
Pulpe fiction (présentation d’American Crime Story: The People vs. O.J. Simpson / FX)
La chaîne FX possède son mètre étalon. Il se nomme The Shield, premier drama maison dont le récit était déjà inspiré de faits réels impliquant le LAPD (1). Ce point de repère se trouve enfin contesté par American Crime Story (2) (ACS) dont le lancement a été plus suivi que le début des aventures de Vic Mackey (3).
Il est vrai qu’ACS arrive avec un sujet populaire (l’affaire O.J. Simpson), un casting invraisemblable – dont le retour de John Travolta sur le petit écran (4) – et l’estampille Ryan Murphy (Nip/Tuck, Glee, American Horror Story). Pourtant, ne vous y trompez pas, ACS dépasse allègrement la vacuité très bling bling des productions de ce dernier et voici pourquoi !
Une Bronco en mondovision. Le 17 juin 1994, toutes les chaînes de télévision nord-américaines basculent brutalement sur les mêmes images. Même la retransmission très suivie du cinquième match des finales du championnat de basket (NBA) est reléguée au second plan. À l’image, le direct est tout simplement ahurissant. Un véhicule blanc, suivi (à distance respectueuse) par une douzaine de voitures de police toutes sirènes hurlantes, file majestueusement sur les autoroutes quadrillant le grand Los Angeles. Filmé par un aréopage d’hélicoptères, la poursuite atteint des sommets de surréalisme lorsque les autorités parviennent à évacuer la route en amont, laissant les multiples voies libres, souvent bordées par un public de plus en plus important qui vient assister au passage éclair de la Ford Bronco d’O.J. Simpson, comme on va encourager un cycliste sur les routes du Tour de France.
Une entrée en matière anti-Murphy. Cette séquence de poursuite aurait fait une belle introduction pour la série, mais il fallait commencer par le début de l’histoire, somme toute un fait divers assez sordide, et surtout expliquer son contexte pour bien comprendre les proportions phénoménales qu’elle allait prendre.
Si Ryan Murphy avait été à l’origine de l’écriture sur cette série, il aurait sûrement commencé par établir l’importance de la célébrité de son personnage. En effet, O.J. Simpson (5) se fit connaître auprès du grand public avec une carrière à succès dans le football américain (au poste de running back), et qu’importe si sa reconversion en tant qu’acteur de second plan (la trilogie Y a-t-il un flic) fut très modeste, Murphy aurait su enjoliver une trajectoire dorée.
Mais voilà, The People vs. O.J. Simpson (sous-titre de cette saison ô combien plus pertinent que son titre) est d’abord l’œuvre de Scott Alexander et Larry Karaszewski, un duo parfaitement aguerri à l’art du biopic (Ed Wood, Larry Flint, Man on the Moon) qui livre ici une introduction bien plus dramatique.
La série s’ouvre ainsi avec les images tristement célèbres du tabassage de Rodney King par des policiers du LAPD en mars 91, suivies par celles des émeutes qui embraseront Los Angeles en 1992 à la suite de l’acquittement des représentants des forces de l’ordre.
Cette brève séquence donne le ton. Elle permet d’élever d’emblée les enjeux au-delà du simple crime passionnel. Mais surtout, elle raisonne singulièrement avec l’actualité douloureuse des récents événements de Ferguson et Baltimore.
L’accélérateur médiatique. Car dès lors que l’ex-femme d’O.J. et son compagnon sont retrouvés morts devant leur pavillon, tous les indices ont beau accuser l’ancienne vedette des terrains de foot US, rien ne sera vraiment simple pour l’accusation, à tort ou à raison, dans un tel contexte.
À partir de là, ACS exerce une véritable fascination en soulignant et explicitant l’influence de l’engrenage médiatique. Les détails qui comptent sont passés au crible comme cette couverture du magazine Time où le visage d’O.J. est noirci grâce à Photoshop (voir ci-dessus).
Du reste, le travail d’Alexander et Karaszewski peut se définir par la curation d’une multitude de sources à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas. Leur série est justement l’adaptation d’une enquête du journaliste Jeffrey Toobin titrée The Run of His Life : The People v. O.J. Simpson. Mais par extension, il apparaît évident que le duo ne s’est pas contenté de ce seul matériau pour une affaire où presque tous les intervenants ont publié au moins un livre. À ce titre, on découvre comment Faye Resnick (la toujours excellente Connie Britton), amie de la défunte, livre ses petits potins alors que le procès se met difficilement en marche.
ACS reste une fiction, mais le niveau de précision du récit grâce à l’abondance des documents sur l’affaire permet aux scénaristes de tutoyer le documentaire à différents niveaux.
Une réflexion sur la célébrité. Cette loupe médiatique propulse alors des personnages, jusqu’ici inconnus du public, au centre de toutes les attentions. C’est notamment le cas de Robert Kardashian, ami et confident d’O.J., qui se porte en première ligne, face à la presse, pour soutenir celui qui est aussi le parrain d’une de ses filles. Ces mêmes filles qui deviendront les parangons de notre actualité peoplesque.
Dans le rôle de Robert Kardashian, David Schwimmer surprend par une performance dramatique totale. L’ancien acteur de Friends est même touchant dans le rôle d’un homme bouleversé, dépassé par les événements et profondément sincère. Dès le troisième épisode, la série nous offre cette scène déjà culte où Kardashian sermonne ses enfants alors qu’ils viennent d’être des témoins ébahis de la célébrité toute nouvelle de leur paternel pour obtenir une table dans un restaurant bondé. Ses rejetons font visiblement la sourde oreille, annonçant déjà l’avidité qu’ils manifesteront plus tard à l’endroit de la staritude.
Vous l’avez compris, ACS louvoie très largement en marge de l’affaire. Son propos n’est plus vraiment de savoir si O.J. est bien coupable, mais plus d’établir une photographie sociale détaillée d’une époque qui a dévoré ce procès par tous les mauvais aspects imaginables.
Seule contre tous. Si la série se garde bien d’indiquer si elle prendra parti, le premier tiers de la saison permet déjà d’entrevoir de grands numéros d’acteurs. Outre un Schwimmer méconnaissable (évoqué plus haut), Cuba Gooding Jr. (O.J. Simpson) impressionne par l’intensité des émotions qu’il fait passer. À ses côtés, le toujours très bon Courtney B. Vance (Johnnie Cochran) dévore littéralement un John Travolta (Robert Shapiro) qui n’est plus que l’ombre de lui-même.
Mais la véritable étoile de la série est encore ailleurs. Il s’agit de Marcia Clark, procureur en charge du dossier Simpson et rapidement la cible de tous les quolibets les plus abjects qui soient. Même si ACS distribue équitablement ses temps de parole comme toute bonne série chorale qui se respecte, il devient vite évident que le propos principal est de réhabiliter une femme qui aura été humiliée avec une rare violence sous le feu médiatique.
C’est Sarah Paulson qui se présente sous la mitraille et quelques épisodes suffisent pour comprendre qu’elle figurera en bonne place lorsque le temps des récompenses sera venu.
Au final, nous tenons peut-être enfin une production brillante signée Ryan Murphy. Déchargé des responsabilités de l’écriture, il se concentre ici sur ce qu’il fait finalement le mieux, à savoir la mise en scène du spectaculaire et l’assemblage d’un casting de haut vol.
On se demande tout de même comment évoluera cette série dont on sait déjà qu’elle optera pour un autre récit en saison 2, sur le principe de l’anthologie. Le sujet sera à nouveau très discuté puisqu’il examinera la gestion des conséquences du passage de l’ouragan Katrina !
AMERICAN CRIME STORY: The People vs. O.J. Simpson
Saison 1 en dix épisodes (FX)
Série développée par : Scott Alexander et Larry Karaszewski
Autres scénaristes : D. V. DeVincentis, Maya Forbes, Wallace Wolodarsky et Joe Robert Cole
Réalisateurs : Ryan Murphy, Anthony Hemingway et John Singleton
Avec : Sterling K. Brown, Kenneth Choi, Christian Clemenson, Cuba Gooding Jr., Bruce Greenwood, Nathan Lane, Sarah Paulson, David Schwimmer, John Travolta, Courtney B. Vance, Selma Blair, Connie Britton, Evan Handler, Billy Magnussen et Malcolm-Jamal Warner.
Musique : Mac Quayle.
1: The Shield est très librement inspiré d’un scandale impliquant l’anti-gang du LAPD (Police de Los Angeles) et plus particulièrement sa division nommée Rampart (chargée de l’ouest de downtown LA) à la fin des années 90.
2: À ne pas confondre avec American Crime de John Ridley dont la saison 2 est en cours de diffusion. D’ailleurs, afin d’éviter toute confusion, nombreux sont les critiques à la nommer par son sous-titre : The People vs. O.J. Simpson.
3: Dans l’ordre des meilleurs lancements de la chaîne, American Crime Story (5,1 millions de téléspectateurs), The Shield (4,8), American Horror Story: Murder House (3.2), The Americans (3.2), Fargo (2.7), Sons of Anarchy (2.5), The Bastard Executioner (2.1) et Tyrant (2.1).
4: John Travolta a débuté sa carrière dans la sitcom Welcome Back, Kotter diffusée sur ABC entre 75 et 79.
5: Pour l’anecdote, Orenthal James Simpson est surnommé “The Juice” (le jus) car ses initiales, O.J., peuvent éventuellement faire référence à “Orange Juice” (le jus d’orange)…
Visuels : American Crime Story / FX / 20th Century Fox Television / Ryan Murphy Productions / Color Force