
Re-Anime : Le Château de Cagliostro (de Hayao Miyazaki)
Aujourd’hui, retour sur le premier chef-d’œuvre de Hayao Miyazaki, sorti en 1979. Une épopée de haut vol qui préfigure toute l’œuvre à venir d’un des maîtres de la japanimation. En adaptant le manga de Kazuhiko Katô, Lupin III, lui-même inspiré du héros de Maurice Leblanc, Miyazaki trouve un terrain d’expression favorable à son génie créatif. Bref, de l’or en barre !
Commençons par le commencement… Lupin III est donc un manga qui a connu diverses adaptations sur le petit et le grand écran. En vrac : quatre séries animées, six films pour le ciné, vingt-deux téléfilms et trois OAV, je n’en rajoute pas plus. Vous l’avez compris, Lupin III est devenu au fil du temps un monument de la culture japonaise et une licence inépuisable. Le Château de Cagliostro est le second film et bien que l’on retrouve Miyazaki aux commandes, le film est produit par TMS Enternainment. Eh oui, le célèbre studio Ghibli n’existe pas encore à cette époque, et ne verra le jour que six ans plus tard. Cependant, on retrouve tous les ingrédients du réalisateur de Porco Rosso et du Château Ambulant. Le plus difficile fut certainement d’intégrer ses éléments dans un univers déjà bien établi, avec des personnages déjà bien définis.
Pour ce second opus, Miyazaki, également en charge du scénario, prend comme base, le roman de Maurice Leblanc, intitulé La Comtesse de Cagliostro, sorti en 1924. Ici, Cagliostro est un petit état européen, type Monaco. Alors que Lupin et son acolyte Jigen battent la campagne au volant de leur Fiat 500, ils croisent le chemin de Clarisse, une jeune femme tentant de semer une groupe d’hommes de main. En grand amateur de femmes, Lupin ne reste pas insensible à la belle en détresse et se met en tête de la sauver. D’autant qu’elle est détenue prisonnière par le Comte de Cagliostro, un notable et peu scrupuleux faux-monnayeur. C’est alors parti pour 1h40 d’action cartoonesque et d’animation débridée. Le personnage de Lupin selon Miyazaki s’éloigne un peu du Lupin d’origine. Dans le manga de Katô, il est beaucoup plus vicieux, cynique et abrupte. Ici, il paraît bien plus sympathique, agissant presque de manière désintéressée, avec un coté un peu chevaleresque. Il n’en demeure pas moins un gentleman cambrioleur et se montre un redoutable adversaire faisant preuve d’une incroyable ingéniosité. Pour mieux cadrer avec son univers poétique, Miyazaki a fait en quelque sorte mûrir le héros. En atteste le baiser final entre lui et Clarisse qui se transformera finalement en bise sur le front, comme un père ferait à sa fille.
Mais Lupin, c’est avant tout la coolitude absolue. Détendu en toutes circonstances, toujours le mot pour rire ou pour séduire et toujours un coup d’avance sur les autres, il est un peu le voleur que tout le monde voudrait être. Comme tout bon héros, il possède un némésis en la personne de l’inspecteur d’Interpol, Koichi Zenigata (Gaston Lacogne dans les romans de Leblanc). La dynamique de leur relation repose sur une poursuite sans fin, l’un essayant de coffrer l’autre. Mais ici, ils se retrouvent obligés de coopérer afin de faire tomber le Comte. Kazuhiko Katô avait dit avoir envisagé leur relation comme celle de Tom & Jerry et on retrouve complètement l’esprit du cartoon. D’ailleurs, alors que le chat et la souris doivent parfois s’allier contre le chien, il en est de même entre l’inspecteur et le voleur, dans Le Château de Cagliostro.
Parmi les éléments précurseurs de l’œuvre de Miyazaki, on retrouve son goût pour les engins mécaniques et plus particulièrement les avions, de même que sa fascination pour les châteaux. Il fait déjà preuve d’un amour particulier pour la nature et les décors en extérieur. Outre l’univers principal, basé sur Lupin III, l’autre référence et source d’inspiration du réalisateur est incontestablement le somptueux dessin animé, Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault. Miyazaki n’a jamais caché son admiration pour ce film et lui rend hommage de fort belle manière, à travers de nombreux éléments, à commencer par l’architecture du château. A ce titre, les décors sont, comme toujours chez Miyazaki, tout simplement sublimes. La direction artistique de Shichiro Kobayashi (Utena, Berserk) est d’une grande qualité et demeure aujourd’hui toujours aussi percutante malgré son âge avancé. L’animation est fluide et délicieusement old school, le dessin est simple et clair et les cadrages sont millimétrés. On aurait peut-être trop vite fait d’oublier Le Château de Cagliostro quand on parle d’Hayao Miyazaki et de son œuvre mais ce serait une terrible erreur. Ce premier film pose la première pierre d’un édifice incroyable, érigé au nom de la poésie, de l’imaginaire et de la créativité. Ne cherchez pas plus loin !
Le Château de Cagliostro de Hayao Miyazaki (1979) – TMS Entertainment
Concernant la conclusion, à savoir qu’il s’agit d’un film à voir, j’abonde dans le sens de cet article. Mais j’ai quelques petites choses à redire.
Déjà, Gaston Lacogne n’est pas un personnage de Maurice Leblanc, c’est le nom français de Zenigata. Ou du moins, un de ses noms français : dans la première version française du Château de Cagliostro (j’en ai dénombré trois), il s’appelait Lapoulaille.
Ensuite, s’il est vrai que la carrière de Hayao Miyazaki n’a pas commencé avec le studio Ghibli, elle n’a pas non plus commencé avec Le Château de Cagliosto ; il ne s’est pas vu confier le projet par hasard, mais bien parce qu’il avait déjà œuvré sur le personnage, pour la première série TV. Il a commencé plus de 10 ans auparavant, a connu tous les postes de l’animation, et a commencé comme réalisateur d’épisodes justement sur cette série.
Or, nous touchons là le paradoxe de Hayao Miyazaki : pour la plupart des spectateurs occidentaux, son nom reste associé à Ghibli, laissant de côté ce qu’il a pu produire avant. Et comme Le Château de Cagliostro a été réalisé au sein d’un autre studio, il a tendance à être oublié, d’autant qu’il n’est pas distribué par Buena Vista. Pire, il s’agit d’un film de commande, tiré d’une licence, cela ne fait pas assez « auteur » pour une partie de ses admirateurs, qui ne l’ont souvent pas vu.
Là où cela devient presque absurde, c’est que pour les inconditionnels de Lupin III, Le Château de Cagliostro reste une aberration ! Hayao Miyazaki a tordu les personnages dans tous les sens pour les faire correspondre à sa vision d’auteur. L’article parle du traitement de Lupin, mais que dire de celui de Goemon, laissé au rencard, et pire, d’une Fujiko transparente, altruiste, et qui confesse avoir follement aimer notre héros. Cela va tout simplement à l’encontre de tout ce qui fait Fujiko, la femme fatale qui se joue des sentiments de Lupin pour mieux le manipuler – il n’est pourtant pas dupe.
Pas assez Lupin pour les fans de Lupin, pas assez Ghibli pour les fans de Ghibli – enfin, ceux qui n’ont rien compris – Le Château de Cagliostro en devient de fait le long-métrage le moins connu de son réalisateur, alors qu’il s’agit d’un de ses meilleurs. C’est con.