Re-Anime: Mind Game (de Masaaki Yuasa)

Re-Anime: Mind Game (de Masaaki Yuasa)

Note de l'auteur

a801fa09fcf7391a8c18559421b465adAu panthéon de l’expérimentation graphique et des trips les plus fabuleux et absurdes de la Japanim’, à côté des chefs-d’œuvre tels que FLCL, Dead Leaves ou encore Red Line, on retrouve l’OVNI Mind Game. Un film puzzle à la créativité sans cesse renouvelée derrière lequel on retrouve, sans surprise l’incroyable et très productif studio 4°C. Psychédélique, planant, introspectif, poétique, existentialiste, le délire de Masaaki Yuasa repousse les frontières de l’animation et s’imprime dans notre rétine, de manière durable.

 

Sorti en 1995, Mind Game est à la base un manga écrit et dessiné par Robin Nishi et publié en France chez IMHO, en 2015. C’est en 2004 qu’il se voit adapté au cinéma par Masaaki Yuasa qui a notamment travaillé avec Takahata sur Mes voisins, les Yamada et qui réalisera par la suite un segment de l’omnibus Genius Party. Le studio d’animation 4°C n’a pas peur des projets artistiques ambitieux et bien barrés, s’essayant à absolument tous les formats et laissant carte blanche aux artistes. Clips, spots publicitaires, OAV, omnibus, court métrages et long métrages, le studio multiplie les productions et s’attaque ici à un exercice périlleux avec l’adaptation de Mind Game. Le film se fait remarquer par sa technicité et la diversité de son animation mais aussi et surtout par son design qualifié de rough (mot désigné dans les arts graphiques pour parler d’ébauche ou d’esquisse). En effet, ce qui surprend de prime abord, c’est avant tout le graphisme et l’esthétique. Mais nous y reviendrons. Avant la forme, parlons un peu du fond.

 

mindgame02Nishi (du même nom que son auteur), est un étudiant, un peu loser, épris de son amie d’enfance, la jolie Myon. Un soir, alors qu’ils dégustent des yakitoris (brochettes de viandes ou de poissons) dans le restaurant de Yan, la sœur de Myon, débarquent deux yakuzas, créanciers du père des jeunes femmes. Tétanisé, Nishi assiste impuissant à l’agression de Myon et, avant qu’il ait le temps de faire quoique ce soit, passe de vie à trépas, se prenant une balle. Arrivé dans l’autre monde, il rencontre Dieu, sujet à de multiples mutations physiques. Mais le jeune homme refuse d’accepter son destin et parvient à saisir sa chance pour revenir quelques secondes avant le drame. De là, il prend les choses en main et agit in extremis, en sauvant sa peau. Il s’enfuit en voiture avec Myon et Yan, mais la course-poursuite se conclut par un plongeon du haut d’un pont. Une gigantesque baleine qui passait par là, les avale. Tel Pinocchio se retrouvant à l’intérieur de Monstro, le trio est dès lors prisonnier du mammifère marin. Sur place, ils tombent sur un vieux barbu, là depuis 30 ans, qui les accueille dans son habitat. Entre désespoir, euphorie et persévérance, Nishi, Myon et Yan vont traverser tous les états dans un incroyable tourbillon graphique composé de séquences toutes plus barrées et poétiques les unes que les autres.

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Mind Game ne se laisse pas facilement apprivoiser. Il fait partie de ces œuvres dans lesquelles il faut plonger et lâcher prise. Un objet à la radicalité artistique assumée, qui arpente des sentiers à contre-courant. L’année où il est sorti, de manière très restreinte, est également l’année où sont sortis d’énormes blockbusters de l’animation avec Steamboy de Ôtomo, Ghost In the Shell: Innocence de Oshii et Le Château ambulant de Miyazaki. Bref, trois grosses productions signées par trois monstres sacrés, à leur côté. Mind Game, réalisé par Yuasa dont c’est le premier film, fait figure d’outsider. Pourtant, il n’a rien à leur envier et pour cause, plus arty, plus indé, plus avant-gardiste, voire proche du mouvement Superflat (qui vise à représenter le lien entre la société japonaise à la culture otaku), Mind Game fascine autant qu’il décontenance. Sa simplicité cache une incroyable richesse et tout un tas d’idées inspirées. Une mention spéciale à la représentation de Dieu qui ne cesse de changer de forme et d’identité dans un délire cartoonesque juste génial, ainsi qu’à la scène finale qui est un putain de moment de bravoure, complètement taré.

 

mindgameL’esthétique du film se situe quelque part entre le vibrant Amer Béton (Re-Anime ici) et l’univers de Bill Plympton. Tout en minimalisme et pourtant foisonnant de détails, Mind Game s’autorise tous les procédés d’animation en un seul et même film. De la 2D, de la 3D, des aplats de textures, des intégrations de photos réelles d’acteurs pour un résultat patchwork ambitieux où rien n’est laissé au hasard. Il faut dire que le studio 4°C s’est entouré pour l’occasion de collaborateurs de renom avec des animateurs venant de chez Gainax et Production I.G. De son côté, Shin’ichirō Watanabe (Cowboy Bebop), chargé de la production musicale, a fait appel à Seiichi Yamamoto (Ichi the Killer). À noter également un passage furtif de Yōko Kanno au piano. Bref, n’en jetez plus, Mind Game est un projet définitivement unique, un trip aussi onirique que nawesque. Surréaliste jusqu’aux bouts des ongles et techniquement décoiffant, il mérite clairement toute votre attention et même plus encore. Vous avez devant vous, une perle de la Japanimation. Ne passez pas à côté !

 

Mind Game de Masaaki Yuasa (2004) – Studio 4°C

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