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Punchdrunk Lovesick Singalong (in Paris) – Radiohead au Zénith de Paris (23 mai 2016)

Punchdrunk Lovesick Singalong (in Paris) – Radiohead au Zénith de Paris (23 mai 2016)

À peine quinze jours après la sortie de leur album A Moon Shaped Pool, Radiohead prend la route pour défendre ce dernier opus sur scène. Les yeux et les oreilles de deux émissaires martiens étaient au rendez-vous pour assister à la première de leurs deux grands-messes parisiennes.

Paris, lundi 23 mai 2016, vers 18 heures,

Les portes d’une rame de métro de la ligne 5 se referment à la station Bastille sur un homme aux cheveux sales et à la quarantaine fatiguée, comme son sweat à capuche « Everything in its right place ». Au vu de l’usure du motif, le vêtement a bien une quinzaine d’années. À l’époque, on n’appelait pas encore ça un « hoodie ».

Radiohead au Zénith de Paris (23 mai 2016)

© Caroline Van der Velden

Claude Chabrol disait des derniers films de Fritz Lang qu’ils « faisaient la gueule ». La même chose peut légitimement être dite des derniers albums de Radiohead… et de leur fan en sweat-shirt affalé sur sa banquette, les yeux dans le vague, en route vers la Porte de Pantin.

 

La fin de l’austérité

Bien que leurs prestations scéniques aient toujours été intenses et très incarnées, les petits gars de l’Oxfordshire n’ont jamais été un groupe « fun » ou « festif ». Les albums In Rainbows (2007) ou King of Limbs (2011), avec leurs trognes d’œuvres d’art contemporain dépressif sous perfusion d’austérité, avaient de quoi passionner les fans par leur démarche et leur originalité. Leur écoute, par contre, pouvait tout aussi bien décevoir – voire rebuter – les auditeurs moins investis, par leur aspect trop théorique et cérébral. Aussi, leur retour à une forme de pop plus orthodoxe avec A Moon Shaped Pool (dont vous pouvez lire la chronique par Mathieu Poitier dans nos pages Musique) laissait entrevoir la possibilité d’un spectacle plus aéré et structuré, à l’image de l’album.

Après avoir passé les multiples contrôles d’identité et de sécurité, notre fan qui tire la tronche s’en va donc, dans son blouson de cuir et ses Converse, rejoindre ses congénères dans la salle. Le parterre du Zénith est recouvert d’une masse informe de gens dans laquelle on trouve de tout : d’un couple de jeunes fumeurs de joints sur sa gauche à Lionel Abelanski par dessus son épaule droite en passant par… Nigel Godrich, le producteur historique et attitré du groupe, assis au premier rang dans les gradins.

Pas d’entrée en scène spectaculaire ; le noir se fait et le groupe s’installe sous la clameur d’un public déjà conquis avant d’entamer le concert par le titre d’ouverture (et premier single) du nouvel album : Burn the Witch. Pour cette tournée, les Anglais se paient les services d’un second batteur : Clive Deamer de Portishead. Exception faite donc de leurs deux batteurs chauves, légèrement en retrait, les membres du groupe sont presque alignés sur le devant de la scène. Cette scénographie en deux dimensions renforce l’impression d’unité, de simplicité et de travail collectif que renvoie le groupe. Au-dessus d’eux, une charpente métallique supporte six écrans géants qui projettent alternativement images du groupe en train de jouer et visuels abstraits. À l’entrée de la salle, nous avions été prévenus : « ce spectacle contient des lumières stroboscopiques ». Nous avions aussi été informés que « le groupe ne souhait[ait] pas que le public slam pendant le spectacle ». Ou comment avoir l’impression de se retrouver, une vingtaine d’années plus tard, dans une transposition dans la vie réelle de Fitter Happier, titre satirique et synthétique de l’album OK Computer.

#lifeimitatingartimitatinglife

Radiohead au Zénith de Paris (23 mai 2016)

© Caroline Van der Velden

 

A Moon Shaped Set

Les titres d’A Moon Shaped Pool se taillent la part du lion dans la soirée1. L’album est joué dans son intégralité et dans l’ordre à quelques inversions près. Les titres de l’album, truffés de cordes et de chœurs en studio, sont ici proposés dans des versions « en réduction ». Les violons sont simulés à la guitare ou au clavier. Les voix sont assurées par le groupe. Ces modèles réduits sont tout à fait convaincants, ce qui n’est pas très étonnant. Certains de ces morceaux sont en gestation depuis plusieurs années et ont déjà connu plusieurs incarnations. Pour le reste, le groupe fait tourner les effectifs, en proposant chaque soir une sélection différente de leur répertoire. Lundi, ils sont même allés jusqu’à tirer du banc des réservistes un Creep, aussi inattendu et incongru que (finalement) plaisant. Bulle noisy et anachronique coincée entre un titre inextricable de In Rainbows (Weird Fishes/Arpeggi) et une Pyramid Song finale du plus bel effet qui parachève une setlist très équilibrée, en forme de best of (partiel et partial).

Radiohead au Zénith de Paris (23 mai 2016)

© Caroline Van der Velden

Force est de constater que, bien que le public leur soit acquis, sa réaction est décuplée dès que résonnent les premiers accords de classiques tirés du fond de leur catalogue comme My Iron Lung ou Paranoid Android. À l’opposé – était-ce l’heure où les animaux vont boire ou un choix délibéré des foules ? – c’est la ruée vers la buvette au moment du titre Bloom.

En contraste avec cette foule de plus en plus expansive au fur et à mesure que la soirée avance, le groupe reste égal à lui-même : concentré, taiseux et plutôt statique, mises à part les quelques gesticulations de leur chanteur, Thom Yorke. Ce choc thermique entre les deux côtés de la scène laisse une impression étrange, accentuée par un certain manque de rythme qui, sans être rédhibitoire, s’avère gênante. Si le groupe arrive assez bien à susciter l’enthousiasme, sur des morceaux comme The National Anthem, le soufflé retombe pendant des mises en place qui, vues de la fosse, semblent interminables. Reste la satisfaction de voir une formation aux atours reptiliens : froide mais bien vivante et surtout fière à la fois de leur production actuelle et de l’œuvre qu’elle a bâtie depuis plus de trente ans.

Radiohead est un paradoxe en mouvement perpétuel. À la fois absent des médias traditionnels et pourtant toujours là, attendu en permanence et malgré tout toujours surprenant. Ce concert était à leur image : souvent fascinant, parfois frustrant et épisodiquement vertigineux tant l’impression est prégnante d’être en permanence devant un « travail en cours ». Quand leur dernier album contient une chanson comme True Love Waits, que le groupe joue en concert depuis plus de 20 ans, des titres joués lors de leur dernière tournée il y a quatre ans (Identikit et Ful Stop), on en vient à se demander où commence et où finit la vie d’un morceau, d’un album ou d’un concert avec Radiohead.

Radiohead au Zénith de Paris (23 mai 2016)

© Caroline Van der Velden

« There’s a gap in between / There’s a gap where we meet / Where I end and you begin… »

À peine le temps de rêvasser en pensant aux titres qui manquaient à l’appel, il est déjà temps de vider les lieux, juste à temps pour retrouver notre quadra’. Le visage illuminé par un sourire, il lorgne le stand de merchandising et son étalage de hoodies et autres t-shirts hors de prix.
Post-scriptum : l’explication de titre de l’article…

1 La setlist du concert du lundi 23 est consultable ici.

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