrophique à l’international. Un rendez vous manqué avec le public malgré l’incontestable réussite d’un film maudit, victime d’une succession de galères dans la gestion de sa sortie. On a de la peine au Daily Mars parce qu’on l’aime bien, nous, ce Dredd-là. Review-réhabilitation, suivie d’un décryptage des raisons du bide.

SYNOPSIS : Dans une Amérique post-apocalyptique, un corps d’élite assermenté, les Juges, applique une justice expéditive pour tenter d’endiguer l’explosion de la violence dans la mégalopole baptisée Mega City One. Epaulé par Cassandra Anderson, une nouvelle recrue en phase de test, le Juge Dredd enquête sur les morts de trois dealers défenestrés depuis le Peach Trees, l’un des plus gigantesques mega blocs de la cité. Dredd et sa jeune équipière télépathe ignorent que l’édifice de 200 étages est sous la coupe réglée de Ma-Ma (Lena Headey), leader psychopathe du trafic local  de Slo-Mo, une puissante drogue hallucinogène. Sur place, Dredd et Anderson arrêtent Kay (Wood Harris), l’un des lieutenants de Ma-Ma qui, en retour, verrouille entièrement la tour pour les empêcher d’en sortir. Traqués par une armée de tueurs sanguinaires, les deux Juges ne pourront compter que sur eux-mêmes pour survivre.

 

C’est peu de dire que la scoumoune poursuit le Juge Dredd au cinéma. Créé en 1977 dans les pages de la revue anthologique 2000 AD par John Wagner et Carlos Ezquerra, le hiératique versant futuriste et dégénéré de l’inspecteur Harry a d’abord mordu la poussière en 1995 sous les viles auspices du réalisateur Danny Cannon et de notre bon vieux Sly. Crétin, moche, édulcoré, trahison totale de la BD sur tous les plans, le blockbuster de Danny Cannon écope à l’époque d’une sentence impitoyable (et juste) au box-office. Cannon aura beau stigmatiser ses producteurs (“on m’a empêché de faire le film que j’avais en tête, gnagnagna”…), sa direction d’acteurs boîteuse et ses cadrages peu inspirés ne plaident pas en sa faveur. Stallone et son ego hypertrophié ont clairement bouffé tout cru le réalisateur alors débutant, réfugié depuis en télé. Salie par ce Judge Dredd émasculé de piteuse mémoire, la sublime uchronie décadente et ironique de Wagner/Ezquerra semblait partie pour une jolie renaissance entre les mains d’Alex Garland (scénariste) et Pete Travis (réalisateur) dans Dredd 3D.

Patratas : cette fois le film fait enfin honneur au Juge mais à son tour, il subira une terrible punition en salles, figurant parmi les bides les plus cinglants de 2012 aux Etats-Unis. Chez nous, il n’a même pas eu les honneurs d’une sortie cinéma, parqué directement en DVD/blu-ray chez Metropolitan. Pourquoi ? Pour quelles raisons cet actionner atypique, à la fois bourrin et poétique, sérieux et décalé, cheap et spectaculaire, à l’évidence un “work of love” respectueux du matériau d’origine, s’est il à ce point vautré commercialement ? Le site whatculture! a tenté un excellent décryptage des facteurs du terrible échec de Dredd en salles et, à raison, s’inquiète des conséquences de cet impair l’avenir du film d’action classé R. Avant de revenir sur les racines du désastre , il nous semble de notre responsabilité civique, nous la cour internationale de justice du Daily Mars, de prononcer un plaidoyer de portée planétaire réhabilitant le vilain petit canard de Pete Travis.

Projet de longue date du scénariste fanboy Alex Garland, Dredd voit la genèse de son écriture remonter à au moins 7 ans : “J’ai démarré l’écriture de Dredd quand nous étions en post-production de Sunshine et sur la pré-production de 28 semaines plus tard. J’ai fini la première version sur la plateau de 28 semaines plus tard” se souvient Garland. Cette première version impliquait le Judge Death mais fut en partie abandonnée par Garland au profit d’un traitement plus “réaliste” et quasiment concentré en un même lieu, afin de tenir également compte des contraintes budgétaires de cette production britannique indépendante tournée en Afrique du Sud.

Frustration : alors que le fan fantasme depuis toujours sur une luxuriante Mega City One exhibée généreusement, l’intrigue enferme ses héros dans les dédales démesurés d’une tour de 200 étages. Le manque de moyens, le tournage à l’économie transpirent régulièrement tout au long de ses 95 minutes claustrophobiques et pourtant, le film réussit à la fois son pari narratif et sa proposition de spectacle. En lot de consolation, il nous offre d’abord une courte mais glorieuse séquence d’ouverture sur Mega City One. La voix off de Karl Urban pose les bases de l’univers sur une spectaculaire succession de plans survolant le vertigineux tapis urbain truffé d’immenses phalus de métal (en CGI impeccables), les mega blocs.

Comme Jamie Lee Curtis lors de l’inoubliable prologue de New York 1997, Urban et son timbre lorgnant sur le Dark Knight pose les bases de l’univers qui nous est proposé : « L’Amérique est un désert irradié… 800 millions d’âmes vivent de Boston à Washington sur les ruines de l’ancien monde et les méga-structures du nouveau… » Simple, carré, pas de fioritures, pur esprit série B au sens noble du terme. Trois lignes narratives se superposent dans cette introduction : le monologue de Dredd, des plans iconiques du juge en train d’enfiler l’uniforme (on pense forcément à Stallone dans Rambo 2) et des images de JT montrant une Mega City One aux allures de township criblé d’émeutes. L’ensemble converge sur un plan léchant la stalinienne façade du Palais de justice, dernier bastion d’Etat régalien où police et justice ont fusionné dans une même entité tout-répressive mais bien dérisoire pour lutter contre les 17 000 crimes recensés chaque jour.

Gérant bien mieux que la version de 1995 l’extrême visquosité de son concept, Dredd assume son premier degré sans bouffonnerie, sans sidekick minable, tout en délivrant au compte goutte une dérision savamment dosée. Froid, technoïde, sans temps mort, le film respecte entièrement ce que le fan était en droit d’attendre : une violence hard boiled décomplexée, à l’outrance graphiquement toute droit sortie des pages d’un comic book. Une caractérisation visuelle renforcée par un choix photographique étrange, cru et légèrement délavé, tirant souvent sur le verdâtre et le jaune, soudainement glossy lors des scènes de shoot à la Slo-Mo, cette drogue du futur dont les usagers perçoivent le temps à un 1% de sa vitesse normale. Motivée par la lourdeur de son dispositif de tournage en 3D, la mise en scène ne joue pas les prima donna : pas de shaky cam hystérique, uniquement des cadrages posés, des plans séquences élégamment steadycamés et une tendance au gros plan sur les visages. Là encore, comic book style. On ne hurlera pas au génie, Peter Travis n’est pas John McTiernan mais la réalisation et le découpage des nombreuses fusillades font plus que le job en terme de dynamisme et lisibilité. Avec en prime quelques plans vraiment inspirés, comme cette vision d’un Dredd filmé de dos, disparaissant dans un nuage de fumée après avoir défenestré un complice de Ma-Ma. Pure badass attitude.

On saluera aussi LA trademark visuelle du film, l’hyper ralenti pour les scènes de Slo-Mo. Filmées avec des caméras numériques Phantom tournant à 2000 images/secondes, ces parenthèses surréalistes greffent à notre petit B movie bien vénère d’étonnantes fugues visuelles oniriques lui conférant un je-ne-sais-quoi de distingué. Ou de vulgaire ajouteront les détracteurs de l’effet (il y en a). Menacé en permanence de basculer dans les tréfonds Z vers lequel son canevas aurait pu l’entraîner, Dredd tient pourtant étonamment la distance malgré, allez avouons le, deux ou trois vagues baisses de rythme et fautes de goût. Mais comment ne pas s’incliner avec affection et gratitude devant ce courageux digne héritier des meilleurs films d’action des années 80, mixant à la hauteur de ses moyens les influences évidentes de Mad Max, New York 1997 et Die Hard ? J’allais oublier le cast, qui ne démérite pas, loin s’en faut. A tout seigneur tout honneur, Karl Urban singe parfaitement le “Dredd face” et balance avec un imperturbable sérieux décalé des répliques dignes de son aîné Callahan (“Vous préférez quoi les kids : les linceuls ou les cubes ? Pour moi c’est pareil”). Physiquement, Urban EST Dredd dont il porte avec superbe l’outfit et le casque. Son incarnation granitique nous fait d’autant plus amèrement regretter l’idée qu’on ne le retrouvera sans doute plus jamais dans le rôle.

Chapeau pour le costume design des juges au passage, plus réaliste et à des années lumières de la panoplie de carnaval stallonienne. Alors que l’atroce Rob Schneider flinguait à lui tout seul le Juge Dredd de Cannon, la craquante Olivia Thirlby compose une partenaire crédible en nouvelle recrue passant son baptême du feu et animée de quelques vagues illusions sur son rôle de juge au début du film. Aussi modeste soit l’écriture de son personnage, elle existe bel et bien : Anderson, loin de la bimbo de service, aura évolué entre les générique de début et de fin, contrepoint à l’immuable fonctionnalité brute de Dredd. Et dans le rôle de la bad girl de service, waouh Lena Headey ! Balafrée, cracra, les ratiches noircies et surfardée, la Cersei Lannister de Game of Thrones est totalement méconnaissable en baronne sanguinaire régnant sur le trafic de Slo-Mo dans Mega City One. Une vraie fauve, vidée de toute compassion pour la vie humaine et dont on regrettera juste un sort un poil expédié en dernière bobine.

Certes, comparé à la surenchère exponentielle dégénérée de son voisin de scénar’ The Raid, le film de Pete Travis fait petit bras. Et pourtant, il mérite tellement plus que sa plantade dans l’indifférence générale : généreux, bien cadré, badass et ultra-violent, jamais il ne cherche à jouer au plus malin ni ne déshonore son matériau d’origine. Jamais il n’insulte notre intelligence à coup de clins d’oeil eighties minables façon Expandables ou Die Hard 5, ces sous-films tragiques. Plutôt que de chercher à tout prix la punchline référentielle démago, il se concentre sur son scénario, sa mise en scène, ses personnages. Dredd est un film de warrior, imparfait mais humble, respectueux et à l’évidence conçu avec coeur et dévotion compte tenu de ses modestes ressources.

Témoin ces propos d’Alex Garland, qui n’hésite pas de parler de “cauchemar” à propos des conditions de tournage : “On a travaillé avec les conditions d’un film à petit budget et j’en ai l’habitude. Tout le monde sur le plateau a donné plus qu’il n’était supposé, sans ça le film ne se serait jamais fait. On n’avait aucune ressources et ce qu’on avait, nous l’avons exploité le plus possible. Karl faisait des journées plus longues, sans regarder la montre, tout comme notre équipe des effets visuels. Ils ont travaillé à perte parce qu’ils voulaient que les choses soient bien faites. On a tout le temps été sur la corde raide, tout ce putain de temps”. Une pugnacité qui force le respect, à l’image de ce film attachant, malchanceux et à qui, on l’espère, les années finiront par rendre justice et reconnaissance. Any question ?

P.S : pas un mot sur la 3D ? Normal : votre serviteur n’a vu le film qu’en 2D mais à l’évidence, les séquences Slo-Mo doivent parfaitement se prêter au relief.

P.S.2 : la seule projection publique de Dredd en France a eu lieu au dernier Étrange Festival de Paris, en septembre dernier, où il avait déjà eu d’assez bons retours. A défaut d’une distribution en salles, les festivals resteront-ils donc la dernière option pour découvrir sur grand écran des films de genre « du milieu » ?…

 


Dredd – Trailer #1 [VO|HD] par addictomovie

 

Dredd (Dredd 3D) de Peter Travis. Avec : Karl Urban, Olivia Thirlby, Lena Headey, Wood Harris. 1h35. Disponible en DVD/Blu-ray chez Metropolitan.

LES CINQ RAISONS D’UN ECHEC SELON WHATCULTURE!

1) Un concept trop radical pour le public US/l’ombre de Stallone
Vision britannique à moitié satirique d’une Amérique post-apocalyptique où règnent décadence, ultraviolence et fascisme, l’humour noir et l’univers du Juge Dredd sont abordés quasiment tels quels dans le film de Garland et Travis. Un traitement peut-être déconcertant pour le public ricain, d’autant que ses restrictions budgétaires l’ont empêché de véritablement attirer les foules avec une promesse de grand spectacle. Pas assez sexy peut-être pour les kids. Par ailleurs, selon Whatculture!, l’ombre persistante et salissante du Juge Dredd de Danny Cannon n’arrange pas les choses. Malgré les excellents premiers échos du Comic Con de San Diego où le film fut projeté en exclusivité le 11 juillet, puis de Toronto, le public associe plus ou moins consciemment « Juge Dredd » et « film » à une indécrottable réputation de médiocrité.

2) Un film sur un personnage à notoriété moyenne, noyé dans la masse des films de super héros
L’absence d’identification claire du personnage aux yeux du public l’a vraisemblablement desservi : certains internautes mal informés ont moqué le film comme une version cheap des Batman de Nolan. Evoquant les exemples de John Carter et Green Lantern, Whatculture! rappelle qu’un défaut de notoriété doit obliger les équipes marketing à redoubler d’efforts sur la « vente » du personnage aux spectateurs non-fans. Mission non accomplie manifestement dans le cas de Dredd 3D.

3) Une cible floue, une violence rédhibitoire
DNA Films, producteur de Dredd (distribué par Lionsgate), a fait le pari d’une adaptation fidèle à la BD, y compris dans la violence sans retenue. Exploité directement dans un montage classé R, le film vise un public adulte et capable d’apprécier un sous texte satirico/politique mais qui, d’après Whatculture!, ne se déplace plus vraiment en salles aujourd’hui.

4) La 3D, un handicap ?
Dans la foulée du buzz généré par la révolution Avatar, le tournage en 3D fut visiblement un argument décisif dans la mise en branle du projet fin 2008. Mais Whatculture estime que Dredd 3D a pâti de la mauvaise image du procédé, plombé par une ribambelle de post-productions en 3D aux résultats décevants. Le nombre d’écrans disponibles en 2D pour le film était parallèlement dérisoire aux USA et en Grande Bretagne.

5) Un lancement raté
Tourné fin 2010, Dredd 3D, suite à une post-production particulièrement longue et chaotique, a laissé passer devant lui The Raid, pourtant tourné juste après. Les troublantes similitudes entre les deux synopsis ont joué en sa défaveur, tout comme une première bande-annonce jugée peu enthousiasmante. La théorie de Whatculture! estime que le marketing de Dredd a trop mis l’accent sur ses racines comic book (le site stigmatise notamment le look de l’affiche, trop proche du navet Daredevil), alors qu’il aurait peut-être été plus avisé d’exploiter, sur le matériel promotionnel, son iconographie empruntant au film d’action eighties.

Dans la foulée, Whatculture! s’inquiète des conséquences de l’échec cinglant de Dredd aux Etats-Unis (à peine 13 millions de dollars de recettes en un mois !!!) sur le futur du genre action et le peu d’appétit manifeste du grand public pour des brûlots à la violence radicale. Laissons encore au site le mot de la fin, avec une formule rendant un bel hommage au travail de toute une équipe : « Reste un film brillamment audacieux et ambitieux qui deviendra, sans nul doute, le classique culte qu’il mérite d’être. Le temps sera bon avec Dredd« . Justice will be served…

 

 

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