Pulp de Ed Brubaker et Sean Phillips

A l’hiver de sa vie, Max Winter n’a pas, à proprement parler, réussi sa vie. Il n’a eu de cesse de la vivre en marge de la société, toujours guidé par ses principes, bons ou mauvais. Avant de tirer sa révérence, il remet l’ouvrage sur le métier. Par nécessité et par obligation morale. Face au nazisme grimpant et à sa misère sociale, il va rester droit. Comme d’hab’. Avec beaucoup d’hémoglobine à la clé. Comme d’hab’. Noir et tumultueux.

L’histoire : Max Winter est un vieil homme désormais. Rangé des bécanes à New York, mis à part les « pulp » qu’il écrit et qui lui permettent juste de survivre. Sauf que dans les années 30, ses anciens démons se réveillent quand, peu à peu, la peste brune s’empare de l’Allemagne et en vient même à séduire certains Américains. C’en est trop pour l’ex-outlaw, qui en revient à ses origines. Quand le sang sang commence à couler, pas sûr qu’il ne s’arrête de sitôt.

Mon avis : un rythme endiablé pour ce thriller qui mêle action, intrigue et incessants flash-back qui ne gênent en rien la compréhension de l’histoire. On est plongé dans l’action dès le départ et on en sort tout ébouriffé à la 71e page d’une bande dessinée qui s’apparente à un petit format. Entre les deux, on a du sang, des larmes et pas mal de colère. Le tout avec une dimension politique dans les années qui ont précédé l’avènement de la Bête immonde nazie.

Mais c’est avant tout le récit d’un homme qui n’a jamais ployé devant le système avec son mantra en bandoulière : « Faire ce qui est juste ». Aussi a-t-il versé dans le banditisme quand des propriétaires terriens l’ont exproprié de sa ferme du Wyoming avant d’abattre son frère. Un point de départ qui l’a entraîné dans une vie parallèle. Avec une réussite conjoncturelle mais qui le laisse au bord de la route à l’âge de la retraite. En forme d’exutoire, il a couché dans des « pulp », un format très populaire outre-Atlantique qui a précédé l’apparition des comics, sa vie d’avant. Sauf que même à un âge avancé, notre desperado en charentaises ne peut contenir sa rébellion et son dégoût de l’injustice. Ainsi, préférera-t-il subir une énorme correction plutôt que de ne pas défendre un gamin juif dans le métro ou vengera-t-il, en mode kamikaze, son associé de l’ex-agence de détectives Pinkerton assassiné par des nazillons ricains.

Cette BD est servie par un scénario ciselé et très précis, bien dans l’idée que l’on se fait de cette époque trouble où les gangs et certaines organisations politiques menaient grand train. Le trait de Sean Philipps est également pour beaucoup dans la franche réussite de ce pulp qui est une fiction.

Si vous aimez : Le bon, la brute et le truand du grand Sergio Leone. Max Winter campant à lui seul les trois personnages.

En accompagnement : un bon cigare, cubain de préférence, pour que les volutes se mélangent à celles issues de cet ouvrage.

Autour de la BD : vainqueur du Eisner award, forme d’Oscar de la profession, Ed Brubaker a écrit nombre de super-héros et maints comics. Criminal, Incognito, Sleeper ou encore Pulp sont le fruit de sa coopération fructueuse avec le Britannique Sean Phillips. Une coopération qui devrait durer encore très longtemps.

Extraits : « Que s’est-il passé Frannie ? Dites-moi la vérité. »

« Mon frère. Il me battait… Il était fou de rage… Et Monsieur Goldman… Il a voulu l’arrêter… Mais mon frère et ses amis… Ils l’ont traité de vieux juif stupide et ils l’ont jeté par-dessus la rambarde. Je suis si triste… Il était si gentil… »

« Ton frère, quel est son nom ? »

« Quoi ? Non. Ne dites rien à la police, il me tuerait. »

« Je ne dirai rien à personne, Frannie. Donne-moi juste son nom. »

Écrit par Ed Brubaker
Dessiné par Sean Phillips
Édité par Delcourt

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