Raj et le concept d’une masculinité (The Big Bang Theory)

Rajesh Koothrappali. Photo CBS.

Je dois avouer que je fais partie de ceux qui ont découvert très tardivement « The Big Bang Theory », cette série sur la vie de quatre potes, quatre génies geeks. Si tardivement, en réalité, que je ne suis cette série régulièrement que depuis cette saison. Avant, je picorais, de ci, de là, m’amusant de Sheldon, des « régulières » Penny et Bernadette… Rajesh, dit Raj, n’était qu’un distant personnage, le numéro 4 oublié de cette bande de copains. Mais depuis mon addiction à la série, je me rends compte que Raj est sans doute l’un des personnages les plus passionnants du petit écran.

ATTENTION : PETITS SPOILERS DANS CET ARTICLE

Photo CBS.

Le sexe « fort »

Tout d’abord, j’aime beaucoup Raj par son absence totale de pudeur ou plutôt le fait qu’il essaye d’assumer complétement le fait qu’il est considéré comme « efféminé », sans s’en rendre compte. Ou presque.

Raj aime les activités féminines. Il aime prendre soin de lui, se faire des manucures et possède un petit chien dont il est apparemment complétement gaga. Il est d’ailleurs le seul invité aux après-midi « filles » où il réalise des bijoux en compagnie d’Amy, Bernadette et Penny. Lorsqu’Howard décide de s’incruster dans ce cocon, il éclate et explique alors que c’est le seul endroit où il sentait qu’il pouvait s’exprimer sans qu’on se moque de lui. Il s’oppose à un concept, celui de la masculinité « hégémonique » tel qu’il est décrit par Raewyn Connell : un modèle de l’homme tel qu’il devait être, tel qu’il est décrit par la société et les media.

Le bureau de Raj. Photo CBS.

Raj, dans ce cas, est encore plus marginal que ses amis. Il est d’ailleurs peu souvent représenté dans son intimité et on le voit plus souvent au bureau que dans son appartement. Il est différent, car il défend un bien-être et une façon de s’exprimer à l’opposé des représentations viriles américaines. Il ne fait pas parti de la masculinité dominante, mais d’un modèle divergent. Chuck Lorre et Bill Prady ont peut-être profité du fait que Raj soit d’origine indienne pour ajouter une couche d’étrangeté à l’étranger. Ainsi, n’est pas remis en cause le modèle de « l’homme américain » modèle, à la Schwarzenegger.

En même temps, ils présentent un personnage qui, s’il est exotique, est aussi présent et intégré à la société dans laquelle il vit. Raj devient alors un modèle différent, qui montre que l’on peut exprimer une certaine sensibilité tout en restant un « mâle ».

Une redéfinition de l’amitié

Raj et Howard, une amitié particulière. Photo CBS..

Son amitié avec Howard reste aussi légendaire pour tous les sous-entendus gays et les blagues sur une sexualité, ou plutôt une sensibilité, qui met souvent ce dernier mal-à-l’aise (les ceintures avec des sabres lasers pour ne citer qu’elles). Mais Raj reste pour moi un hétérosexuel affirmé, qui a juste du mal à définir les frontières avec l’amitié. En gros, être ami, c’est juste ne pas coucher ensemble.

Pour voir à quel point il reste attiré par les femmes, cette saison a été flagrante lorsque sa copine, Emily,  rencontre Penny. Et qu’il se retrouve sur le canapé entre les deux. La suite n’est qu’une série de gaffes mettant en avant son plaisir et la vanité d’avoir couché avec ces deux femmes splendides.

Emily, Raj et Penny. Photo CBS.

Mais il est aussi incapable de tracer la frontière entre l’intime et le public. Il est profondément impudique dans son amitié avec Howard, assumant devant Bernadette le fait qu’ils soient allés ensemble en « thérapie de couple ». Howard en a honte. Pas lui. Pourquoi ne pas accepter le fait qu’il a une relation complétement fusionnelle avec Howard ? Raj assume ce lien fort, sans en être gêné et sans même y voir un problème. Une « bromance » dans un sens, une amitié masculine profonde comme on en voit peu. Après tout, il n’est pas rare d’être très proche de quelqu’un sans pour autant vouloir coucher avec. En faire un gimmick de The Big Bang Theory permet aussi de montrer que d’autres façons d’être existent pour les hommes, que l’on peut être faible et avoir un « meilleur ami ».

Pourtant, lorsqu’Howard partira dans l’espace, Raj n’hésitera pas à le remplacer par Stewart, se comportant avec lui presque de la même façon qu’il le faisait avec l’astronaute. L’amitié de Raj est entière, et il a du mal à savoir jusqu’où il peut aller avec quelqu’un ou non. L’intime, les pensées profondes de Raj sont publiques, il n’a honte de rien, et a du mal à comprendre comment cela peut ne pas être le cas pour d’autres, pourquoi il leur est si dur de se laisser aller.

Les personnages principaux de « The Big Bang Theory » : Raj, Leonard, Penny, Sheldon, Howard, Bernadette et Amy. Photo CBS.

Raj, dans toute sa loufoquerie, ses maladresses et ses faux pas est ainsi le moyen de voir toutes les facettes de ce qui fait un homme. De ce qu’il a le droit d’être : délicat, sentimental, avec des amitiés qui ne sont pas viriles, d’aimer les femmes et avoir une relation amicale non-conventionnelle (dans le sens, qui sort des conventions de la société, différente) avec un homme. Raj présente un modèle de masculinité autre, rare à l’écran, une masculinité « divergente » et tout aussi légitime, assumé, même s’il reste parfois incompris par ses amis. Et même s’il ne s’agissait que d’une façon de faire des blagues potaches, ça fait quand même du bien !

Pour aller plus loin : Raewin Connell, Masculinités et Teresa de Lauretis Théorie queer et culture populaire : de Foucault à Cronenberg