
Re-Anime: Kanashimi no Belladonna (de Eiichi Yamamoto)
Aujourd’hui, back in 1973 pour vous parler d’une perle d’animation envoûtante, poétique et complètement atypique: Kanashimi no Belladonna a.k.a. La Belladone de la Tristesse. Tiré d’un conte moyenâgeux de Jules Michelet, intitulé La Sorcière, le film s’aventure sur les terres de l’érotisme psychédélique cher aux 70’s. Dernier opus de la trilogie érotique, Animerama, produite par Mushi Production et l’immense Osamu Tezuka, La Belladone risque clairement de vous déstabiliser et de vous emmener plus loin que vous ne l’auriez espéré, aux confins d’un trip époustouflant, perturbant et profondément hypnotique.
Jeanne et Jean sont deux paysans qui s’aiment d’un amour pur mais cela n’est pas au goût du roi qui fait valoir son «droit de cuissage» sur le jeune femme. Ayant été souillée par le souverain, lorsqu’elle retrouve Jean, celui-ci la néglige et la délaisse. Jeanne, profondément meurtrie fait alors la rencontre d’un esprit malin, qui n’est autre que le Diable himself et s’offre à lui corps et âme, afin de devenir une puissante sorcière. La structure propre au conte est totalement respectée: peu de personnages, une caractérisation rapide et claire, des enjeux bien définis et une voix off nous contant les mésaventures de la belle. La Belladone de la Tristesse ne se pose aucune limite artistique et nous plonge dans un conte digne des frères Grimm en pleine montée de LSD. Bienvenue au début des années 70 et leurs désirs de liberté absolue, de sexualité débridée et de psychédélisme outrancier. Le pinku eiga (cinéma rose) explose alors au Japon et a des répercussions sur toute l’industrie cinématographique. La Belladone est au croisement de plusieurs tendances artistiques et réussit à trouver un incroyable et subtil équilibre. Graphiquement, l’inspiration principale est à chercher dans l’illustration de Tarot et l’Art Nouveau de la fin du XIXème et début du XXème (petit cours d’Histoire de l’Art, vite fait!) avec son travail sur l’esthétique des lignes courbes. Bon nombre de dessins évoque Mucha ou encore Klimt, à travers le travail d’ornementation des plans. Oscillant entre surréalisme baroque et épure contemplative, le film repose sur une succession d’illustrations fixes (avec ou sans scrolling horizontal) et de plans animés qui se fondent les uns dans les autres, donnant un aspect visuel proche d’un livre que l’on parcourt. Le spectre du dessinateur Moebius n’est également pas très loin…
L’autre inspiration est en parfaite adéquation avec l’époque de la sortie du film. On retrouve certains codes et l’iconographie utilisée pour les affiches de concert et autres pochettes d’album rock. Un délire visuel proche de celui qu’on peut voir dans l’opéra-rock de Pink Floyd, The Wall. Une impression accentuée par la bande son incandescente et très rock 70’s du pianiste jazz et compositeur, Masahiko Satoh. La Belladone ne recule devant aucune expérimentation et nous offre un spectacle touchant, viscéral et à cent lieux de ce que nous avons l’habitude de voir. Pourtant l’aspect contemplatif, propre aux films japonais ne nous dépayse pas. Une sorte de langueur s’instille jusque dans les scènes érotiques qui sont autant d’orgies visuelles, dans lesquelles les formes et les couleurs se mélangent, se fondent pour donner des tableaux à la force créatrice hallucinante. Le film s’érige en œuvre païenne et subversive et Eiichi Yamamoto, en metteur en scène de la jouissance des corps. Fort heureusement, le réalisateur ne tombe jamais dans un voyeurisme sinistre, ni même dans le hentaï (érotique ne veut pas dire porno) même si les symboles phalliques et sexuels sont nombreux.
La Belladone de la Tristesse nous ouvre les portes de la perception et prend des allures de Belle aux Bois Dormants sous viagra et en pleine montée d’acides. Sa liberté créative et son graphisme ultra-stylisé en font une œuvre à part et méconnue. Pourtant on aurait tort de passer à côté de ce chef d’oeuvre unique, barré et absolument magistral.
Kanashimi no Belladonna de Eiichi Yamamoto (1973) – Mushi Production