Quentin Tarantino vu par… Jérôme Pierrat (par Marc Godin)

Quentin Tarantino vu par… Jérôme Pierrat (par Marc Godin)

Jérôme Pierrat : « Pulp Fiction et Jackie Brown sont plus réalistes que Reservoir Dogs ! »

Journaliste et écrivain, Jérôme Pierrat est le grand spécialiste du crime organisé en France. Il est également coscénariste sur la saison 3 de la série Braquo. Dernier ouvrage :  Braqueur, des cités au grand banditisme, entretiens avec Rédoine Faïd (Editions de la Manufacture de livres). Un fan dans le feu de l’actualité donc…

« Il y a un paradoxe chez Tarantino : le gangster est réaliste, crédible, et dans le même temps, il est magnifié, sublimé. Aussi étrange que cela puisse paraître, les gangsters qui devisent sur le cheeseburger et qui fument un mec, c’est très crédible. Tu pourrais croire que ce décalage est irréaliste, délirant, mais souvent, quand tu rencontres des voyous – et cela fait une bonne vingtaine d’années que j’en fréquente – tu découvres que c’est vrai. Ils vont te parler d’un meurtre ou de la torture d’un mec dans une cave tout en mangeant un morceau ou en achetant un canapé chez Castorama. La réalité dépasse tout le temps la fiction ».

« Dans Pulp Fiction, Samuel Jackson déclame des versets de la Bible à chaque fois qu’il fume un mec. Eh bien dans les années 70, il y avait un des pires assassins du Milieu français, Jean-Claude Leclerc, surnommé le Bedeau, qui planquait son 11. 43 dans une Bible creuse. Dans un film, tu n’y crois pas. Et pourtant, il a vraiment existé, il a été abattu Place de la République en 74. La scène avec Jackson n’est donc pas tellement délirante… Dans Pulp…, il y a également cette scène où Travolta bute un mec dans la voiture et il doit nettoyer avec Samuel Jackson. Des histoires comme ça, il y en a mille dans le Milieu ! Moi, je regarde Pulp… un peu comme un documentaire, avec des psychopathes Pieds Nickelés, mais plus réalistes que Delon dans Le Samouraï. »

« Les voyous sont plus proches de Robert De Niro dans Jackie Brown, qui sort du pénitencier, très bas de plafond, qui regarde sans cesse la télé, que des caïds mythifiés de Jean-Pierre Melville. Ce qui fait souvent dire aux flics, « Heureusement qu’ils sont cons, sinon, on ne pourrait pas les arrêter. » Les psychopathes abrutis de Pulp Fiction font toujours assez réalistes. De Niro, encore lui, balance des infos, des dialogues sur la prison qui sonnent très justes, comme s’il venait vraiment de sortir de Folsom. Ce qui n’est pas réaliste, ce sont ces mecs qui portent de beaux costumes dans Reservoir Dogs, qui est incarné entre autres par Edward Bunker, un ancien voyou devenu écrivain. La mise en image est sublimée, très cinématographique. »

« Depuis les années 30, il y a un effet miroir entre le cinéma et le monde du crime, les deux se construisent en parallèle. Quand le premier Scarface (Howard Hawks) est sorti en France en 1933, les voyous français ont commencé à s’habiller comme Paul Muni, avec des Borsalino, des complets gris… J’ai fait un livre avec un boss yakuza, le Parrain de Tokyo, et je lui ai demandé pourquoi les yakuzas portaient ces costumes à la Reservoir Dogs, avec lunettes noires, qui les rendent hyper-repérables. Il m’a répondu qu’en tant que parrain de la mafia, s’il allait racketter un mec en claquettes, short et chemise Hawaï, l’autre ne le prendrait au sérieux, car sa représentation mentale d’un yakuza est complètement cinématographique, elle vient des films de Kinji Fukasaku ou de Takeshi Kitano. Il faut qu’ils se collent à l’image du gangster de cinéma ! »

« Dans les banlieues, si on se sert de kalachnikov ou de fusils d’assaut, c’est parce que les mecs ont trop regardé Scarface et Heat. Ce ne sont pas des armes précises, ils s’en servent uniquement parce qu’ils ont vu ça dans leurs films préférés. Tarantino est inspiré par les voyous, mais les voyous s’inspirent de son cinéma. J’ai écrit un livre avec Rédoine Faïd, Braqueur, des cités au grand banditisme. Ce mec a fait toute sa carrière en s’inspirant du cinéma ! Il a réalisé ses premiers cambriolages comme James Caan dans Le Solitaire de Michael Mann, braqué des banques avec des masques de présidents comme dans Point Break, des fourgons blindés comme dans Heat, avec un camion-bélier, des explosifs. Il a même fait le casse d’une bijouterie à Chantilly en 1995 comme dans Reservoir Dogs, avec les complices qui s’appelaient entre eux M. Bleu, M. Jaune, M. Rouge, une grosse affaire. Il y a toujours eu un tel jeu de miroirs entre les deux mondes, c’est pour cela qu’il y a pas mal d’acteurs très proches des voyous et vice-versa. Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui, le cinéma inspire plus les voyous que l’inverse.  »

Propos recueillis par Marc Godin.

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