
Pour ne pas perdre le nord (Critique de Baron Noir saison 1, Canal Plus)
Canal Plus mise à nouveau sur un acteur populaire, habitué du septième art. Après Mathieu Kassovitz l’an dernier pour Le Bureau des légendes, c’est au tour de Kad Merad de se porter candidat pour soutenir une proposition sérielle ambitieuse. Car, oui, il s’aventure sur ce terrain politique qui attend toujours l’élue providentielle sous nos latitudes. Le début de la campagne s’avère d’ailleurs incertain, mais le Baron Noir trouve son rythme et devient l’animal politique qu’on espérait !
Son heure est venue. Il va enfin pouvoir accéder à la seconde plus haute marche de l’État. À quelques jours du second tour de la présidentielle, le député-maire de Dunkerque, Philippe Rickwaert espère bien devenir le Premier ministre de celui qu’il a toujours soutenu, le candidat socialiste Francis Laugier. Seulement voilà, une sombre affaire de financement autour de logements sociaux fait opportunément son irruption dans son fief. Rickwaert doit alors s’employer pour colmater la fuite in extremis mais son candidat prend déjà ses distances…
À contre-emploi. Son visage fermé vous est peut-être apparu sur une des affiches de promotion de la série. C’est bien le sémillant Kad Merad (Rickwaert) qui a été choisi pour jouer le rôle d’un politicien calculateur et avide de pouvoir. Ce choix trouve rapidement sa justification par le jeu de séduction naturelle qui transpire de l’acteur et qui convient parfaitement pour un homme politique. Mais Merad ne s’en contente pas et va bien plus loin dans le rôle en accédant à une sorte de transe, une hyperactivité qui semble pouvoir le dévorer à tout instant.
Sa performance est si fascinante qu’il en éclipserait presque Anna Mouglalis (Amélie Dorendeu) et Niels Arestrup (Francis Laugier), pourtant tous deux très bons. Elle, avec cette personnalité un peu hautaine qui devient fébrile dès qu’il faut haranguer la foule ; et lui, sous les traits d’un ténor de parti, expérimenté, mais prêt à exploser dès qu’il n’est plus dans le champ des objectifs.
Éléphant noir. Au fond, la véritable surprise de Baron Noir n’est pas sa distribution mais bien son sujet. Voilà enfin un récit qui s’autorise à coller au plus près de notre réalité politique, à commencer par le nom du parti dont il est question et qui n’est ici en rien maquillé. Le parti socialiste est en effet affiché sous toutes ses coutures, et les auteurs, Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon (tous deux passés par Maison Close), se servent de ce cadre réel pour ensuite établir leur fiction. Ils évitent ainsi l’un des grands reproches que l’on avait fait aux deux saisons de Les Hommes de l’ombre. En ayant masqué ses appellations politiques, cette dernière s’était notamment auto-édulcoré.
Avec Baron Noir, l’emprise est maximale et l’on n’est pas surpris d’apprendre qu’Eric Benzekri a longtemps œuvré dans les arcanes du parti (du syndicalisme à l’écriture de discours pour l’Assemblée nationale). Au fil des huit épisodes, c’est tout l’appareil politique qui est décortiqué en commençant par les méthodes plus ou moins licites de réaliser une distribution efficace de tracts, jusqu’à l’instrumentalisation de la relation tumultueuse du couple franco-allemand, en passant par des recours obscurs pour exclure les groupes gênants lors de votes en assemblée générale.
The West Cards. À travers ce cadre soigné, Baron Noir trouve naturellement une narration qui lui est propre. Dans un reportage de Pierre Langlais pour Télérama sur le tournage de la série, Benzekri confie : “Nous avons imaginé la série en contraste avec House of Cards et The West Wing. Nous ne voulons ni de la partie d’échec cérébrale mais désincarnée de la première, ni de l’idéalisme de la seconde.”
À ce titre, le départ de la série est source d’inquiétudes. Nous sommes entre les deux tours de la présidentielle, les enjeux sont alors artificiellement troubles et la corruption semble occuper tout l’horizon du récit. Pourtant, Baron Noir trouve très vite du souffle et c’est, en bonne partie, dû à une dualité géographique salutaire.
Paris-Dunkerque. Plutôt que de rester enfermée sous les ors de la République, dans ces salons parisiens finalement assez attendus, la série bascule régulièrement dans le Nord. Les décors à la fois très ouverts des bords de la Manche Mer du Nord (Merci à CHTI pour la correction), ainsi qu’un milieu industriel délavé, offrent une respiration bénéfique, adroitement soulignée par la mise en scène de Ziad Doueiri (West Beyrouth, L’Attentat). Le réalisateur – qui avait déjà eu l’occasion de s’essayer au petit écran pour un épisode de Sleeper Cell (Showtime) – trouve ses meilleures ambiances lorsque ses acteurs sont en transit, le plus souvent dans la solitude d’une voiture. On adhère toutefois un peu moins avec les gros plans de trois-quarts arrière sur l’épaule du protagoniste. Le flottement de ces prises de vues s’avérant bien moins significatif que le travail de Gus Van Sant pour Boss (Starz) par exemple.
“…mais il faut une mise en scène, faut suspendre le temps, personne ne doit savoir ce que tu vas faire, tout le monde doit douter, c’est la haute mer, quelque chose se passe” (Rickwaert)
L’espoir. Au final, Baron Noir laisse l’impression d’avoir trouvé le ton juste. Elle ne sombre pas dans le cynisme mais s’octroie la dose dramatique nécessaire. Elle reste fidèle à la reconstitution d’une réalité politique mais se garde de multiplier les clins d’œil vers les personnes en place. Elle est implacable avec une classe politique prête à tout mais ne perd pas de vue les convictions de celles et ceux qui croient en leurs idéaux.
En cela, elle dépasse un rôle de simple spectatrice du spectacle politique pour initier d’éventuels débats, tels que l’harmonisation fiscale dans la zone européenne ou l’extension du cycle lycéen à 4 ans avec une année à l’étranger.
On aurait aimé qu’elle creuse encore un peu plus sur ses propositions de société mais, après tout, cette envie démontre que cette saison est une réussite. D’ailleurs, le tournage d’une saison 2 serait envisagé pour la fin de l’année.
En attendant, le Baron Noir a placé la barre très haute pour Marseille – autre série basée sur une rivalité politique – attendue sur Netflix le 5 mai.
BARON NOIR SAISON 1 en 8 épisodes.
Diffusée sur Canal Plus à partir du 8 février (2 ép./soirée).
Créée et écrite par : Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon.
Réalisée par : Ziad Doueiri.
Chef Opérateur : Tommaso Fiorilli.
Avec : Kad Merad, Niels Arestrup, Anna Mouglalis, Hugo Becker, Astrid Whettnall.
Supervision musicale : Varda Kakon.
Crédits photos : Jean-Claude Lother © Kwaï / Canal+
Bravo ! Vous donnez envie de voir la série avec cet article. En plus, j’ai trouvé que les extraits qu’on a vus passer avec Kad Merad faisaient craindre le pire… Si vous dites que son jeu est intéressant, il n’y a pas de raison de rater ce « Baron Noir » !
Merci ! Oui, sincèrement, je l’ai trouvé vraiment bon. Peut être même plus convaincant que Kassovitz (pourtant plus habitué au registre dramatique).
J’avais laissé cette page en attente de lecture… J’ai pas Canal+, donc ça attendra avant de la voir, mais vous m’avez donné envie !
Par contre un détail, mais à Dunkerque, ce n’est pas la Manche, mais la Mer du Nord 😉
Argh, quelle bévue ! Merci, je corrige…