Que sont devenues nos chères salles d’arcade ?

Que sont devenues nos chères salles d’arcade ?

arcade street10F. Soit 1,50€. Avec cet argent de poche hebdomadaire, le Titouan-12-ans d’aujourd’hui peut flamber sur Steam à la moindre solde. Mais il y a quinze ans, la pièce durement acquise permettait à peine à Kevin de traverser le premier niveau de Virtua Cop (le facile), ou d’éclater quelques zombies gigotant abusivement dans House of the dead. Cette ambiance bruyante et clignotante, ce plaisir de dépenser 100 francs pour terminer un jeu anormalement difficile, Titouan doit trouver ça complètement con. Et c’est vrai, qui s’y intéresse encore dans la presse main stream ? Qui connaît les dernières bornes sorties ? Qui sait ce que devient l’arcade aujourd’hui ?

Des salles d’arcade décimées par les consoles

En France, un nombre incalculable de salles a fermé en l’espace d’une dizaine d’années.« Entre 1999 et 2004, tout s’est assez mal passé » résume Romain Durand, passionné gérant la salle Néo Arcadia à Toulouse. Les exploitants n’ont pas su s’adapter à la nouvelle donne. Les consoles de jeu ont dépassé techniquement les bornes d’arcade, au niveau graphique. » Et de fait, qui aujourd’hui serait capable de s’extasier devant une simple borne tant les grands écrans et les jeux full HD sont accessibles ?

Alors il a fallu trouver de nouvelles stratégies. Pour rester dans la course, les fabricants de bornes, eux, ont un peu moins misé sur les graphismes, et plus sur des expériences qu’on n’aura pas à la maison. « En 2004-2005, il y a eu une grosse vague de jeux musicaux, dans la lignée de Dance Dance Revolution avec de gros tapis de danse encombrants, ou par exemple d’énormes tambours », continue le Toulousain, qui depuis longtemps garde un œil sur les nouveautés qui sortent au Japon.

Aujourd’hui, un jeu d’arcade, ça doit faire « waw »

Et au levant, marché encore florissant pour le secteur, certains jeux se veulent de plus en plus impressionnants, extravagants. « Avec leur réalisme, les consoles d’aujourd’hui poussent à la surenchère, analyse Marie-Claire Ibanez, responsable de La Tête dans les Nuages, à l’autre bout de la France, à Paris. « On ne peut pas se permettre d’avoir des jeux qui ne font pas « waw » ; on va avoir des sièges qui vont bouger, des bornes qui soufflent de l’air pour donner une sensation de mouvement. Et puis, de plus en plus de jeux utilisent le corps des joueurs. Là, on va par exemple avoir une cabine avec projections d’images qui permet de jouer au foot, au golf, avec un tee. Tout ça demande des investissements de plus en plus importants ».

Chaque tenancier a ses exemples de bornes impressionnantes, ou qui éveillent simplement sa curiosité : Gunslinger Stratos, jeu complètement barré où l’on peut assembler ses flingues en plastoc pour créer de supers armes, (façon Megazord des Power-Rangers), Elevator Action Death Parade, un shooter derrière de vraies portes d’ascenseur (ne cherchez pas à comprendre), ou encore Aikatsu!, un jeu de cartes à collectionner où l’ont doit mener un groupe de jeunes chanteuses vers la gloire (et qui va quand même jusqu’à appeler le joueur sur son téléphone s’il n’est pas venu jouer depuis longtemps). Certaines innovations semblent moins gadget que les autres, comme ces jeux où fonctionnent enfin des cartes mémoires. « Dans un jeu de voitures, au lieu de rester sur un système basique de checkpoints, on va pouvoir customiser son bolide petit à petit, sauvegarder sa progression » s’intéresse le Toulousain Romain Durand. « Seulement malgré nos essais, ça n’a jamais pris dans notre salle ».

En France, ces systèmes de carte mémoire continuent pourtant d’intéresser, car certains proposent bien plus que la simple possibilité de sauvegarder. Lancé fin 2010, le système Nesica de Taito fait par exemple de nombreux envieux. « Un système de bornes connectées sur le réseau à travers tout le Japon », résume Aboubakary Camara, responsable événementiel de la salle parisienne Arcade Street, « ce qui permet à chaque Japonais possédant la carte de jouer à plusieurs jeux d’un catalogue ». Un système qui permet aussi de sauvegarder sa progression sur tous ces jeux à la carte et de comparer ses scores nationalement. Mais son plus gros intérêt est peut-être financier : pour un gérant de salle d’arcade, installer une borne tout en un, ça coûte quand même moins cher que d’en acheter dix.

L’arcade, un plaisir réservé au Japon ?

Le petit problème, c’est que ce réseau ne fonctionne qu’au Japon, où les salles sont plus grandes et plus répandues. « Les différences sont culturelles », résument Romain et Aboubakary, chacun de leur côté. « En France, on a tous été bercés avec les consoles de jeu, et on invite facilement nos potes. « Mais au Japon, ils n’ont pas beaucoup de place chez eux » explique le Parisien, « alors c’est un bon moyen de se retrouver ». « Là-bas, ça ne se fait pas trop d’inviter les gens chez soi » confirme le Toulousain, « sans compter que beaucoup de salles sont proches du métro, et comme c’est l’un des rares endroits où on peut fumer, on vient mettre une pièce le temps de finir sa cigarette. C’est une habitude. »

Une habitude que les Français n’ont pas vraiment prise. Mais tous les gérants l’assurent : l’arcade n’est pas morte pour autant. Si elle ne vit plus son âge d’or, elle a à peu près trouvé son public, même si les conversations laissent parfois apparaître une pointe de nostalgie. « Il y a énormément de familles qui viennent, avec les parents, les enfants, et même les grands parents, pour sortir de chez soi, faire face à de grands écrans, jouer tous ensemble » décrit Marie-Claire Ibanez de la Tête dans les Nuages. « Mais mon prédécesseur a fait énormément de communication pour que ça devienne familial. Il y a 8 ans, ça fonctionnait encore sans communication, les gamers qui s’y connaissaient vraiment étaient plus nombreux. Aujourd’hui, ils ont un peu disparu : c’est dommage, c’est grâce à eux que ça vivait aussi ». Et de regretter une époque de « partage, où on discutait en profondeur des jeux, de leurs sensations, de façon plus technique, où des champions de Street-fighter venaient régulièrement s’affronter ».

Malgré tout, leur petite entreprise ne connaît pas la crise

Un esprit de compétition que leurs concurrents d’Arcade Street essaient d’entretenir de leur côté. Des tournois, qui y ont lieu une ou deux fois par mois, fédèrent quelques communautés de jeux de combats, de shoot-them-up, de tir ou de danse, et attirent souvent des joueurs pros. « Les gamers se donnent rendez-vous via leurs forums, une partie de notre clientèle est constituée d’habitués » explique Aboubakary Camara. « Les joueurs de Street Fighter 3, par exemple, c’est généralement le vendredi soir ».

Un public d’habitués qu’on retrouve aussi chez les Toulousains de Néo-Arcadia, dont le commerce ne périclite pas, bien au contraire. « En gros, je dirais que 40% de notre clientèle est constituée d’habitués, 10% pour les jeux musicaux, et 30% pour ceux de combat, le reste, c’est du casual gaming » résume le chef de l’entreprise Romain Durand. Mais quand on lui fait remarquer un petit manque de diversité dans ce qu’il nous décrit, il acquiesce : « J’aimerais par exemple qu’on ait plus de joueurs de shoot them up. Mais ça ne prend pas. »

C’est que, confiant dans l’avenir des petites salles comme la sienne, le Toulousain passionné et spécialiste ne se fait pour autant aucune illusion sur le renouvellement des jeux d’arcades. « Je ne pense pas que ce secteur évoluera beaucoup. Ils ont sorti Street Fighter 5, un nouveau Guilty Gear, Tekken 7… Mais j’ai du mal à imaginer une révolution pour bientôt. »

Dommage… Mais bon, en même temps, un bon jeu de baston en face à face, c’est indémodable… Après tout, tant pis si ça en reste là.

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