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Quentin Tarantino vu par….Jean-Pierre Vincent (INTERVIEW, par Marc Godin)

Quentin Tarantino vu par….Jean-Pierre Vincent (INTERVIEW, par Marc Godin)

Hello les aminches. A l’occasion de la sortie récente en DVD/Blu-ray de Django Unchained (Sony), notre collaborateur ponctuel MARC GODIN, homme de bon goût et journaliste distingué s’il en est, vous propose un petit voyage auprès de quelques grands fans ou collaborateurs français de Quentin Tarantino. Huit personnalités du monde des arts, qui ont soit travaillé directement pour le réalisateur trublion, soit nourrissent pour ses films une passion dévorante. Sous la pression de Marc (équipé de son talent naturel d’intervieweur et aussi d’un gros flingue), ils se sont mis à table et causé sur Quentin.

L’exercice relèvera de la forme libre : la mini-série « Quentin Tarantino vu par… » s’étalera toute cette semaine, chaque jour jusqu’à vendredi, et alternera question/réponse ou verbatim en fonction de la longueur de l’entretien. Marc débute les hostilités avec Jean-Pierre Vincent, l’un des attachés de presse cinéma les plus réputés et respectés de la capitale, qui fut en charge de la communication autour de Pulp Fiction en 1994 mais aussi de Jackie Brown, Boulevard de la mort ou encore Inglourious Basterds. Il nous fait ici le récit des coulisses de la présentation (et du sacre) de Pulp Fiction au festival de Cannes. Autant dire qu’il était aux premières loges au côté de Tarantino. Et vous aussi désormais !

John Plissken

 

 

Pulp fiction : Palme d’Or à Cannes en 1994 sous un tonnerre d’applaudissements… et quelques sifflets !

Attaché de presse, Jean-Pierre Vincent est l’une des stars de la profession, avec plus de dix films lauréats de la Palme d’or, dont Pulp Fiction en 1994. Homme de l’ombre, discret, il nous raconte les coulisses de cette Palme et son amitié avec QT.

Marc Godin : Vous avez été l’attaché de presse de Pulp Fiction. Etiez-vous déjà celui de Reservoir Dogs ?
Jean-Pierre Vincent : Pas du tout. J’ai de très bonnes relations avec Harvey Weinstein, les gens de Miramax et Pulp Fiction faisait partie d’un accord de distribution entre Jean Labadie de Bac Films et Miramax. C’est ainsi que je me suis retrouvé sur le film.

Vous avez vu le film avant d’arriver à Cannes ?
J-P V : Nous l’avons découvert très très tard, au mieux 48 heures avant de partir à Cannes, au tout dernier moment.

Qu’avez-vous pensé ?
J.-P. V. : (il se marre) Dans la salle, il y avait Jean Labadie, sa femme et moi. Pour être très honnête, je ne savais pas trop quoi en penser et comment les spectateurs allaient recevoir le film. Par contre, la femme de Jean était très très enthousiaste, beaucoup plus que nous…

Vous êtes ensuite parti à Cannes.
J.-P. V. : A Cannes, je rencontre Tarantino aussitôt, car il est arrivé dès le début du festival. Je fais un déjeuner de trois heures avec lui et Labadie, absolument passionnant. Et à la fin du repas, il me dit : « Je peux vous demander un service ? Pourriez-vous me trouver des places pour les films que j’ai envie de voir pendant le festival ? » Jusqu’à la projection de Pulp Fiction, qui était programmé en fin de festival, il m’appelait pour voir tel film à la Quinzaine, tel film en compétition… Il n’arrêtait pas et voyait au minimum trois films par jour.

A l’époque, je me souviens l’avoir croisé en projection. Mais aucun réalisateur n’a un tel comportement.
J.-P. V. : Jamais ! Ils n’arrivent jamais aussi tôt par rapport à la projection de leur film. Et ils n’ont ni l’envie, ni la disponibilité de voir tant de films. Quentin consomme du cinéma à plein régime. Il était content et curieux de voir les films des autres. Je me souviens que quand il a vu Trois couleurs : Rouge, il a pensé que c’était un chef-d’œuvre et était persuadé que Kieslowski aurait la Palme. Il en parlait même dans les interviews qu’il donnait…

Comment se sont passées les projections de Pulp ?
J.-P. V. : La projection de presse s’est bien passée, mais ça n’a pas été du délire. Celle du soir s’est très bien passée, avec une standing ovation d’une dizaine de minutes. Mais personne n’a pensé que le film aurait la Palme. Personne !

 

« Quand Clint Eastwood s’est tourné vers nous, j’ai compris que c’était gagné »

 

Présidé cette année-là par Clint Eastwood, le jury du festival provoqua la colère de quelques crétins en décernant la palme d’or à Pulp Fiction. La réponse de Tarantino, tout en tact et doigté.

Parlez-nous de la cérémonie de clôture. Vous saviez déjà que vous auriez la Palme ?
J.-P. V. : J’ai eu pas mal de films qui ont décroché la Palme et je peux vous assurer que l’on ne sait jamais à l’avance. La seule fois que je l’ai su, c’était un contexte très particulier et j’ai tout fait pour avoir l’info. J’avais un espion dont je tairais le nom qui me l’a dit ; c’était pour Le Pianiste de Roman Polanski. C’était un film très particulier pour Roman. Il était reparti à Paris après sa conférence de presse. Le Festival lui a demandé de revenir et je voulais savoir pour quel prix. Dans les autres cas, on nous appelle dans l’après-midi afin de venir à la cérémonie. Pour Pulp, nous étions tous sur des charbons ardents, notamment Harvey Weinstein qui a dû m’appeler pas moins de 50 fois dans la journée. « T’as des nouvelles ? » « Non, j’ai pas de nouvelles… » 50 fois ! Puis Gilles Jacob m’appelle pour me demander de faire revenir toute l’équipe du film de Tarantino. J’ai appelé tout le monde. Quentin, Harvey, Jean Labadie et moi, nous avons pensé à un prix d’interprétation collectif, ce qui nous convenait parfaitement. Franchement, personne ne pensait à la Palme. Et surtout pas Quentin qui était persuadé qu’elle irait à Kieslowski. Dans ce genre de soirées, on est tous plus ou moins stressés. Nous n’avons même pas tilté quand, au moment de rentrer dans la salle, la femme de Clint Eastwood s’est jetée au cou de Quentin devant 200 personnes en lui disant « J’ai adoré ton film ! » On ne lui a pas accordé la moindre attention… En rentrant dans la salle, je regarde toujours où sont placés les futurs lauréats par rapport aux caméras. C’est une théorie qui vaut ce qu’elle vaut, mais je pense qu’elle est plutôt bonne… J’ai découvert que Kieslowski était placé derrière nous et je me suis dit : « C’est fait, Kieslowski a la Palme ! »

Donc la cérémonie commence.
J.-P. V. : Avec, comme à l’école, les prix du dernier au premier. Prix d’interprétation féminine, ce n’est pas le film. Masculine, ce n’est pas le film non plus. Scénario, ce n’est pas le film. Mise en scène, ce n’est pas le film ! Grand Prix, ce n’est pas le film ! Il ne reste plus que la Palme d’or, avec deux films qui n’ont rien : Pulp Fiction et le Kieslowski. Avant la cérémonie, Quentin m’avait demandé de dire aux organisateurs qu’il avait passé un moment formidable à Cannes, qu’il avait vu plein de films, et qu’il comprenait parfaitement s’il n’avait pas de prix. Mais il ne voulait pas être présent à la cérémonie s’il n’avait rien. À ce moment-là, il s’est tourné vers moi et m’a dit « On s’est fait avoir ! », même si je pense qu’il n’a pas été aussi poli sur le coup. Clint Eastwood est arrivé pour annoncer la Palme avec un petit sourire. Il s’est alors tourné vers nous et j’ai compris que c’était gagné. Il y a alors cinq tarés qui sautent – revoyez les images – Quentin, Lawrence Bender le producteur, Harvey Weinstein, Jean Labadie et moi. On y avait jamais cru, on ne l’avait jamais envisagé.

Quand Quentin Tarantino monte sur scène, il y a des applaudissements, mais aussi des sifflets.
J.-P. V. : Oui, oui.

Tarantino fait même un doigt d’honneur.
J.-P. V. : Oui, peut-être. Mais ce n’est pas aussi marqué qu’avec Pialat.

Que se passe-t-il après ?
J.-P. V. : C’est l’euphorie absolue. Nous prenons un verre sur un bateau, nous allons au dîner officiel et nous finissons à l’Hôtel du Cap à sept heures du matin.

 

« Aucun metteur en scène au monde n’a un tel rapport avec son public »

 

 

Tarantino et Christoph Waltz : première de Django Unchained à Londres, le 10 janvier dernier.

C’est important pour lui une Palme d’or, surtout à son âge, pour son second film ?
J.-P. V. : Quel que soit le metteur en scène, quel que soit leur âge ou ce qu’ils en disent, la Palme, c’est quelque chose de très particulier. Quand j’ai annoncé dans l’ascenseur à Polanski qu’il avait la Palme, j’ai vu son visage s’illuminer. C’est comme un enfant à qui l’on dit qu’il a enfin le train électrique qu’il attend depuis tant de Noëls.

Vous êtes resté en contact avec lui ?
J.-P. V. : Peu de temps après, je suis parti en vacances avec mon fils aux Etats-Unis. À Los Angeles, Quentin Tarantino m’a invité à dîner avec Lawrence Bender et mon fils qui avait une dizaine d’années. Nous sommes restés en contact. J’ai donc fait Jackie Brown, mais pas Kill Bill. Cela n’a rien à voir avec Tarantino, mais quelqu’un qui était à Miramax à l’époque. Puis Boulevard de la mort, Inglourious Basterds et aujourd’hui Django unchained.

Un réalisateur peut-il imposer un attaché de presse ?
J.-P. V. : Bien sûr. Cela m’est arrivé avec Scorsese et sur Inglourious Basterds ou Django, qui sont au sein d’une Major avec un service de presse intégré.

En vingt ans, Quentin Tarantino a changé ?
J.-P. V. : Non ! Il est toujours aussi fou de cinéma, toujours aussi sympathique, toujours aussi enthousiaste. Mais vous savez, c’est quelque chose de très particulier d’être avec Tarantino. C’est une rock star ! Aucun metteur en scène au monde n’a un tel rapport avec son public. Déjà à l’époque de Jackie Brown, nous avions fait une master class au Virgin sur les Champs (soupir nostalgique – NDPlissken). Dans l’après-midi, les gens de Virgin m’ont appelé pour savoir si j’avais de la sécurité pour Tarantino car il y avait déjà beaucoup de monde. Naturellement, nous n’en avions pas. Quand nous sommes sortis des voitures, il y avait 700 personnes devant le magasin et 2000 personnes à l’intérieur. Un truc de dingue… Les gens le considèrent comme quelqu’un de leur famille, de leur clan. Il y avait aussi bien des petits mecs du 9-3 qui l’apostrophaient style « Eh Quentin, comment tu vas ? », que des cinéphiles. Il provoque une vraie sympathie. Quand je marche avec Scorsese dans la rue, les gens le reconnaissent, mais personne ne va lui taper sur l’épaule pour lui demander de faire une photo avec sa sœur. Avec Quentin, ce n’est pas la même chanson. Pour Inglourious Basterds, je voulais aller manger un morceau avec lui sur la Croisette. Nous avons mis 40 minutes pour aller du Carlton sur une plage à 300 mètres. Tous les mètres, il s’arrête, on lui demande des trucs, on lui fait dédicacer des choses, on lui offre des cadeaux… Son rapport avec le public est incroyable !

Comment l’expliquez-vous ?
J.-P. V. : Il a amené un cinéma que lui seul fait et qui parle à une génération entière, c’est évident. C’est un mec simple, qui vient de son video-club, et les gens s’identifient à cette star de la mise en scène. C’est une belle success story. Quand il est venu aux César il y a deux ans, nous sommes partis les derniers de la salle avec certains de ses copains. Quand nous sommes sortis, il y avait encore 200 personnes qui l’attendaient sur le trottoir. Il a signé des autographes pendant trente minutes ! Ça n’existe pas avec les autres metteurs en scène…

Propos recueillis par Marc Godin. 

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