
Raoul Coutard : Mort d’un réalisateur baroudeur
Ancien photographe de guerre, directeur de la photographie des plus grands cinéastes de la Nouvelle Vague, réalisateur, Raoul Coutard vient de mourir à 92 ans. Interview carrière.
J’avais rencontré Raoul Coutard il y a une vingtaine d’années afin de parler de son expérience de la guerre et du cinéma. Né à Paris en 1924, Raoul Coutard s’engage volontairement dans l’armée, dans le Corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient, d’abord comme simple soldat, puis devient chef de section. Il commence comme photographe et reporter en Indochine pour Paris-Match et Life. En 1957, il devient chef-opérateur et s’occupe de la photographie des plus grands films de la Nouvelle Vague. Au fil des années, il signe donc l’image de 17 films de Jean-Luc Godard (À bout de souffle, Pierrot le fou, Le Mépris…), François Truffaut (Jules et Jim, La Peau douce…), Jacques Demy (Lola)… Il travaille ensuite sur Z de Costa-Gavras, Max mon amour de Nagisa Ōshima, Peaux de vaches et avec Pierre Schoendoerffer (La Passe du diable, La 317e Section et Le Crabe-tambour). Il est passé à la mise en scène avec Hoa-Binh (1970), puis a réalisé La légion saute sur Kolwezi (1979) et S.A.S. à Salvador (1982), une adaptation d’un best-seller de Gérard de Villiers.
Chef-op de génie, c’est l’homme qui fait que certains films de la Nouvelle Vague sont encore regardables…
Vous avez été soldat ?
Raoul Coutard : Après la Libération, je me suis engagé pour aller combattre les Japonais et j’ai ensuite servi en Indochine pendant trois ans. Je suis rentré en France et je me suis réengagé pour devenir correspondant-photographe. C’est à ce moment que j’ai rencontré Pierre Schoendoerffer. Il était dans le service cinéma, j’étais dans le service photo.
Vous pouvez nous parler de vos débuts professionnels ?
RC : J’étais photographe pour le service de photographie de l’armée. J’ai ensuite travaillé pour un journal constitué entièrement de photos, Radar, puis pour Life. Après la chute de Diên-Bien-Phu, Pierre Schoendoerffer m’a demandé d’être le directeur de la photo de son film, La Passe du diable. J’ai accepté d’autant plus que je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était un chef-op. Si j’avais su vraiment, je crois que je me serais dégonflé. Ensuite, j’ai fait À bout de souffle de Jean-Luc Godard et ma carrière était lancée. J’ai fait 17 films avec Godard, quatre avec Truffaut…
Quelle était la griffe Coutard ?
RC : Moi, j’aime la peinture flamande et j’ai toujours fait le contraire dans mes films, alors le style Coutard… Vous savez, tout cela, c’est une question de chance. Et avec À bout de souffle, j’ai été servi. Le film de Godard a très bien marché et j’ai enchaîné les projets. Moi, j’aimais bien prendre des risques, expérimenter, peut-être parce que j’avais été correspondant de guerre… En tout, j’ai été directeur de la photo sur une centaine de films.
Vous pouvez me parler du tournage de La 317e section ?
RC : Nous avons tourné au Cambodge, à côté de la frontière, pendant sept semaines et on voyait des avions américains balancer des ravitaillements sur le Viêtnam. Pour La 317e section, on voulait retrouver cet état de fait, à savoir, quand on fait la guerre, on ne voit jamais l’ennemi, sauf quand il vous dégringole dessus lors d’embuscades. On tournait dans des conditions difficiles, loin de tout, plutôt isolés, mais l’équipe était solidaire. D’ailleurs, mes assistants avaient fait l’Indochine. On voulait tourner des scènes sous la pluie, mais il ne pleuvait que la nuit… On pataugeait dans la boue mais il ne pleuvait jamais pendant la journée. J’ai tout tourné en lumière naturelle et j’ai éclairé les scènes de nuit avec deux petits spots.
En 1970, vous réalisez Hoa-Binh.
RC : J’avais envie de faire un film sur l’Indochine, sur des enfants en temps de guerre. Ce film, je devais le faire. J’ai tourné Hoa-Binh au Viêtnam, pendant les combats. Pour vous donner une idée, les scènes de guerre du début avec les hélicoptères sont du reportage, des séquences que je tournais le dimanche.
Et La Légion saute sur Kolwezi ?
RC : C’est Georges de Beauregard qui m’a proposé ce film. Il fallait obtenir des moyens militaires importants car j’avais besoin de plusieurs régiments, de l’armée de l’air et de l’armée de terre. L’armée a accepté mais j’avais des dates fixes pour filmer les régiments, des avions ou encore des divisions. Je n’ai pas pu tourner au Zaïre où j’étais persona non grata. Nous avons donc tourné partout où je pouvais avoir mes troupes, à Kourou (en Guyane) avec le Troisième Régiment Étranger d’Infanterie, à Toulouse, dans la région parisienne… Pour obtenir une certaine unité avec les personnages des militaires, il fallait que l’on retrouve dans les commandos les mêmes gueules. Des membres de l’équipe ont donc fait de la figuration parmi tous les régiments qui sont apparus à l’écran.
Je me souviens particulièrement du tournage de la scène de la prison avec Laurent Malet, c’était la prison des gendarmes de Kourou. Il faisait une chaleur impossible là-dedans et nous avons filmé dans cet enfer pendant deux jours. À propos de la chaleur, il y a une chose à laquelle je n’avais pas pensé : à Kolwezi, il fait très froid la nuit. Donc les légionnaires parachutés à Kolwezi n’ont absolument pas transpiré sur place, alors que sur le plateau, nous rajoutions tout le temps de la sueur sur nos acteurs ou sur les treillis des militaires…
Et la suite de votre carrière ?
RC : J’ai mis en scène une aventure de S.A.S mais cela a été une assez mauvaise expérience. Puis, j’ai continué à faire le chef-opérateur pour des réalisateurs avec lesquels j’avais envie de travailler. C’est comme cela que j’ai fait La Naissance de l’amour de Philippe Garrel. Une très bonne expérience. Mon seul regret : ne pas avoir travaillé avec Henri Verneuil…