
Qui va à la chasse… (Mindhunter saison 2 / Netflix)
Mindhunter saison 2 : c’est triste d’assister au naufrage d’une série que rien ne sauve, après une première saison brillante et électrique…
Certaines séries attendent leur saison 3 pour trébucher (Stranger Things, anyone ?), d’autres se vautrent dans les grandes largeurs dès la saison 2. Après une première saison d’une belle intensité, dominée par un Ed Kemper (Cameron Britton, impérial) terrifiant de minéralité, on attendait beaucoup de la deuxième saison diffusée sur Netflix depuis le 16 août. Dire qu’on a été déçu serait un euphémisme.
Est-ce dû au fait que Joe Penhall, créateur de la série basée sur le livre Mindhunter: Inside the FBI’s Elite Serial Crime Unit écrit par John E. Douglas et Mark Olshaker, avait écrit ou été impliqué dans la quasi-totalité des épisodes de la S1, alors que son nom n’apparaît pas une seule fois au rayon “scénario” dans la S2 ? David Fincher, coproducteur, réalise à nouveau quelques épisodes (les trois premiers, pour être exact, soit un de moins que pour la S1), mais pas de quoi sauver les meubles.
Car tout ça est extrêmement poussif. Surtout, la plupart des motifs y sont sous-exploités, voire carrément pas abandonnés en route. Les attaques de panique de Holden ? Aucune utilisation un peu substantielle n’en est faite. La vie privée de Wendy, du moins sa vie sentimentale en tant que lesbienne liée au FBI au début des 80’s (une situation difficile), est montrée en large et en travers, sans qu’on sache vraiment pour quel but.
Les problèmes familiaux de Bill, qui ont au moins un sens en ceci qu’ils expliquent pourquoi il doit faire la navette chaque semaine entre Atlanta (lieu de l’enquête sur un serial killer potentiel) et son domicile, s’avèrent un peu plus intéressant. Même s’ils tournent rapidement en rond. Quant au personnage de Gregg Smith, le 4e (et très secondaire) membre de l’équipe, il attend toujours de recevoir un rôle digne de ce nom dans la narration…
L’enquête à Atlanta piétine rapidement, et nous avec. Neuf épisodes pour nous dire « attention, une enquête du FBI, surtout pour une Behavioral Science Unit qui débute, ça se résume parfois à tourner sur soi-même en déplorant l’action mollasse des flics locaux », cela fait long. Les pistes se multiplient sans qu’on sache vraiment pourquoi on n’en suit pas une plus que les autres. Les approches se contredisent et se court-circuitent. Les indices ne s’accumulent pas, il semblent se diluer et disparaître, entraînant avec eux le maigre intérêt qu’on gardait pour cette série.
D’autant que la réalisation ne sauve pas la sauce : lente, sans intensité ni enjeu, sans idée (honnêtement, même la discussion dans la voiture où Bill et Albert ne peuvent se retourner vers leur interlocuteur assis à l’arrière, ne donne guère de frissons).
Où est passé l’esprit, la densité de la saison 1 ? Où sont passées les interviews de serial killers, vibrantes de menace et de violence rentrée, de perversion et de tâtonnements, de sous-entendus électriques et d’inventivité psychologique ? Et ce n’est pas la rencontre avec un Charles Manson (Damon Herriman) qui fait son show sans conviction, qui réveille notre intérêt.
Le seul point unissant un tant soit peu cette saison est le motif de la solitude. [SPOILER ALERT : pas de quoi fouettre un chat, mais le reste de ce paragraphe révèle certains éléments de la fin de la saison] Wendy voit son couple se briser, Bill rentre enfin chez lui pour découvrir que sa femme a fichu le camp avec leur fils adoptif, Holden est plus seul que jamais. En principe, trois plans un peu intelligents auraient suffi pour nous montrer cela. Et, surtout, nous le faire ressentir. Peut-être même qu’ils y sont, ces plans ; noyés dans la masse, impossible d’en être certain.
On ressort de ces neuf épisodes avec la sensation désagréable d’un beau gâchis, le poids d’un ennui abyssal et surtout, péché capital, d’avoir perdu notre temps. Ça se disperse, ça ne mène à rien, comme un tunnel inutile entre deux vallées lumineuses. Enfin, en espérant que la saison 3 redresse la barre…
Mindhunter, saison 2
Série créée par Joe Penhall
Produite par Joe Penhall, Charlize Theron et David Fincher notamment
Basée sur le livre Mindhunter: Inside the FBI’s Elite Serial Crime Unit, de John E. Douglas et Mark Olshaker
Une saison diffusée sur Netflix le 16 août 2019
Avec Jonathan Groff, Holt McCallany, Anna Torv, Stacey Roca, Cameron Britton, Jim Barney, etc.
Point de vue intéressant, mais tellement pas d’accord, ou si peu.
Quelques longueurs et questions, certes.
L’entretien dans la voiture est glaçant si on s’est laissé surprendre pas le regard rétroviseur un peu plus tôt. (J’essaie de ne pas trop spoiler) Il nous positionne d’entrée à la place de l’interrogé.
SPOILER : cerise sur le gâteau, Manson remis à se place de pervers narcissique sans intérêt.
Une saison qui mérite d’être revue pour saisir toutes les nuances.
Perso, je trouve vraiment la discussion dans la voiture très surévaluée. C’est toujours celle qui revient dans les commentaires : une seule scène à discuter, c’est déjà un indice qu’il y a un problème pour moi… Quant à Manson, quel intérêt ? Il n’a aucune utilité dans la narration. Du moins pour le moment…
Je viens de revoir la scène dans la voiture. Et non, décidément, je n’y vois rien de spécial, ni d’intense, ni de glaçant.
Entièrement d’accord.
De nouveau, un excellent « papier », Vincent. Il se trouve que j’ai quasiment fait la même critique auprès d’un ami à propos de la seconde saison durant la période estivale. Le sujet des tueurs en série ne m’intéresse guère d’ordinaire (du moins aujourd’hui, car il y a près 26 ans, alors étudiant en droit, le sujet me passionnait et ce dernier était plutôt marginal ou mal connu. À cette époque, on parlait de Dhamer, Tchikatilo, Guy Georges, Paulin, etc…). Depuis le « Silence des Agneaux » et la série « Profiler », la « serial killerie » est devenue une manne pour la télé et le cinéma; dès lors, le sujet ne pouvait plus avoir le même intérêt. C’est un peu comme le genre du Western ou de la Mafia : à partir du moment où l’offre devient pléthorique, surabondante, elle ne présente plus aucune espèce d’originalité ou d’innovation. Elle signe, par voie de conséquence, son déclin. Cependant, le souci de la reconstitution des 70’s finissantes et des 80’s m’incitât à regarder « Mindhunter » d’un peu plus près.
En outre, faudrait sérieusement se poser une question : pourquoi une production contemporaine aussi industrieuse (télé & cinéma) lorsque le dit phénomène des tueurs en série n’apparaît plus sur le terrain criminel depuis le début des années 2000…
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– « Les attaques de panique de Holden ? Aucune utilisation un peu substantielle n’en est faite. »
Je trouve même qu’elles arrivent comme un cheveu sur la soupe. Aucun intérêt.
– « La vie privée de Wendy, du moins sa vie sentimentale en tant que lesbienne liée au FBI au début des 80’s (une situation difficile), est montrée en large et en travers, sans qu’on sache vraiment pour quel but. »
Très, très juste ! C’est aussi ce que je me suis dit. Par ailleurs, le baiser lesbien en public dans salle de bowling respire singulièrement… le XXIème siècle. Une telle conduite n’eût certainement pas été possible à l’époque et, a fortiori, dans la Virginie des 80’s.
Il faut savoir que le personnage de Wendy, tiré d’une profileuse réelle (Ann Wolbert Burgess), n’est pas lesbienne mais mariée et avec des enfants. Si ça, c’est pas estampillé « XXIème siècle »…
– « Les problèmes familiaux de Bill, qui ont au moins un sens en ceci qu’ils expliquent pourquoi il doit faire la navette chaque semaine entre Atlanta (lieu de l’enquête sur un serial killer potentiel) et son domicile, s’avèrent un peu plus intéressant. Même s’ils tournent rapidement en rond. »
C’est, hélas, bien là où le bât blesse : on ne voit, in fine, pas très bien où cette description familiale nous mène. À la vérité, cette trame n’ajoute rien au personnage de Bill ou si peu. On a le sentiment que les auteurs viennent meubler, par des ellipses de convenances, un manque d’inspiration.
-« Où est passé l’esprit, la densité de la saison 1 ? »
À mon sens, la question serait plutôt : pouvait-il en être autrement à la saison 2…?
– « Enfin, en espérant que la saison 3 redresse la barre… »
À mon humble avis, je vois difficilement comment on peut maintenir l’intérêt sur un tel sujet au bout de 3 voire 5 saisons puisque Fincher a laissé entendre qu’il y en aurait trois autres. L’histoire du début du « profilage » au FBI restait un sujet intéressant. Mais, à la longue, toute cette entreprise risque de tourner à vide et Fincher aura un certain mal à venir nourrir ce qui s’apparente déjà à des resucées de la saison 1.
Au fond, tout cela n’est peut-être, après tout, qu’un malentendu de format. En effet, n’eût-il pas été plus pertinent de faire de « Mindhunter », dès le début, une mini-série ? Avec un tel format de départ, on démarre d’un point A pour arriver à un point B. Ici, Fincher est condamné à feuilletonner. Or, avec un sujet comme celui-ci, le feuilletonnage équivaut à un quasi affaissement de la série.
Merci pour cette réaction ultradétaillée et très intéressante !
Je suppose qu’il reste quelque chose d’un peu « chic » à présenter des traqueurs de tueurs en série, donc des gens surintelligents qui chassent des types hyperbrillants, avec surtout une vraie construction intellectuelle des meurtres et de leur représentation (ce qui autorise un certain brio dans la mise en scène et la narration). Un serial killer, ça a tout pour plaire à un.e showrunner.
A l’inverse, on a plutôt des tueries de masse, qui ne sont pourtant guère représentées. Singulièrement, on était à deux doigts d’en avoir une dans « 13 Reasons Why » (encore une série qui a déjà trop duré). Bon, l’idée de l’arrêter in extremis et de représenter l’effort collectif pour « sauver » le presque-tueur de masse n’était pas si mauvaise, mais cela a surtout permis de garder « 13RW » dans un certain sillon bien confortable.
Pour revenir à « Mindhunter », je me suis fait exactement la même réflexion pour le “baiser” de Wendy. On voit souvent ce genre d’anachronisme, même si on ne peut jamais exclure qu’un personnage excentrique puisse faire fi des convenances à l’occasion. Simplement, cela nous extirpe de la narration, ce qui n’est jamais une bonne chose…
Pour la saison 3 (et les suivantes), mes points de suspension exprimaient ma crainte qu’elle n’apporte rien de bon. Reste que je ne parviens pas à comprendre comment on peut passer d’une saison 1 aussi emballante à une saison 2 aussi vide. C’est juste un mystère absolu. Mais la majorité des séries que j’ai vues dernièrement étaient ainsi : des débuts emballants puis un effondrement à partir de la saison 3 (voire 2).
– « Je suppose qu’il reste quelque chose d’un peu « chic » à présenter des traqueurs de tueurs en série, donc des gens surintelligents qui chassent des types hyperbrillants, avec surtout une vraie construction intellectuelle des meurtres et de leur représentation (ce qui autorise un certain brio dans la mise en scène et la narration). Un serial killer, ça a tout pour plaire à un.e showrunner. »
Pertinent et fort à propos car c’est, peu ou prou, ce que me disait cet ami. Il allait même plus loin : pour lui, le tueur en série est devenu l’archétype fantasmé du transgresseur dans une époque (l’actuelle) ou le subversif a tellement été galvaudé qu’il en devenu « mainstream » et, par là même, dépouillé de tout contenu.
– « A l’inverse, on a plutôt des tueries de masse, qui ne sont pourtant guère représentées. »
Très juste et nous faisions également le même constat.
– « Mais la majorité des séries que j’ai vues dernièrement étaient ainsi : des débuts emballants puis un effondrement à partir de la saison 3 (voire 2). »
L’explication réside sans doute dans un phénomène d’époque et qui fait florès dans les séries télés mais aussi au cinéma : la plupart des auteurs partent essentiellement d’un concept (« tiens, j’ai une idée, et si on imaginait, etc…, etc…) et non d’une histoire mûrement et sagement réfléchie. En d’autres termes, ils ne cherchent pas à savoir de quelle manière va se terminer l’histoire dès le début de sa conception, ce qui explique les incohérence de parcours. L’un des plus illustres représentants de cette tendance « entre-deux-chaises » est Damon Lindelof; avec « Lost » ou « The Leftovers », nous avons là les exemples les plus éloquents de ces séries qui s’effondrent à partir de la seconde voire troisième saison. Et, comme tu le notes, les débuts sont emballants car tenant précisément dans des concepts de départ alléchants et/ou prometteurs. Autre indicateur intéressant : les audiences. Le téléspectateur décroche, parfois violemment, lorsque l’architecture d’ensemble n’est plus aussi harmonieuse.
Justement, ma chère et tendre me signale cet article de The Atlantic (https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2019/10/are-serial-killers-more-common-than-we-think/596647/). Si l’on en croit les chiffres, le nombre de serial killers aux USA aurait chuté de 85% en 30 ans ; ils ne seraient plus, selon le FBI, responsables que de moins de 1% des meurtres.
Plusieurs causes à ces chiffres, qui montrent aussi que ces résultats ont toutes les chances d’être faussés. Le taux de résolution des crimes a dévissé (91% en 1965 contre 61,6% en 2017). Selon d’autres sources, au moins 2% des meurtres seraient l’œuvre de SK, qui pourraient atteindre le nombre de 4.000 en activité.
Pourquoi ne détecte-t-on pas mieux leur activité, sans même parler de les appréhender ? Plusieurs raisons : une meilleure “expertise” de la part des SK (qui ont appris de leurs prédécesseurs), des équipes d’enquêteurs moins performantes qu’auparavant (notamment parce qu’ils sont moins bien payés), un isolement social croissant et une mobilité géographique accrue.
Et de pointer le métier de chauffeur routier comme l’une des fonctions qui favoriseraient certainement le meurtre en série…
Merci Vincent pour cet article bien informé d’Atlantic; tu remercieras ta chère et tendre. Voilà donc qui confirme mon impression de départ. Au mitan des années 2000 (vers 2005), un sentiment lancinant revenait depuis que je m’étais intéressé au sujet 15 ans plus tôt : la relative mais perceptible diminution de ce phénomène dans les affaires judiciaires, tant en Europe qu’outre-atlantique. Les études menées depuis lors ne font, en effet, qu’entériner cette impression générale.
– « Pourquoi ne détecte-t-on pas mieux leur activité, sans même parler de les appréhender ? Plusieurs raisons : une meilleure “expertise” de la part des SK (qui ont appris de leurs prédécesseurs), des équipes d’enquêteurs moins performantes qu’auparavant (notamment parce qu’ils sont moins bien payés), un isolement social croissant et une mobilité géographique accrue. »
C’est fort possible (et il y a probablement des éléments de vérités dans ton analyse) mais cela suggérerait que les SK mènent une étude approfondie de ceux qui les ont précédés avant de passer à l’acte, ce qui semble, à mon sens, plus tenir du mythe cinématographique du « CopyCat » qu’autre chose. Pourquoi ? Parce qu’il y a aussi un autre élément qui vient parasiter l’idée (participant de cette « fascination ») que se fait le public de ces meurtriers, en partie à cause du cinéma : ils ne sont pas particulièrement charismatiques contrairement à ce que l’on voit. Nécessairement intelligents ? Quelques uns, pas tous et sur ce point, le moins que l’on puisse dire est que les inégalités en la matière sont criantes.
Certes, certes, il y a eu des séducteurs comme Ted Bundy ou Guy Georges, mais ces derniers sont moins la règle que l’exception. Par ailleurs, le SK raffiné, écoutant du Chopin et cultivé (à l’instar d’Hannibal Lecter) n’existe pas; pas plus que des tueurs méticuleux à l’ouvrage chirurgical tel le fameux Tueur aux maquettes dans « Les Experts : Las Vegas ». Même des tueurs extrêmement machiavéliques (sans être des SK), comme celui de Phone Game (2002), n’ont jamais vu le jour. Mais tout cela, parce qu’ils n’existent pas, confirme ce que tu disais sur l’attrait qu’ils peuvent potentiellement exercer sur un Showrunner. Le SK, en somme, est un « bon client ».
En revanche, pour revenir à la détection, il est fort probable que l’expérience des enquêteurs soit ici déterminante; les avancées de l’analyse génétique/ADN, qui ne font leur entrée en France qu’au milieu voire à la fin des années 90, y sont certainement pour beaucoup (cf. FNAEG, F.A.E.D, F.I.J.A.I.S.). Comme il n’existe jamais vraiment d’explications monocausales, il y a vraisemblablement un agrégat de tout cela et bien plus…
Pour compléter :
Le déclin des tueurs en série américains (2011) : https://www.slate.fr/story/32575/tueurs-en-série-américains